Tout juste débarqués de Star Wars, Phil Lord et Chris Miller rejoignent une prestigieuse lignée.
L’histoire du cinéma est remplie de réalisateurs empêchés d’aller au bout de leur vision et de producteurs tyranniques débranchant la prise sans crier gare. Alors que Kathleen Kennedy vient de signifier leur congé à Phil Lord et Chris Miller en plein tournage du spin-off de Star Wars consacré à Han Solo, on revient sur quelques embrouilles fameuses où des cinéastes pourtant pas manchots ont compris qu’ils travaillaient sur un siège éjectable.
Philip Kaufman (Josey Wales hors-la-loi)
L’un des plus grands westerns des seventies est né dans la douleur. Fin 1975, c’est au bout de trois semaines de tournage que Clint Eastwood, star et producteur de Josey Wales, décide de foutre à la porte le réalisateur Philip Kaufman et de mettre en scène lui-même l’odyssée vengeresse de son outlaw sudiste. « Eastwood était le producteur du film. Il était la plus grande star de la planète. L’un de nous devait partir », expliquera plus tard Kaufman en riant jaune. Ce licenciement brutal donnera lieu à une protestation de la Directors Guild, qui instaurera en réaction une nouvelle règle, surnommée la « Eastwood Rule », interdisant à un producteur ou un acteur de virer le réalisateur pour prendre ensuite lui-même sa place. Kaufman s’en remettra, accouchant quelques années plus tard d’un immense chef-d’œuvre (L’Etoffe des héros). Quant à Eastwood, dirigé jusqu’alors par des cadors comme Sergio Leone, Don Siegel ou Michael Cimino, il ne tournera désormais plus que pour des hommes de sa garde rapproché (Buddy Van Horn, Robert Lorenz…). On n’est jamais mieux servi que par soi-même (et les employés de Malpaso).
Richard Donner (Superman II)
Alors qu’il avait tourné back-to-back le premier Superman et une partie du second volet, Richard Donner se voit refuser l’accès du plateau par des producteurs soudain désireux de donner un ton plus « camp » et plus léger à la suite des aventures de Kal-El. Un autre Richard, Lester, est appelé à la rescousse. Donner avait déjà bien avancé sur Superman II, mais Lester retourne quand même de nombreuses scènes – il doit mettre en boîte 51 % du film pour pouvoir être crédité tout seul au générique. Apprenant le renvoi de Donner, Gene Hackman (Lex Luthor) s’oppose aux reshoots et Brando refuse qu’on utilise ses scènes déjà mises en boîte. En 2005, le « Donner’s cut » finira par émerger en DVD et blu-ray. Et on est tout à fait en droit de préférer cette version-là.
Steven Soderbergh (Le Stratège)
Soderbergh ne fut pas remercié en plein tournage du Stratège mais trois jours avant le début des grandes manœuvres, ce qui témoigne quand même d’une production compliquée. Deux scénaristes superstars (Steven Zaillian, puis Aaron Sorkin) s’étaient déjà refilés le bébé à plusieurs reprises, manifestement dans la douleur. Mais ce sont surtout les partis-pris esthétiques de Soderbergh (le réalisateur de Trafic souhaitait un style documentaire, avec des interviews de vrais athlètes pour ponctuer le récit) qui déplaisent aux producteurs. Bennett Miller, réalisateur de Truman Capote, est finalement appelé à la rescousse. Il signe un film solide, au style froid, léché, cérébral, à la fois au service de ses acteurs et toujours un peu à distance de l’action. Un bon film de Steven Soderbergh, quoi !
Anthony Mann (Spartacus)
« Il avait l’air d’avoir peur de l’ampleur du film », dira plus tard Kirk Douglas, producteur et star de Spartacus, pour justifier le limogeage, au bout d’une petite semaine de tournage, d’Anthony Mann, pourtant loin d’être un nul (comme le démontrent ses films noirs 40’s, ses westerns 50’s et ses péplums 60’s). Douglas préfère finalement embaucher un petit jeunot, Stanley Kubrick, qui l’avait déjà (très bien) dirigé dans Les Sentiers de la gloire. Kubrick non plus n’avait jamais mis en scène un film de cette taille. Mais lui semblait peut-être n’avoir peur de rien.
John McTiernan (Le 13ème Guerrier)
Un échec mythique, qui précipita la carrière de John McTiernan dans les limbes et transforma le cinéaste, avant même ses démêlés judiciaires, en martyr de l’industrie hollywoodienne. Le producteur du film Michael Crichton s’empara du 13ème Guerrier au grand dam de McT, tournant de nouvelles scènes, rebidouillant le montage, changeant le score… Et donnant ainsi naissance au mythe d’un directors cut invisible et sublime. Cette sombre affaire est détaillée dans l’indispensable édition blu-ray du film, qui démontre que le dernier chef-d’œuvre de McTiernan est bel et bien le fruit de la collaboration – extrêmement orageuse – entre un réalisateur de génie et son producteur tout-puissant.
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