Nicola Sornaga et Benjamin De Lajarte sont des réalisateurs de "petits" films, des œuvres qui ne rentrent pas tout à fait dans les cases des systèmes de financement actuels. Film guérilla pour Sornaga avec Monsieur Morimoto, toujours sur ses étagères quatre ans après une sélection à la Quinzaine des réalisateurs, ou tentative audacieuse - ne serait-ce que par son casting réunissant sur la même affiche Simon Yam, Audrey Dana, Hiam Abbass ou Alain Chamfort - pour De Lajarte avec Les jeux des nuages et de la pluie, qui sort, discrètement, en salles ce mercredi.Comment percevez-vous le ramdam actuel ?Nicola Sornaga : Cette polémique est nécessaire : il y a réellement quelque chose de pourri au sein de la production française. Ce système mis en place au début des années 80 ne correspond plus du tout ni à la réalité du marché ni à la technologie.Benjamin De Lajarte : Elle établit clairement qu'il y a deux types de cinéma en France : celui qui crève la dalle parce qu'il subit une économie de l'offre et ne correspond pas à la demande des financiers alors que c'est de là que devrait naître un cinéma de création. Et il y a donc celui qui correspond à cette demande, de ce qu'on croit être l'attente du public (et de la télévision), et qui a mené à un principe de casting d'acteurs bankables, de récits académiques. Je crois que c'était Ophuls qui disait : à trop vouloir suivre le goût du public, on se retrouve inévitablement nez à nez avec son cul.Cette polémique a d'abord stigmatisé les cachets des gros acteurs, puis posé la question de la validité du système du CNCN.S :  Au départ, les principes du compte de soutien du CNC partent d'une bonne intention, mais aujourd'hui ce n'est plus fiable. Ses aides sélectives se montent à très très peu sur leurs 800 millions annuels de fonctionnement. Le souci vient sans doute de l'autonomie juridique totale qu'il a sur la redistribution de cet argent. Notamment avec ce principe d'aide automatique, qui profite à toutes les boîtes de production, y compris TF1, Canal + ou France Télévision. Il ne faut bien sûr pas négliger que ce sont ces sociétés qui ramènent de l'argent au CNC en produisant les films commerciaux, mais quand 20% des films français, généralement les leurs, monopolisent 80% du marché, ça devient un problème.B. D.L : Aujourd'hui, le souci des films d'auteur, comme le mien, est de devoir trouver leur place en amont des commissions d'aide. Un film français doit satisfaire pour cela un certain nombre de critères. Si Tarantino ou Wes Anderson étaient français et proposaient des scénarios au CNC, on leur rirait au nez, on les accuserait d'être prétentieux ou formalistes. Dans une tranche de budget comme celui desJeux des nuages et de la pluie, il y a comme une approche inconsciente et consensuelle. Le cinéma d'auteur français n'est pas censé s'employer au plaisir de raconter une histoire mais de s'appuyer sur une base autobiographique ou personnelle. Cette réputation désastreuse (ennuyeux, nombriliste) de notre cinéma d'auteur, ou disons indépendant, est pour beaucoup dans son empêchement d'une percée auprès du grand public. Pire, comme elle reste en cours auprès des financiers, elle oblige a entrer dans un certain formatage. Dans ce contexte là, même s'il a fallu se battre, queLes jeux des nuages et de la pluieait réussi à décrocher l'avance sur recettes a d'autant plus été une surprise.N.S : Après mon premier film,Le dernier des immobiles, j'ai signé avec une très grosse boîte française : ils ont voulu me faire refaire vingt fois un scénario, parce qu'il fallait en avoir un qui rentre dans les critères de l'avance sur recette. Comme il n'y a plus de mécènes dans la production française, c'est devenu un maillon obligatoire que tout le monde cherche à décrocher. Il est fondamental de faire des réformes, pour que le CNC permette la création de films qui ne se résument pas à des produits. La technologie numérique rend la fabrication de ces films possible, pourquoi le système de financement tuerait dans l'oeuf tout désir de création ? Simplement parce qu'il est plus facile aujourd'hui de produire un navet qui coûte cher qu'un film prenant des risques.Voilà pour l'amont. Mais il semble que désormais, en aval, la rentabilité des films s'avère peu au rendez-vous...B.D.L : Les jeux des nuages et de la pluie entrant dans une échelle de petits budgets, le problème de la rentabilité n'est pas aussi probant que dans le cas d'un Astérix. En-dessous de 4 millions d'€ on est dans une logique différente. De toutes façons, les comédiens bankables se méfient généralement de ce type de film à économie plus pauvre, parce qu'ils craignent d'entacher leur image. Du coup en terme de casting, comme de visibilité, je suis confronté à l'économie de l'offre.N.S : Je ne suis pas d'accord avec Maraval quand il dit que la rentabilité des films doit être immédiate. Les petits films ne peuvent se rembourser qu'à long terme, sur un bouche-à-oreille, mais vu le turn-over dans les salles, c'est devenu impossible. Comment lutter quand on sort sur dix copies/France face aux vingt autres sorties d'une même semaine, notamment les grosses comédies ou les blockbusters américains qui occupent la majorité des écrans ?Autre élément du débat : le poids des chaînes de télé dans le financement et le formatage des films, notamment par le casting de ces fameux acteurs bankablesB.D.L : Il est évident qu'aujourd'hui certains films se montent sur leur casting et non sur leur scénario. Il y a une star à l'affiche de mon film : Simon Yam. Mais c'est une célébrité en Asie, pas ici, où il n'est connu que des amateurs de cinéma de Hong-Kong. J'aurais eu un nom, ça aurait rassuré tout le monde, notamment pour la promo en télé. Et comme les comédiens bankables savent qu'ils sont aujourd'hui un maillon nécessaire, ils savent en jouer. Le poids des distributeurs s'y ajoute : en avoir un en amont favorise le financement des chaînes de télé. Ca donne un cercle plus vicieux que vertueux.N.S : La rémunération des acteurs connus est une chose indécente, mais ça ne concerne pas que le cinéma. C'est aussi une parfaite métaphore de la redistribution des richesses dans notre société. D'un autre côté, une vente à Canal, c'est 100.000 €, une vente à Arte peut aussi atteindre cette somme. Monsieur Morimoto aurait été immédiatement amorti. Le plus absurde est que quand la Quinzaine des réalisateurs prend le film, le CNC trouve un moyen, en inventant une aide juridique, de me donner de l'argent pour que je puisse aller à Cannes. Comme si c'était plus important d'aller là-bas que de sortir le film en salles... Quatre ans plus tard, ce n'est d'ailleurs toujours pas le cas. Plus que jamais aujourd'hui pour que le cinéma d'auteur français existe, il faut qu'il soit prédigéré par les financiers, distributeurs et vendeurs. En gros, on est en train d'en faire une industrie et plus du tout un art.Un art qui a plus que jamais besoin de visibilité pour exister, donc de promotion...B.D.L : Il faut faire très fort très vite. D'ailleurs, les producteurs de gros films français ne veulent même plus du bouche-à-oreille, qui prendrait trop de temps à s'installer, ça ne rentre même plus dans leur équation : il faut juste qu'on parle partout de leur film pour qu'il ait un effet immédiat. Ce qui a pour effet pervers globalisé qu'aujourd'hui, le sort d'un film est dicté par les entrées du mercredi de sa sortie à midi. Les distributeurs en déduisent à 80% quelle sera la possibilité de rester en salles la semaine suivante. Alors qu'il faudrait capitaliser sur les 20% qui restent, ceux qui pourraient permettre d'augmenter la durée de vie d'un film.N.S : Tout le monde dit "le cinéma français se porte bien", mais quelle blague ! Ca signifie résumer notre production à une petite poignée de films martelés par le marketing. Il n'y a aucun investissement sur la création ou l'originalité : noyé par la promo, tout le monde va voir Les bronzés 3 mais sort de là en disant que c'est de la merde. Et ce principe est entériné par toute l'industrie, CNC, producteurs, distributeurs ou exploitants. J'ai eu tout ce que je pouvais avoir comme presse sur mon premier film, des pleines pages dans Libé, les Inrocks, mais à partir du moment où je ne sortais que sur dix copies, les dés étaient déjà jetés. Aujourd'hui ce n'est plus la qualité du film qui fait la fréquentation des salles mais l'argent mis en amont pour en faire une opération commerciale.Propos recueillis par A.MLe "Maraval Gate" : Le système du cinéma français paie-t-il trop ses acteurs ?Premières réactions à la polémique sur le salaire des acteurs Une mauvaise foi systématique : réponse de l'ancien directeur du CNCDany Boon réagit à la polémique des salaires