Les garçons et Guillaume, à table !, Yves Saint Laurent, De l’autre côté du périph, 20 ans d’écart… Ces films ont marqué 2013 en termes d’entrées et promettent de marquer 2014 puisque le biopic de Jalil Lespert dépasse le million de spectateurs en trois semaines d’exploitation, et que le film de Guillaume Gallienne vient de rafler 10 nominations aux César où il fait figure de favori. Décors, costumes, son, montage, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur acteur, meilleure adaptation, meilleur premier film mais aussi meilleur film, Les garçons et Guillaume a ses chances partout, y compris dans la catégorie reine où statistiquement, les vainqueurs ont en moyenne réuni 2,4 millions d'entrées...
La marque de Gallienne, et ce qu'ont en commun quelques un des plus gros succès français récents, c’est La Comédie Française. Cette institution fondée en 1680 regroupe, en troupe, des comédiens recrutés par l’administrateur en place. En l’occurrence Muriel Mayette-Holtz qui s’est chargée du recrutement de Pierre Niney en 2010 et de Laurent Lafitte en 2012 et nous explique le fonctionnement : « C'est l'administratrice qui engage et c'est le comité de sociétaires qui décide de l'avenir des acteurs de la troupe. Personnellement, j'ai recruté plus de trente comédiens - plus de la moitié - pour enrichir la troupe et je les ai choisis toujours parce qu'ils avaient du talent - ce qui ne s'acquiert pas mais se développe - et absolument à l'instinct... Dans leurs différences, qu’elles soient d'école, d'emploi, de style, de génération, d'identité, de corps... Car ce sont eux qui représentent le monde et nous devons le rêver le plus vaste possible. Ensuite il est important qu'aucun ne fasse de l'ombre à l'autre mais au contraire vienne l'enrichir pour répondre à notre emblème "Simul et Singulis", être ensemble et être soi-même ». Les comédiens sont, par contrat, obligés de donner la priorité au Français et travaillent sur place, par semaine, environ 70h entre répétitions, représentations et apprentissages. C’est dans cet emploi du temps que doivent se caler les tournages.
French actor’s studio
« L’intérêt des réalisateurs qui se tournent vers des comédiens de théâtre, après avoir fait le tour, avec des fortunes diverses, de ceux du one-man-show, c’est surtout de trouver des gens qui ont le sens des mots, le sens du rythme, qui savent interpréter et respecter un texte, n’importe quel texte. On vient les chercher pour leur technique, pas tant pour ce qu’ils représentent ni pour qui ils sont » résume Philippe Durant, l’auteur de La Bande du Conservatoire (Sonatine). Et cette idée de technique et de capacité à se fondre dans un texte, dans un rôle, Muriel Mayette-Holtz la confirme pour ses comédiens issus du Français : « La Comédie-Française permet aux acteurs de pratiquer leur art toute l'année et dans la pratique quotidienne de leur artisanat, ces acteurs développent un savoir faire, une virtuosité inégalable. La possibilité d'alterner d'un rôle à l'autre est aussi une discipline qui développe le talent de la troupe. Nous pouvons dire selon"une formule maison,"ici il y a toujours un peu de Hamlet dans Arlequin et d'Arlequin dans Hamlet, c'est-à-dire que les rôles dialoguent entre eux à travers les acteurs ! Cela suppose une disponibilité totale de l'interprète et leur offre des lectures riches et multiples de leurs personnages... Ce fonctionnement singulier engendre une harmonie des talents que"l'extérieur"peut absolument envier à la troupe ».
Et les réalisateurs apprécient la valeur de cette fameuse « technique ». Dans Comme des frères, Hugo Gélin avait eu l’occasion de travailler avec trois acteurs issus de parcours très différents : Pierre Niney, qui sortait du conservatoire et est entré au Français au début du tournage, François-Xavier Demaison, un ancien fiscaliste passé par le one-man-show et Nicolas Duvauchelle, repéré dans une salle de boxe par un chasseur de tête et qui a tracé son chemin devant la caméra. Et Gélin l’affirme, leurs façons de jouer et d’entrer dans un rôle étaient vraiment différentes. Ce qui l’avait surpris, à l’époque, était la véritable maturité de Pierre Niney, alors à peine 20 ans : « A l’inverse d’un Nicolas très instinctif, Pierre était dans la répétition et dans les questions, il avait vraiment besoin de saisir le rôle. Un peu comme François-Xavier, mais je crois que ça doit être parce qu’ils ont tous les deux vécu l’exercice des planches. Mais c’est vrai qu’il avait quelques petites techniques, une façon de poser la voix, d’intégrer un rythme, d’attraper une émotion. Après, je pense que le théâtre a apporté une véritable rigueur à Pierre, une maturité dans le jeu, impressionnante à son âge, et aussi une vraie humilité vis à vis des autres acteurs. Il a l’esprit de troupe, ce qui change de l’aspect très individualiste du cinéma. Et il faut dire que ça me rassurait beaucoup en tant qu’acteur car il était le plus jeune de la bande et il devait jouer un jeune mais comme les dialogues étaient très écrits, qu’il s’agissait d’un ping-pong, sa maturité, son talent naturel et sa technique ont vraiment aidé à ce que le résultat soit parfait ».
Quand La Comédie Française se détend
Serait-ce pour cette technique que l’on met en avant aujourd’hui, telle une marque, les acteurs de la Comédie Française ? Car ce n’est pas un fait nouveau. Déjà dès le début du XXème, à l’époque du muet, ce sont eux, comme la célèbre Sarah Bernhardt, que l’on venait chercher en priorité avant qu’ils ne passent au second plan à l’époque de la nouvelle vague, où l’on cherchait une façon de jouer plus spontanée, moins technique justement. « Le cinéma a besoin de se renouveler, sinon il se sclérose. Ça marche par période, il y a eu celle des cabarets avec Poiret, Serreau, etc… On s’est aperçu que ça n’évoluait pas trop, on s’est alors tourné vers le Café-Théâtre avec l’équipe du Splendid, puis le one-man-show avec Gad Elmaleh et autres Jamel Debouzze et maintenant on revient au théâtre, classique si on parle du Français, dans 10 ans on trouvera autre chose, c’est cyclique » explique Philippe Durant. Un roulement logique mais qui n’explique pas tout. D’autres comédiens du Français ont eu des premiers rôles au cinéma comme Philippe Torreton avant d’en claquer la porte ou encore André Dussollier avant de faire la même chose. Pour les mêmes raisons : la rigidité du Français qui ne laissait finalement pas beaucoup de place aux acteurs, dans leur emploi du temps, pour faire des films. Mais avec l’arrivée de Muriel Mayette-Holtz en 2006, les choses semblent s’être un peu détendues au profit des comédiens qui peuvent désormais passer plus aisément du théâtre au cinéma voire à la télévision, sans abuser pour autant. D’autant plus que la perméabilité entre ces divers milieux est plus grande. C’est ainsi que l’on a pu voir Guillaume Gallienne sur Canal + dans Les Bonus de Guillaume ou encore Pierre Niney dans la pastille Casting(s), également sur Canal +. Cette ouverture leur permet donc une plus grande visibilité.
La mode ! Quelle mode ?
« C’est un concours de circonstances, peut-être un effet de mode, le temps nous le dira, mais je crois plus en un concours de circonstances » insiste Michel Vuillermoz, comédien au Français. En effet, il serait un peu simple de penser que la mention « De la Comédie Française » est un nouveau sésame dans le cinéma français. Vuillermoz le confirme, les propositions qui lui sont faites depuis quelques temps ne changent pas vraiment de d’habitude pour cet acteur de 50 ans qui parcourt depuis plusieurs années le 7ème art. « Je ne suis pas plus bankable, je ne l’ai jamais été sauf, peut-être, pour les films d’auteur avec de plus petits budgets, mais je ne note pas de changement ». Pour Sylvie Brocheré, directrice de casting, être à La Comédie Française n’est pas plus qu’avant un gage de certitude à l’embauche : « On nous demande régulièrement, au début des castings, de faire appel à ces personnalités du théâtre mais c’est surtout parce qu’on les a vues ailleurs ». Effectivement, les visages de Guillaume Gallienne, Pierre Niney ou encore Laurent Lafitte sont connus non pas du Français mais déjà du cinéma ou de la télé. Pierre Niney avait déjà été vu dans J’aime regarder les filles, Lol ou encore Les Emotifs Anonymes, Guillaume Gallienne dans Jet Set, Le Concert, sur scène avec son spectacle Les Garçons et Guillaume, à table ! et, bien sûr, sur Canal, tout comme Laurent Lafitte, qui avait cartonné avec son one-man-show Laurent Lafitte comme son nom l’indique, et que l’on avait croisé dans Les Rivières Pourpres ou Les Petits Mouchoirs. « C’est le nombre d’entrées qui fait le succès d’un film et par conséquent le succès d’un acteur. Ce n’est pas le fait qu’il vienne du Français ou non » précise Michel Vuillermoz. D’ailleurs Hugo Gélin le souligne : « Je pense que c’est plus un hasard, il se trouve qu’il y a beaucoup d’acteurs très bons en même temps dans la troupe de La Comédie Française. Mais ce n’est pas un critère pour moi. Quand je cherche un acteur, je me fous de sa formation, ce qui m’intéresse c’est qui il est lui ».
Plus versa que vice
« Et parfois, il y a des acteurs qui juste ne correspondent pas, pour qui passer du théâtre au cinéma est impossible autant physiquement quand dans la façon de jouer. Être au Français ne signifie pas être déjà prêt pour le cinéma, mais c’est sûr qu’il s’agit là d’un bon réservoir, comme ça l’a toujours été. Je ne pense vraiment pas qu’il y ait une tendance, c’est vraiment une vision de l’esprit, un épiphénomène sur lequel se concentrent les médias qui s’entraînent eux-mêmes, c’est assez parisien au fond. Ça n’est basé que sur une idée que l’on se fait. Mais tant mieux, du moins pour le Français, si ça peut pousser les gens qui ont vu Guillaume Gallienne au cinéma à aller le découvrir sur scène » décrypte Sylvie Brocheré. Ce dont doute Michel Vuillermoz : « Il y a peut-être quelques comédiens qui pourront être moteur mais je ne le pense pas vraiment. Ceux qui aiment le cinéma iront plus facilement voir un autre film tandis que ceux qui ne s’ennuient pas au théâtre iront revoir une pièce, mais je ne pense pas vraiment que les gens vont passer de l’un à l’autre. On peut tout de même le souhaiter ». Pour le comédien, le Français n’est pas le meilleur véhicule pour devenir tête d’affiche au cinéma : « S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que si l’on veut faire du cinéma, il vaut mieux être journaliste que comédien au Français. Faites l’andouille pendant une chronique de deux-trois minutes sur Canal et ça devrait marcher pour vous (rires). La télé est un grand fournisseur du cinéma, peut-être plus que le théâtre ». Avis aux candidats.
Perrine Quennesson
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