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C’est en analysant l’œuvre d’Orson Welles que le critique de cinéma André Bazin a identifié le plan-séquence (séquence entière sans découpage) et lui a donné son appellation française. Parfois, son intérêt est seulement d’ordre économique. Généralement, il demande une telle préparation que lorsqu’on en voit un, on le qualifie de virtuose. En 1948, avec La CordeHitchcock a été le premier à vouloir réaliser un film dont l’intrigue se déroulerait en temps réel. Puisque la technique de l’époque lui interdisait de faire des prises de plus de dix minutes (la longueur d’une bobine), il a mis bout à bout une série de plans-séquences, la fin de l’un raccordant avec le début du suivant, et opéré des coupures « invisibles » contribuant à l’illusion d’une seule prise. Il reconnut finalement que l’expérience n’était pas concluante et qu’il était plus efficace d’utiliser des outils éprouvés tels le montage.Tour de forceAvec BirdmanIñárritu relève le défi, utilisant cette même technique de raccords. Mais il justifie le procédé par la nécessité dramatique : le film raconte les heures précédant la première d’une pièce qui doit marquer le retour d’un acteur has been. « Dans le cas de Birdman, explique le cinéaste, la forme et le fond étaient indissociables. Je voulais entrer dans la tête du personnage, que son ressenti et celui du spectateur ne fassent qu’un. Si j’avais tourné de façon conventionnelle, cela aurait donné une observation objective, forcément plus cynique. » Iñárritu a cherché la vérité en temps réel mais ce n’est qu’après de nombreux essais qu’il y est parvenu. Ce qui est paradoxal, la répétition étant un artifice. Mais selon lui, l’objection ne tient pas : « Je ne prétends pas disqualifier la spontanéité, mais j’affirme que c’est la maîtrise d’un sujet qui garantit le naturel. Ce qu’on voit à l’écran résulte d’un travail méticuleux qui ne laisse aucune place à l’improvisation, qui exige la perfection dans l’expression physique, l’émotion, le ton. »Un tel accomplissement est également le fruit d’un extraordinaire effort collectif qui lie metteur en scène, acteurs, directeur de la photo et techniciens. Résultat, Birdman a récolté quatre Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. En termes de performance technique, il vient cependant d’être détrôné par Victoria tourné en un seul vrai plan-séquence et en temps réel.Gérard DelormeBirdman en DVD et blu-ray le 8 juilletBande-annonce