Moffie de Oliver Hermanus
Outplay

Le cinéaste raconte la genèse de son quatrième long, centré sur un ado homosexuel soumis à des brimades pendant son service militaire dans l’Afrique du Sud des années 80

Quest-ce-qui vous a donné envie de porter à l’écran ces mémoires dAndré Carl van der Werve revenant sur la violence que son homosexualité lui a valu lors de son service militaire ?

Je ne connaissais pas ce livre avant que le producteur de Moffie qui en avait acheté les droits ne me propose de l’adapter en expliquant d’emblée qu’il n’avait aucune idée préconçue de comment le faire. Et en me plongeant dedans, j’ai été impressionné par la richesse de ce récit qui explorait un sujet que je ne connaissais pas du tout : ce sort violent réservé aux conscrits homosexuels blancs dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid. Et pour un métisse sud- africain comme moi, j’ai trouvé passionnant de raconter précisément l’Apartheid à travers ce prisme- là, finalement peu vu au cinéma. Pour ne pas oublier que certains blancs ont aussi subi dans leur chair l’oppression de la propagande de l’Apartheid et été détruits par ces deux années de service militaire obligatoires où l’idéologie extrémiste de la suprématie blanche visait à éradiquer l’homosexualité dans leurs rangs

Combien de temps vous a pris ce travail dadaptation ?

Plusieurs années, avec mon co- scénariste Jack Sidey. D’abord pour choisir précisément ce que nous voulions prendre du livre d’André Carl van der Werve. Ensuite parce qu’à partir du moment où nous allions parler d’un jeune appelé au sein de l’armée sud- africaine des années 80, il nous fallait nous documenter dans les moindres détails pour que tout paraisse crédible. Ce n'est d’ailleurs qu'une fois que nous avons compris ce monde que nous avons réellement pu développer une histoire. Et cette partie- là a été relativement rapide

Moffie évolue sur un équilibre constant entre lhistoire intime de Nicholas, ce jeune homosexuel et celle plus générale de lAfrique du Sud de lApartheid. Comment se construit- il à l’écriture ?

En prenant garde de ne pas me concentrer sur le destin du seul Nicholas mais de raconter l’histoire de toute cette garnison de jeunes appelés. Cette notion de groupe a été essentielle pour moi. Elle permet de raconter l’intime comme le politique, de tendre vers l’universel. C’est dans ce sens que j’ai aussi travaillé avec les comédiens en amont du tournage pour que cette notion de bande apparaisse naturelle pour eux dès le premier jour du tournage et par ricochet pour les spectateurs à l’écran. Je les ai traités comme s’ils étaient ces soldats en formation pour les aider à devenir leurs personnages.

Le processus pour trouver Kai Luke Brummer, l'interprète de Nicholas a été long ?

Oui car le processus d'audition a commencé 2 ans avant le tournage ! On a vu des comédiens, des non- professionnels, des élèves sortant des écoles... J’avais découvert Kai au tout début du processus. Puis je l’ai revu régulièrement au milieu et à la toute fin de celui- ci. Il a donc toujours fait partie des candidats potentiels mais ce n’est que dans la dernière ligne droite qu’il s’est imposé. D’abord parce qu’il avait énormément évolué depuis notre premier rendez- vous et surtout parce que je l’ai vu sur scène dans une pièce où il m’a ébloui. Dès lors, ce fut une évidence.

Raconter un camp dentraînement militaire sur grand écran, cest aussi se confronter à énormément de films qui viennent spontanément en tête sur ce sujet. Est- ce que vous aviez justement des références avant de vous lancer ?

Je savais que l’exercice n’était pas simple. Faire un film militaire où il est question d'adolescents gays peut vite virer dans une pornographie pathétique et cheap dans l'exploration des corps. Mon travail a consisté à trouver le chemin pour raconter à la fois une certaine agressivité et quelque chose de très émotionnel. Et pour cela, la règle a été simple dès le départ avec mon directeur de la photo Jamie Ramsay : ne regarder aucun film sur ce sujet et oublier tous ceux que nous avons pu voir. Et ce jusqu'au montage. C'était un exercice passionnant d’essayer de me laisser guider par ma seule inspiration en me retrouvant face à ces hommes en uniforme, les paysages où nous tournions et de faire abstraction des images qui me venaient spontanément en tête. Même si je sais que tout cela est une gageure vouée quelque part à l’échec. J’ai pu m’en rendre compte à la présentation de Moffie au festival de Venise. La première critique parue évoquait ainsi l'influence évidente de Top gun dans la scène de volley- ball qu’on voit dans le film. Or non seulement je n'y ai jamais pensé mais pour tout vous dire, j'avais même oublié qu'il existait une telle scène dans le film. Moi, j'avais surtout peur qu'on pense que j'ai voulu copier celle de Call me by your name mais personne n'y a fait allusion !

Votre travail à limage passe aussi par la volonté dimprimer une beauté formelle pour raconter la violence vécue par votre personnage principal

Ce contraste m’a apparu évident. Avec Jamie Ramsay, on a assez vite trouvé les couleurs et la texture de l’image. On a pensé cette forme visuelle comme photographique, inspirée par les nombreux clichés pris par les jeunes appelés de cette époque avec des appareils instantanés Kodak. La découverte de ces images a été comme une révélation pour nous. On avait trouvé notre colonne vertébrale et on s’y est tenu jusqu’au bout. Idem pour le récit en lui- même. Si on a mis quatre ans à l’écrire, le montage final est vraiment très proche du scénario.