Chic, provocante, sensuelle, somptueuse, la nouvelle série du cinéaste italien est une véritable oeuvre d'art.
Il aura fallu du temps pour que Paolo Sorrentino finisse par dessiner cette suite qui ne dit pas son nom. Trois ans après The Young Pope, le cinéaste revient avec The New Pope, nouvelle saison en 9 épisodes, autre chronique du Vatican perverti par d'infinies manigances politiques et par une dépravation sexuelle latente. Dans un écrin de velours, et par le prisme des scandales qui souillent l'Eglise depuis des décennies, Paolo Sorrentino filme une somptueuse Commedia dell'arte, drôle, excitante et diablement maline.
Trois questions à Paolo Sorrentino sur The New PopeEn d'autres termes, un chef d'oeuvre du petit écran, locution parfois galvaudée, qui se justifie ici pleinement tant on contemple, plan après plan, ce tableau biblique peint avec soin, s'habillant d'un raffinement inégalé en télévision à ce jour. Paolo Sorrentino ne laisse rien au hasard. Dans des décors extraordinaires, il promène sa caméra avec élégance, comme tapis dans l'ombre du Saint-Siège, visant toujours juste et prenant un malin plaisir à jouer avec une lumière christique et une atmosphère ostensiblement spirituelle.
Oui, sur la forme, The New Pope a quelque chose d'une oeuvre d'art. Mais pas de celles qui ne sont accessibles qu'aux érudits de la beauté. C'est un choc spectaculaire que cette rencontre radicale entre la pop culture et le religieux, initiée en 2017 par l'entrée au Vatican de l'Américain Lenny Bellardo, pétri à la clope et au Cherry Coke. Une claque qui résonne cette année encore plus fort, avec cette suite encore plus chic, encore plus provoc', encore plus sensuelle. Encore plus tout. On jubile à chaque instant devant le spectacle consternant qui se joue sous nos yeux. Episode après épisode.
Attention spoilers ! Quel bonheur que l'élection du Pape François II, au cours de la première heure, alors que Pie XIII a sombré dans un coma dont il ne semble pouvoir se réveiller. L'Eglise a rapidement besoin d'un remplaçant, au moins temporaire, et les complots hystériques des Cardinaux lors du Conclave finissent par s'accorder sur un pantin qui n'en sera pas un. Le nouveau Souverain Pontif est un adepte de Saint-François d'Assise (l'actuel locataire de la Basilique Saint-Pierre appréciera), et il décide tout à coup de retourner l'Eglise à l'état de pauvreté. De vendre ses richesses, ses biens les plus précieux, pour aider les plus démunis. Une révolution radicale qui, vous l'imaginez, va être bien difficile à digérer pour l'opulente Oligarchie locale. Heureusement pour eux, François II s'écroule soudainement après quelques jours de règne. Les Cardinaux peuvent souffer et changer de stratégie : ils jettent leur dévolu sur un nouveau Pape, un certain John Brannox, intellectuel Britannique brillant, tempéré bien que pompeux, un Lord Catholique qui aurait converti plus d'un Anglican. Evidemment, lui aussi cache quelques cadavres dans son placard de blanc vernis...
Quelle épiphanie d'avoir choisi John Malkovitch (un acteur américain pour jouer un Pape anglais quand le Londonien Jude Law incarne le premier Pape venu des USA). Il était taillé sur mesure pour le rôle. Comme une évidence. En quelques regards d'une noirceur éloquente soulignée par son mascara, en quelques répliques dégainée avec une cinglante assurance, il s'approprie la Soutane, au point qu'on en oublie Pie XIII (mais ne vous inquiétez pas, il va revenir). Ce New Pope est au moins aussi perturbé, perturbant que l'ancien. Lui aussi peine à savoir quelle direction donner à l'Institution catholique, embourbée dans tant de sordides affaires, sexuelles évidemment. Cette saison 2 est d'ailleurs beaucoup plus charnelle que la précédente. La nudité est omniprésente, permettant à Paolo Sorrentino de parler de sexe, de sensualité, par le prisme du sacré. Le cinéaste s'amuse malicieusement à déconstruire les codes et les convenances, jouant avec l'homosexualité plus tellement tabou des religieux du Vatican. Il va même plus loin en tissant une image de dépravation libidinale totale au sein de l'Eglise. De perversion en perversion, il nous décrit un cirque politique drolatique où les chantages prennent plus de place que les prières. Un cirque dont le Monsieur Loyal est l'exceptionnel Voiello, tout-puissant Secrétaire d'État et marionnettiste en Chef du Vatican.
Sur le fond, Sorrentino n'hésite pas à tirer sur l'ambulance. Il tire à tout va même, évoquant la place des femmes dans l'organisation catholique (la grève des nonnes de la Chapelle Sixtine, méprisées par les Cardinaux, est fabuleuse), militant pour le mariage des prêtres, s'inquiétant du fanatisme religieux de tous bords... Plus qu'une remise en question de la Foi, The New Pope est une diatribe sur l'Eglise en tant que corporation faite d'Hommes en perdition, mais à l'influence immense sur le monde. Une série à l'ambition rugueuse, mais enrobée d'une pop culture familière, qui rend la pilule tellement succulente à avaler. A l'instar de cette rencontre jubilatoire et tellement improbable entre Jean-Paul III et Sharon Stone, qui commence par ses mots à la femme fatale de Basic Instinct : "Je vous serais infiniment reconnaissant de bien vouloir ne pas décroiser vos jambes durant la durée de notre entretien..."
The New Pope, en 9 épisodes sur Canal + depuis le 13 janvier 2020 en France.
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