Réactualisation de 12h46 : Lors de la conférence de presse du jury hier soir après la cérémonie, la présidente Jane Campion a déclaré que Dolan "était un jeune génie", et a souligné les liens entre Adieu au langage et Mommy. Et en forme de boutade, le membre du jury Nicolas Winding Refn a rajouté en riant : "on a donné un prix à Godard pour le faire taire".
Actualité de 10h42 : C’est le prix de la soirée. Bien plus que la Palme à Ceylan ou que le prix d’interprétation à Julianne Moore. Au sein du palmarès de Cannes 2014 (la liste est ici), on peut voir le double prix du jury Godard -Dolan comme une passation de pouvoir, un relais générationnel pris en charge par le cinéaste québécois dans son discours qui a l’enthousiasme de ses 25 ans. Le vieux dinosaure et le jeune chien fou. Sur scène côte à côte (oui, on sait, JLG n’était pas là, mais on est dans le symbole, tout est dans le symbole).
Xavier le fou
On peut aussi voir tout ce qui lie Godard et Dolan. L’énergie brute de Mommy, les paris esthétiques, la maîtrise des effets (format de l’image qui change d’une séquence à l’autre, flash-forward fulgurants), c’est ce qui animait les meilleurs Godard 60’s et 70’s. La rage mélancolique du héros de Mommy, c’est celle de Pierrot le fou. Impossible de voir les quêtes de transes dolanienne sans penser à la liberté inouï, aux instantanés de vie et aux bras d'honneur aux règles cinématographiques des chef d'œuvres de JLG. D’ailleurs, quand Criterion lui avait demandé de choisir ses 10 films préférés du monde, le cinéaste canadien avait choisi Pierrot le fou en numéro 1, expliquant qu’il s’agissait pour lui de "la liberté ultime. Liberté des mots, liberté des images. Liberté des couleurs et liberté de l’amour. C’est Godard à l’acme de son art. Le sommet de son talent. Un cinema qui ne se refuse jamais rien". Tout était dit de leur ADN commun, de cette soif de liberté qui infuse le jeune Québécois et le vieux Suisse et qui légitime d’une certaine manière le doublé de ce soir.
Dolan brûle ses idoles
Evidemment, ce n’est pas si simple. C’est même un peu plus compliqué. Un tweet du journaliste Calum Marsh a mis le feu. Il assurait dans la soirée (photo à l’appui) que Dolan aurait en interview avoué n’avoir vu "que 2 films de Godard. Et franchement, je n’aime pas beaucoup". On peut voir ça de deux manières. Se dire que dans cette phrase, se cache une attitude éminemment godardienne qui consiste à brûler ses idoles, à ne se reconnaître aucune influence et surtout pas la plus évidente. Et puis, on peut voir les films. Si on regarde Mommy et Adieu au langage, effectivement les deux cinéastes n’ont plus rien à voir. Dolan signe un film où impatience et immaturité sont enfin canalisées, où sa jeunesse sanguine, rageuse nourrit chaque plan. Mommy, c’est l’enfance, l’innocence, la volonté immature d’être un artiste avec ce que ça a de responsabilité et de promesse. Un film où il n’est question que d’amour, de transmission et de filiation. Un film où l’énergie pop est porté par une empathie et un désir de communication sincère, émouvant, vrai.
Godard, méprisé ?
Adieu au langage, c’est le contraire. On l’a dit ici, son dernier film est d’une misanthropie abyssale. Annonnant sa pensée réac d’une autre époque (la télévision c’est le nazisme) et des aphorismes bilieux ("la pensée retrouve sa place dans le caca" et son prout), esseulé au point de ne plus se reconnaître que dans son chien Roxy, le seul être qu’il sache et veuille filmer. Dolan vs Godard, C’est l’incendie sentimental contre l’essai méchant, un geste de cinéma accueillant qui ouvre les bras et élargit l’écran contre un film d’autiste qui brûle les amarres et lâche des pets (littéralement) à la face du spectateur. Là où Dolan bouscule les formes et multiplie les prodiges et les prouesses visuelles, Godard, lui, bricole une petite oeuvre bancale avec un film-essai 3D accablant fait de bouts de ficelle. Le jeune et le vieux réunis ? Le petit prodige et le vieux maître accolés ? Avec ce prix, Jane Camion a au fond réussi à brouiller un peu les pistes. Si elle a voulu symboliser son palmarès (trop) équilibré, elle s’est de notre point de vue un peu fourvoyée. Mais elle a peut-être voulu donner une bonne leçon à JLG (on peut rêver). Dans la soirée tout le monde parlait d’un prix spécial pour Godard, sur le modèle de ce que Resnais avait reçu en 2009 (un prix exceptionnel pour le film et sa carrière). Mais là, rien. Pire, en l’accolant à Dolan, Campion le ravale au rang d’un cinéaste quelconque, retraité et sans éclat. Pour JLG, c’est vraiment le mépris.
Édouard Sonderborg
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