Après un grand succès au Lucernaire, il reprend au Petit Montparnasse Le Gorille, un spectacle tiré d’une nouvelle de Kafka, adapté et mis en scène par son père, Alejandro Jodorowsky.Propos recueillis par M.-C.N.Comment interprète-t-on un singe devenu homme ?C’est un animal de théâtre. Je dois jouer un singe devenu homme, un hybride. Il y a un travail physique, les jambes fléchies, le costume, le maquillage, mais ce n’est que la moitié du chemin. L’autre est faite par le spectateur. On donne quelques signes au départ pour établir des conventions avec le public et faire travailler son imaginaire. A partir du moment où il accepte que ce qu’il a devant lui soit un singe qui parle, il va être touché car tout semble réel. Au théâtre, on ne cherche pas à montrer le vrai mais le vraisemblable. Votre parcours est assez remarquable.Même si j’ai fait un peu de cinéma enfant en Amérique du Sud, je ne me destinais pas à ce métier. Enfant, jouer est une chose naturelle. Un acteur peut chercher longtemps à retrouver cette spontanéité. C’est en accompagnant des amis à leurs cours de théâtre, où j’ai donné la réplique pour dépanner, que j’ai eu la vocation. J’ai suivi pas mal de chemins personnels avant d’arriver au théâtre du Soleil, où je suis resté sept ans. J’en suis parti pour continuer à voyager dans la création théâtrale et être au service d’autres. Mais toutes ces années passées avec Ariane [Mnouchkine] ont été fondamentales. J’ai commencé à faire des mises en scène. La dernière en date est Rigoletto de Verdi pour le Théâtre Musical de Besançon. Il y a des trains qui passent dans votre gare et si vous savez monter dedans, vous faites un beau trajet. Moi, j’en ai pris un et depuis je ne me lasse pas du paysage.Avoir un père artiste aussi créatif, c’est une chance.Je dirais avant tout que les voyages forment la jeunesse. On vient tous de quelque part. Je pense que dans toutes les familles il y a quelqu’un qui peut transmettre un « trésor » ; il faut aussi savoir le recevoir. Etre enfant d’artiste, c’est une opportunité qui peut vite devenir une croix. Cela dépend du vécu de chacun. Evidemment cela m’a sensibilisé à l’art et à la culture. Mais adolescent, j’ai tout rejeté : je voulais être « Moi ». Vers 20 ans, j’ai eu la chance de sentir l’appel d’une vocation artistique et mon père m’a laissé faire mon chemin par moi-même. Aujourd’hui, il a eu envie que l’on travaille ensemble. C’est une rencontre qui est venue d’un désir artistique partagé.Comment ce spectacle est né ?Nous avions créé en Italie « Un Rêve sans fin », où il me faisait incarner une dizaine de personnages. Comme il a beaucoup aimé travailler avec moi, il m’a proposé Le Gorille. J’ai hésité car je n’avais pas choisi de faire du théâtre pour être seul en scène. Mais je me suis lancé dans « l'inconnu, nu » comme le chante Nougaro et je me suis aperçu que l’on n’était absolument pas seul : il y a le public et c’est chaque soir une rencontre formidable avec lui.Kafka raconte une belle « Métamorphose ».Ici, elle est à l’envers. Nous allons de l’animal à l’homme. En réalité, Kafka était quelqu’un de très amusant. Toutes les œuvres publiées de son vivant avaient une construction courte et drôle. Le Procès et L'Amérique sont sortis après sa disparition. Il avait une fantaisie et possédait une vision acerbe et imaginative sur sa société, en passant souvent par le fantastique. Dans Le Gorille, il a mis des choses personnelles comme la relation avec son père, qui était quelqu’un de très dur. Quand j’y pense, cela me touche pour lui, que ce soit un père et un fils en pleine harmonie qui fassent ce spectacle.Par la métaphore de l’intégration, ce spectacle touche l’histoire familiale, vos origines d’éternels migrants.C’est le sujet du Gorille. L’effort que l’on fait pour être accepté par les autres. Les gens qui changent de pays doivent renoncer à des choses, à leur culture. Ce singe, pour s’en sortir, renonce à son état. « Je dois être comme eux ». L’effort à faire est impossible, car on ne peut nier ce qu’on est. Ce qu’il a acquis est la conscience de lui-même. Questions : Que va-t-il en faire ? Qu’est-ce être un humain ? Il partage son expérience sans donner de leçon.Votre adaptation est universelle.La moitié du texte est de Kafka, l’autre moitié de nous. Mon père a fait l’adaptation et moi la mise en forme en français. Nous l’avons créé en Italie, puis en France, et nous avons donné trois représentations à Londres. Nous travaillons sur la version espagnole pour cet été. Apprendre quatre fois un texte, dans quatre langues, c’est une sacrée gymnastique. Je me retrouve comme le personnage du Gorille, qui est un phénomène de music-hall se produisant dans le monde entier. Je me transforme à l’envers. Pour preuve, je mange des bananes tous les jours (rire). C’est bon pour la santé !La reprise de ce spectacle est une belle chance.Oui, même si chaque lieu a son public et que tout est à reconstruire à chaque fois. Cela a déjà été une si belle aventure au Lucernaire ! C’est après avoir vu le spectacle que Bertrand Thamin, le codirecteur du Théâtre Montparnasse, m’a proposé de l’accueillir pour 60 représentations exceptionnelles. C’est une véritable rencontre et, effectivement, je me considère très chanceux.Le Gorille au Petit Montparnasse>> Réservez vos places pour le spectacle !
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