Jean-François Richet, le réalisateur de Mesrine et de L’Empereur de Paris est de retour avec l’efficace Mayday, un "Gerard Butler Movie" dont le héros est un pilote de ligne confronté à des kidnappeurs.
Cinq ans après l’expérience à moitié réussie de l’ambitieux L’Empereur de Paris, avec Vincent Cassel en Vidocq, Jean-François Richet s’est fait recruter par Gerard Butler pour Mayday : un thriller où le héros de 300 et La Chute de la Maison blanche joue un pilote de ligne dont l’avion se crashe sur une île paumée en Asie et peuplée de kidnappeurs/terroristes. Classique ? Mais Richet parvient à faire de Mayday un actioner très efficace, plus crédible et solide que son pitch de départ ne le laissait supposer.
En janvier dernier, le réalisateur nous expliquait justement comment il a pu s’emparer de Mayday et le tourner à sa sauce. Nous repartageons cette interview à l'occasion de la diffusion du film d'action, ce soir sur Canal +.
Comment est-ce que Gerard Butler vous a recruté pour tourner Mayday ?
Tu reçois un scénario de lui -en fait, par une boîte de production : Butler est à la fois le producteur, et la star du film. Rien ne se fait sans lui. Et tant mieux : même depuis Assaut sur le central 13, je ne voulais pas bosser pour un gros studio. Mes deux films aux USA, c’était pour des petites structures -je sais que tous les réalisateurs français qui vont là-bas en pensant faire la révolution se font écraser assez vite. En lisant le scénario de Mayday, je me suis dit que j’avais quand même une latitude pour y mettre mon empreinte, car le script que j’avais était un peu trop super-héros…
C’est-à-dire ?
Au départ le film était vraiment un peu trop over the top. Le personnage de Butler avait des capacités de pilote totalement hallucinantes : il y avait une course-poursuite avec deux hélicos, il faisait des loopings avec son avion de ligne, les méchants lui lançaient des grappins pour prendre l’avion d’assaut… J’ai dit à Butler que ça n'a aucun sens, tu ne fais pas ça avec un gros avion ! Et il l’a compris. Et on ne l’a pas fait. Même après les réécritures, il y avait encore des trucs comme ça mais je les ai quand même enlevées. (rires) Bref, j’en parle à Butler par Facetime, je lui dis que c’est trop pour moi. Qu’il fallait que le film revienne à un principe de réalité, de crédibilité. Il dit OK. J’envoie des notes aux producteurs, j’indique des changements, Butler est d’accord… et ils ont dû mettre de l’argent dans la réécriture pour de bon, parce que ça a été super rapide. Pas comme d’habitude ! On parle beaucoup avec Gerard : si ça se passe mal avec un acteur, tu es mort, surtout quand il amène l’argent -donc il a raison, et tu as tort même quand tu as raison. (rires) Il faut vraiment qu’on fasse le même film. Il avait vu les Mesrine, Blood Father et L’Empereur de Paris. Il connaissait mon cinéma. Et il comprenait ce que je voulais faire.
Mais il n’a pas vu vos premiers films français ?
Non, par contre, John Carpenter avait adoré Ma 6-T va crack-er, c’est pour ça qu’il a voulu que je fasse le remake d’Assaut. J’étais le premier à remaker Carpenter, à l’époque il ne voulait pas vendre les droits… Il dit en interview que le seul remake qu’il aime, c’est celui-là ! Assaut sur le central 13 m’a permis de faire Mesrine… et il n’y a pas une semaine sans que le film ne passe à la télé américaine. Et aux USA, la communauté noire, ils kiffent Assaut sur le central 13 ! Je ne sais pas s’il est devenu culte, c’est un bien grand mot, mais les gens m’en parlent.
Qu’est-ce que vous avez amené de neuf au script de Mayday ?
J’ai apporté des petits trucs : la décapitation à la machette, l’utilisation d’un gros fusil calibre 50 à la fin… Ils ont dit oui à tout, ahah !
Comment s’est passé la première rencontre en chair et en os avec Gerard Butler ?
J’ai rencontré Butler en vrai à Porto Rico pendant les repérages. On a beaucoup parlé -du scénario d’abord, et de tous les aspects de la production ensuite. Qu’est-ce que je voulais changer ? Qu’est-ce qui me ferait aller plus vite ? Etc. Un vrai producteur. Il a tout fait remonter à Marc Butan, un des producteurs du film. Il a aussi protégé ma vision de metteur en scène. S’il n’avait pas été là, certaines de mes idées auraient été sucrées. Par exemple, la bagarre en plan-séquence. D’habitude une scène pareille, c’est trois jours de tournage découpé en trois-quatre séquences. Avec des inserts sans l’acteur principal, avec le cascadeur filmé de dos… Là, je voulais tourner sans doublure, en une seule prise. Et seulement quelques personnes étaient au courant : le chef opérateur, le chef cascadeur, l’assistant réalisateur, et évidemment Gerard… les producteurs n’étaient pas au courant. Première prise : il le fait -sans doublure, donc- et il n’y arrive pas, on est en sueur, il fait 40°… Je lui ai dit : "écoute, on a trois jours pour tourner ça, si on perd une demi-journée pour ne rien faire ça ne va pas marcher." Il me répond : "ne t’inquiète pas, la prochaine je l’ai." Deuxième prise : boum, il le fait. C’était le deuxième jour de tournage. Il est super content : "à Hollywood, ils ne vont pas en revenir !" Un producteur arrive, regarde ça sur le moniteur et me demande : "vous allez pas vous couvrir ? Faire une deuxième prise ?" J’ai dit non… Rien à foutre du studio ! (rires) Mais si Gerard était pas là… j’aurais été obligé de me couvrir, en tentant de masquer les inserts au montage. En tant que réalisateur, je me devais de proposer un truc neuf, excitant. Mais qui a du sens. Je lui ai dit qu’il fallait qu’on soit avec son personnage, qu’on aie mal avec lui, qu’on le voit galérer, souffrir, grimacer… Quand il a compris ça, il y a été à fond. Il s’approprie le truc et ça devient aussi son idée.
Justement, comment proposer du neuf dans le cinéma d’action après John Wick ?
Ça va vous faire bizarre : je vois très, très peu de films d’action. Et je n’ai jamais vu un John Wick. Je veux pas faire l’intello, mais je bouquine vachement, je revois beaucoup de classiques… Je ne suis pas le public-cible, en fait. Mais je suis sûr que je prendrais du plaisir, hein. Connaissant un peu les équipes qui les font. Tu sens que c’est fait avec le cœur. Et que ce n’est pas cynique, comme franchise. Bon, promis, je vais les voir ! (rires)
Sinon, vous savez que vous auriez pu réaliser le prochain Astérix ? Guillaume Canet nous a dit que les producteurs recherchaient un réalisateur qui réunissait trois conditions : avoir remporté le César du Meilleur réalisateur, avoir tourné un film en anglais et avoir fait un grand succès populaire…
Ahah ! Il m’a piqué mon boulot, le salaud… je vais l’appeler ! (rires) Ceci dit, je comprends et c’est intéressant : avoir travaillé en anglais, ça veut dire que tu sais gérer la pression -et Astérix c’est un film cher donc tu dois savoir gérer ça- si tu as fait des entrées, c’est que tu esr reconnu par le public, et si tu as un César c’est que tu es reconnu par tes pairs, par la profession. Bon, j’ai été content d’avoir eu le César pour Mesrine, mais aujourd’hui je ne suis plus sûr d’aller le chercher si je l’avais.
Pourquoi ?
Parce que je fais du cinéma et pas de la politique, et qu’aujourd’hui les César font de la politique… C’était la vieille équipe, un peu patriarcale, qui m’avait ouvert la porte -j’étais quand même un branleur de banlieue qui avait fait Etat des lieux ! Aujourd’hui si tu ne penses pas comme leur équipe, tu n’es même pas invité.
Vous dites que vous ne faites pas de politique, mais vos deux premiers films étaient quand même Ma 6-T va crack-er et Etat des lieux, presque des manifestes…
Oui, mais ce sont mes films qui parlent pour moi ! C’était des petits budgets, pas des films de propagande politique qui coûtent 5 millions pour faire 40 000 entrées… Etat des lieux, ça a coûté 20 000 euros ! Quand je suis monté sur scène aux César, j’ai remercié le public et la profession. J’ai joué le jeu.
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