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En 2012, Julie Delpy ne mâchait pas ses mots dans les pages de Première à l'occasion de la sortie de 2 Days in New York. Cette comédie avec Chris Rock est diffusée ce soir à 20h45 sur Ciné+ Emotion. Découvrez qui se cache derrière son actrice et réalisatrice pétillante...

Depuis vingt ans, Julie Delpy vit entre Los Angeles et Paris. Les relations franco-américaines, elle connaît. La preuve (encore une fois) avec 2 Days in New York, une comédie hilarante et légèrement schizophrène qu’elle a réalisée et interprétée.PREMIÈRE : Dans vos comédies, il règne toujours un joyeux bordel et une bonne humeur foutraque très contagieuse. Est-ce que tout le monde est un peu fou dans votre famille ?JULIE DELPY : Mais non ! Ils ne sont pas fous, ils s’expriment beaucoup, c’est tout ! (Rire.) Je suis fille unique mais j’ai vingt-cinq cousins et cousines. Nos réunions de famille sont toujours très animées. On rit, on s’engueule, tout le monde parle en même temps... J’ai toujours tout dit à mes parents comme ils m’ont toujours tout raconté. Après, j’ai cru que c’était pareil partout, et j’en ai fait les frais ! Je n’avais pas compris que, parfois, il était préférable de se taire. Ça m’a valu beaucoup d’ennemis.Rassurez-nous : tous les Américains ne nous soupçonnent pas d’être des gros beaufs obsédés sexuels, sales et mal élevés ?Non ! Mais, dans le film, les Français ne sont pas beaufs, ce sont plutôt des hippies. Ils sont très rabelaisiens, quand même...Ça, oui. C’est vrai que les Américains préfèrent l’image de la France raffinée, avec la petite jeune fille mince et brune qui porte un béret, comme dans le dernier Woody Allen (Midnight in Paris, ndlr). Le côté rabelaisien de notre ADN les effraie, il va à l’encontre de leur morale, surtout en ce qui concerne le sexe. Après, tout ça reste très hypocrite. L’Utah est l’État d’Amérique où il y a la plus forte consommation de films pornographiques, et pourtant, ce sont des mormons – la pipe et la sodomie y sont punies par la loi ! Ce qui prouve bien, encore une fois, que ce sont les interdits qui créent la perversion. Aujourd’hui, à leurs yeux, vous êtes toujours la petite Française exilée aux États-Unis ?Ils ne m’assimileront jamais à une Américaine parce que les Français gardent une identité très forte ici. J’ai plein d’amis français à Los Angeles, et quand on se voit, on déconne à mort, on parle de cul, on dit plein de conneries, on bouffe, on boit. Si un Américain a le malheur d’être au milieu, il est complètement largué. Même mon mec refuse d’assister à ce carnage, il ne supporte pas !Comment avez-vous eu l’idée d’aller chercher Chris Rock pour jouer votre fiancé ?Je l’admire et j’ai écrit le rôle pour lui. C’est un comique qui a une véritable envergure politique aux États-Unis, une personnalité très importante pour la communauté afro-américaine. Dans mon film, je le fais discuter avec un portrait en carton d’Obama mais, dans la vie, il parle vraiment avec Obama ! Chris vient du stand-up, il a fait des films grand public avec Adam Sandler. J’aimais bien l’idée de le plonger dans un univers super indé.Vous réalisez des films incroyablement éclectiques. Ce serait quoi le point commun entre La Comtesse, Le Skylab et 2 Days in New York ?Le féminisme ? (Rire.)Est-ce qu’ils ne découlent pas aussi tous les trois d’une volonté d’exorciser votre phobie de la mort ?C’est vrai. Pour La Comtesse (biopic sur Erzsébet Báthory, une comtesse hongroise obsédée par le vieillissement qui se baignait dans le sang de jeunes vierges), le lien est évident. Quant au Skylab et à 2 Days in New York, je les ai écrits l’année où j’ai perdu ma mère. Je voulais lui rendre hommage en écrivant des films pleins de vie avec l’idée qu’on va tous mourir bientôt. J’ai toujours eu cette hantise absolue de la mort. Ma mère était très malade quand je suis née, j’ai vu des choses assez difficiles à digérer dès mon plus jeune âge.Ethan Hawke affirme que vous auriez eu beaucoup plus de succès en tant qu’actrice à Hollywood si vous ne vous étiez pas mise à réaliser...C’est certain. En France, le concept de femme cinéaste est plutôt bien accepté. Aux États-Unis, ce n’est pas encore le cas. Et lorsqu’on voit arriver une Kathryn Bigelow, elle fait des films de mecs. En même temps, j’aime bien ce challenge. D’une certaine manière, c’est peut-être pour ça que je vis à Los Angeles ! C’est un monde encore très machiste alors qu’on trouve aujourd’hui beaucoup de femmes productrices. Mais elles ne sont pas forcément "aidantes", bien au contraire. Il y a des femmes qui n’aiment pas les femmes, c’est comme ça. À Hollywood, si elles sont arrivées aux postes qu’elles occupent, c’est qu’elles ont dû se laisser pousser des couilles. Je discute tout le temps avec les membres de la Directors Guild, dont je fais partie, donc je sais de quoi je parle. Il y a 5 % de femmes réalisatrices, et les trois quarts de ces 5 % n’arrivent même pas à bosser. Quand j’ai des rendez-vous avec des patrons de studios, je sens une certaine angoisse dès que je leur parle d’humour, d’action ou de science-fiction. Dans les mentalités, il y a encore des sujets réservés aux hommes. Je devrais peut-être arrêter de rêver à ces films de SF que j’ai dans la tête depuis tant d’années pour reprendre mes études de sciences – j’étais très bonne ! Parfois, je vous jure, je n’ai qu’une envie : aller travailler à la Nasa.À votre arrivée aux États-Unis, on vous a proposé des grosses productions ou vous avez tout de suite eu cette étiquette d’actrice indé ?J’ai refusé plein de gros projets. Par exemple le truc de Mel Gibson avec les mecs peints en bleu... Comment ça s’appelait, déjà ? Braveheart ! La Momie, aussi, et quelques autres. J’ai quand même tourné un film hollywoodien, Le Loup-garou de Paris, une grosse daube qui m’a tout de suite calmée. J’ai peut-être eu tort de tout refuser car je serais sans doute dans une situation plus confortable aujourd’hui. Mais, si j’étais allée vers cette facilité-là, je n’aurais peut-être jamais fait mes films, alors...Contrairement à la quasi-majorité des actrices, vous n’avez jamais eu l’air de fantasmer sur une performance extrême dans un film sulfureux...Non, je m’en fous. Si je regrette de ne pas avoir travaillé avec Cronenberg, je ne regrette pas d’avoir refusé Crash. J’avais eu un accident de moto sur le tournage de Mauvais Sang, de Leos Carax, qui avait failli me coûter une jambe. Pour faire marcher l’assurance, on ne m’avait pas emmenée tout de suite chez le médecin. Du coup, ma jambe s’était gangrenée – une journée de plus et c’était l’amputation. J’en ai développé une peur bleue des accidents de la route. Je suis incapable de regarder un film avec de la tôle froissée, alors Crash, vous imaginez ? Pareil pour Antichrist. J’admire Lars von Trier, mais lorsque j’ai reçu le scénario, je venais de tomber enceinte et ma mère était en train de mourir. Il n’y avait pas moyen que j’aille me faire sauter dans les bois, enceinte de quatre mois et avec ma mère à l’hôpital. Et puis je ne supporte pas de me mettre à poil, les scènes de cul "sérieuses" me font toujours hurler de rire. Faut quand même relativiser : ma santé mentale est plus importante que de travailler avec de grands metteurs en scène. Si une actrice moins connue que Charlotte Gainsbourg avait fait Antichrist, ça lui aurait foutu sa carrière en l’air. Souvenez-vous de Maruschka Detmers quand elle a tourné Le Diable au corps, de Bellocchio... Si vous n’avez pas un statut suffisamment important pour qu’incarner un tel rôle paraisse cool, ça vous abîme.Avez-vous vraiment affirmé à Sundance que vous vouliez arrêter de jouer la comédie ?N’importe quoi ! Encore un journaliste qui a écrit ce qu’il voulait entendre... Le pauvre a des circonstances atténuantes, cela dit. Sundance est un endroit où on voit des gens devenir fous d’épuisement. J’ai moi-même été hospitalisée pour une migraine, j’ai cru que j’allais crever. D’ailleurs, Bingham Ray (producteur qui a succombé à une crise cardiaque lors du dernier festival) en est mort. Les gens font la fête, dealent des contrats au milieu de la nuit, t’appellent à 4 heures du mat’, bouffent trois chips en quatre jours... J’ai mis trois semaines à m’en remettre. Mais non, j’adore jouer. Ce que j’aime moins, c’est lécher les culs. Juste avant 2 Days in Paris, j’avais pris rendez-vous avec une agence pour qu’elle me représente. On m’avait demandé : "Es-tuprête à te repositionner ?". Et moi : "C’est-à-dire ?" – "Il faut se rendre aux fêtes, démarcher les gens, faire du networking, etc." OK, laissez tomber. Ça, j’ai jamais su faire...Avez-vous déjà regretté d’être partie vivre aux États-Unis au début des années 90 ?On fait quoi avec des regrets ? De la soupe ? Je suis partie parce qu’on ne me proposait rien en France depuis deux ans. Tout le monde me critiquait, certains journaux m’ont détruite. J’étais grillée auprès de plein de gens parce que j’avais ouvert ma gueule en disant la vérité sur certaines personnes influentes et que le copinage marche très bien en France. Je me suis fait sacquer, littéralement. À chaque fois que j’étais nominée pour un film (deux nominations au César du meilleur espoir, pour Mauvais Sang, en 1987, et La Passion Béatrice, en 1988), on ne me donnait pas le prix. J’ai toujours été rejetée par l’establishment. Je ne figurais jamais sur les listings des télés, des médias ou des producteurs. Dans un bouquin, John Boorman raconte qu’au moment où il me voulait pour Broken Dream, un film que la France devait produire, avec River Phoenix, il y a eu un veto contre moi. Les seules propositions que j’ai eues ensuite sont venues de l’étranger. Je ne suis pas parano, hein, c’était la réalité. Alors, des regrets ? Sûrement pas.Interview Stéphanie Lamome2 Days in New York, ce soir à 20h45 sur Ciné+ Emotion