Les Femmes Ou Les Enfants D'Abord

Manuel Poirier fait des films qui lui ressemblent. Soucieux d'amour et de tendresse humaine, il milite afin qu'on regarde et qu'on profite dès aujourd'hui des roses de la vie… et ses histoires sont pleines d'une simple poésie.
Il nous raconte la vie de gens sur des sentiers champêtres, comme dans nombre de ses films (A la campagne, Marion, Western). Tom est papa. Il a une maison, une femme qu'il exaspère souvent, un travail qui l'exaspère un peu, deux enfants, une voiture : une vie rangée. D'un peu d'ennui en peu d'ennuis, les publicités de crèmes amincissantes ou de lingerie féminine placardées sur les murs l'emmènent vers des rêves aseptisés. A défaut d'autre chose, il regarde les belles jeunes filles à la terrasse des cafés. Une vie avec trop peu de jouissance, un peu désespérante au point de se laisser-aller peut-être à divorcer. Et puis son amour de jeunesse revient dans sa vie après dix ans d'absence. Virginie l'appelle au moment où il pourrait avoir une maîtresse et tromper sa femme par désinvolture. Or, elle lui apprend qu'il a une fille de dix ans, Nina. Surendettée, sa mère ne peut plus subvenir à ses besoins et en perdu la garde. Pourrait-il l'adopter ?C'est toujours en abordant très concrètement les inepties sociales que Poirier les critique. Ici, l'équation est posée très simplement, sans insistance. Les crédits impayés mènent à ce qu'on vous prive de votre enfant et cette justice là est incompréhensible. Séquence suivante.
Voilà donc un père hébété de savoir qu'il a une fille quelque part sur terre et qu'il ne connaît pas, abasourdi de se dire qu'il est possible qu'une femme laisse un homme dans cette ignorance. C'est si incroyable que cela en devient drôle. Confronté à cette réalité, il devra regarder le monde autour de lui, en prendre la mesure pour décider quelle est l'attitude la plus responsable.Sa crise de la quarantaine devient alors un sujet secondaire, reste l'essentiel. Il prend pleinement conscience de ce qui l'entoure : une famille unie, où les enfants rois sont heureux de vivre, une femme avec qui il vit, qui l'aime, qui aime faire l'amour aussi. Entre temps, il faut expliquer et comprendre, aider les amis, les voisins, se faire aider aussi. Les dialogues pleins d'une tendre justesse sont attendrissants de vérité. Doucement comiques, ils révèlent l'ineptie des situations.Si la vie est compliquée c'est parce qu'il y a de l'amour - ou pas assez, ou pas comme il faut - pourtant il s'agit toujours de cela, pour tout le monde, du gendarme au travailleur social. Mari, homme et père, trois statuts, trois fonctions avec lesquels il faut jongler et marier tout cela ; les mecs n'en finissent pas de se poser des questions. Ils revendiquent leur paternité et s'assurent de plaire encore aux filles. Pour masquer les frustrations, il y aura toujours les beuveries entre potes.Les acteurs semblent faire partie d'une même famille, comme si dans le travail hors-champs ce genre d'unité était tout aussi vitale. La sincérité de ce film en devient alors encore plus touchante. Car les questions se posent décidément aussi bien devant que derrière la caméra. Le cinéma ne sert pas qu'à nous raconter une jolie histoire. Si on peut critiquer cette apologie du bonheur en famille, si on peut voir dans ces dîners entre voisins et entre copains quelque chose d'un peu trop exclusif pour être honnête, on peut au moins reconnaître au réalisateur l'envie de perturber son monde. A l'image de la séquence finale où Manuel Poirier apparaît complètement saoul demandant au premier venu - qui est aussi son acteur principal et son ami à la ville - ce qui est "important dans la vie" ? L'amitié, l'amour, le sexe, les copains, la tendresse, oui, tout cela est important sauf qu'on est tout seul pour s'en débrouiller. Un peu tragique mais un peu léger, parce que finalement, c'est bien à notre santé qu'on boira.Les Femmes ou les Enfants d'abord
de Manuel Poirier
Avec : Sergi Lopez - Marilyne Canto - Serge Riaboukine...
France - 2002 - 2h00
Sortie le 20 mars 2002
- Lire l'entretien avec Manuel Poirier (mars 2002)
- Lire la chronique du film Les Femmes ou les Enfants d'abord (mars 2002)