Première
par Sylvestre Picard
Dieu n’est pas mort. Il parle à travers la bouche d’un petit garçon à Moïse, embrasant les pulsions guerrières du prince d’Egypte déchu et exilé afin de le faire libérer le peuple hébreu du joug égyptien. C’est la plus belle idée de cinéma "d’Exodus : Gods and Kings". Représenter l’inreprésentable par un petit garçon qui ne semble habiter que l’esprit de Moïse. (...) Le film respire à l’aide de cette dialectique incessante entre raison et foi, entre réalisme et imaginaire. Ainsi les plaies d’Egypte sont traitées à la fois comme faisant partie d’un cycle naturel mais aussi comme des phénomènes inexplicables, et l’intelligence du film est de laisser planer le doute. En ce sens, "Exodus" se rattache moins à "Gladiator" qu’aux péplums dissonants et dégénérés du 21ème siècle -"Alexandre" d’Oliver Stone, "Noé" d’Aronofsky- qui, sans renier le grand spectacle visionnaire inhérent au genre, exposent la folie du pouvoir et les destinées singulières de ceux qui l’incarnent. Ici, le combat d’un homme pour libérer son peuple. On peut bien y plaquer ce qu’on veut dessus, surtout qu’il s’agit de la Bible."
(...)C’est là l’audace du film : montrer Moïse non comme un barbu ombrageux à la Heston, mais bien comme un guerrier exalté (la marque du scénariste Steven Zaillan est indéniable), traversé de pulsions homicides (après avoir appris sa vraie origine, de rage, il bute deux hommes), en plein trip mystique, mettant en scène son épiphanie et sa propre légende – et ce n’est pas un hasard si le film cite visuellement John Ford, autre cinéaste du mythe. "Je parle avec Dieu", dit Moïse à Ramsès en lui plaçant son épée sous la gorge. "Quel dieu ?" répond, innocemment, le pharaon. Tout est dit, même s’ il faudrait aussi souligner le pessimisme du film, qui refuse la glorification et l’héroïsme (Moïse contemple les exécutions des Hébreux sans sourciller). "Exodus", en fin de compte film radicalement athée, raconte à travers Moïse comment le mythe devient histoire, la foi devient loi.
(...) De la scène de bataille d’ouverture à celle -fabuleuse- du passage de la Mer rouge, véritable climax orgasmique, Scott déploie sa maîtrise d'un cinoche monumental traditionnel. Malgré sa durée, le film passe comme un éclair, et on sent que Scott a beaucoup taillé dans son matériau, se focalisant sur Moïse, composé sobrement par Christian Bale dépouillé comme jamais, et traitant un peu moins bien les seconds rôles, entre inexistence et hésitation -Joel Edgerton, intense et écorché, cherche un peu son Ramsès mais finit par le trouver au cours d’une scène d’une violence inouïe où il présente à Moïse le corps de son premier-né, tué par l’Ange exterminateur.