Première
par François Grelet
Une poignée de semaines après l’hallu Tintin, déferlante de cinéma virtuel épileptique carburant à la 3D et à la performance capture, débarque donc Cheval De Guerre, mélo rétro coincé au beau milieu de 14-18 qui sent bon la verdure du Devon, l’âge d’or hollywoodien, et dont Spielberg se vante un peu partout qu’il ne contiendrait que trois plans retouchés numériquement. Plus qu’un antidote, cette opposition de styles est surtout une manière de faire plaisir à tout le monde, art dans lequel le réalisateur a toujours eu dix temps d’avance sur la concurrence. Ceux qui avaient peu gouté à la vitesse et la modernité de Tintin achèteront leur ticket les yeux fermés face à la promesse old school du pitch ; les accrocs à la pyrotechnie seront de la partie pour plonger dans les sidérantes scènes de bataille filmées en « dur » et au ras des tranchées ; les exégètes spielbergiens, eux, auront forcément en tête l’année 93, marquée par les sorties coup sur coup de Jurassic Park et de La Liste de Schindler, combo aux antipodes dont on mesure encore l’étendue des traces sur certaines joues.
Comme toujours chez Spielberg, l’impression initiale est forcément réductrice, et le contrepied annoncé s’avère un peu plus retors que prévu. Exactement de la même façon que Les Aventures de Tintin nous priait de bien vouloir croire en l’incarnation de ses héros virtuels, Cheval de Guerre se construit tout entier autour d’un pari de cinéma insensé, consistant cette fois à raconter la Première Guerre Mondiale à travers les yeux d’un cheval-miracle (baignant d’ailleurs, comme E.T., dans une imagerie christique limpide). Ceux qui pensaient assister à un remake de L’Étalon Noir risquent d’être surpris : ici, tout est raconté du point de vue de la bête et non du gamin. L’idée est aussi brillante que le renversement des valeurs, gonflé. Spielberg s’autorise alors toutes les audaces stylistiques possibles, puisqu’il s’agirait ici de figurer, sans recours aux dialogues, évidemment, le chemin de croix d’un animal propulsé sans sommation du paradis vers l’enfer. Et le film de troquer son taux de glucose redouté, à base de câlinoux dans les pâturages, pour un déchainement de poésie animiste, graphiquement sans équivalent. On pourrait alors croire à un exercice de style haute-couture, où l’agencement des images compterait in fine bien plus que celui du récit. Chez Spielberg, cinéaste universel par excellence, ça tient autant de l’évidence que de la révolution… À première vue, seulement.