Machine Arte
Arte France

Les créateurs, Fred Grivois et Thomas Bidegain, nous expliquent comment ils ont pensé cette série martialo-marxiste complètement folle. Ou la politique imprimée à coups de tatane !

C'est un grand écart que même Jean-Claude Van Damme n'oserait pas faire ! Machine, qui sera diffusé jeudi soir sur Arte et qui est déjà disponible en ligne sur la plateforme Arte.tv, réussit l'incroyable association du kung-fu et de la philosophie. Un mixe extravagant entre la série de baston qui castagne à tout va et la réflexion sociale, sur fond d'éducation au Marxisme. Le concept a de quoi surprendre, mais il est totalement assumé par Fred Grivois, réalisateur à l'initiative du projet.

"Je planchais sur une idée de film d'horreur, avec Noé Debré, et on avait un mal fou à trouver quelque chose qui nous fasse encore peur", raconte-t-il à Première. "On est ainsi arrivé à la conclusion que, de nos jours, les Français n'ont plus peur de grand chose... à part du chômage ! La vraie angoisse, c'est de perdre son job ! Pour parler de ça, j'ai eu envie d'une autre approche. De créer une série qui parlerait à mes enfants, leur montrant que la lutte des classes n'est pas un concept mort. Que la lutte des classes, c'est encore quelque chose de cool. Et pour mes filles, j'ai voulu l'incarner par une héroïne qui ne soit pas une victime, comme c'est souvent le cas au cinéma." C'est donc avec une ambition très politique que Fred Grivois s'est lancé dans Machine ou l'histoire d'une ancienne soldate des forces spéciales françaises, en désertion dans le Grand Est. Employée discrète dans une usine de machines à laver, elle va se lier d'amitié avec un ouvrier marxiste et philosophe, qui va lui apprendre la lutte des classes, tandis que la jeune femme tatane tous les vilains qui se dressent sur sa route et tentent de délocaliser l'outil de production...

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Avant même de lancer des high-kicks spectaculaires, l'idée derrière la série était clairement de montrer "qu'être de gauche, ça peut être fun ! Au passage, on dénonce aussi quelque peu le syndicalisme moderne, trop éloigné de celui de Henri Krasucki avec lequel j'ai grandi. Pour mes enfants, aujourd'hui, le syndicalisme, ce sont des gens qui font des merguez dans des manifs ! Moi, j'ai la conviction que le combat se fait à coups de poings."

De fil en aiguille, le cinéaste - qui a signé La Résistance de l'air (2015) ou le polar Piste Noire (2023) - commence à imaginer cette série d'action à double sens, qu'il va peaufiner avec Thomas Bidegain, doublement césarisé (pour Un Prophète et De Rouille et d'os) : "J'aimais l'idée d'un combat social associé à la baston habituelle", confirme le co-scénariste. "C'est de l'action intelligente. Parce qu'on peut faire de l'action sans être un bourrin, en racontant des histoires contemporaines et très ancrées dans le réel."

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Alors pourquoi du kung-fu ? Parce que l'influence de Tarantino ? Parce que cette Machine a un petit côté Kill Bill avec sa combinaison jaune ? Pas du tout. Thomas Bidegain nous avoue même n'avoir jamais vu la fin du dyptique tarantinesque et préfère citer Jean-Luc Godard (qui aimait paraphraser Koltès) : "Je préfère les films de kung-fu aux films politiques, parce que dans les films de kung-fu il y a toujours un peu de politique alors que dans les films politiques, il n'y a jamais de kung-fu !" Une maxime qui a guidé la vision des deux créateurs de bout en bout. "Les oeuvres politiques sont terriblement sérieuses et s'adressent à des gens déjà très éduqués", détaille Fred Grivois. "Même Athena de Romain Gavras s'adresse finalement aux bourgeois. Ça choque le bourgeois mais ça ne se parle pas aux jeunes qui auraient besoin d'être ramenés vers le politique. Machine veut montrer que la politique peut être un truc actif, cool." Avec dans un coin de leur tête le film français de René Viénet, La dialectique peut-elle casser des briques ? (1973) - dans lequel des Situationnistes doublent un vieux film de kung-fu avec des propos marxistes extrêmement sérieux - le parcours de Machine est ainsi raconté "comme un engagement. Celui d'une femme qui veut se cacher, mais va se battre et pas seulement pour elle. Elle se bat finalement pour le collectif. Au-delà de tout ça, la série défend la réappropriation de l'outil de production par le prolétariat. Il y a derrière ça l'idée du travail sans le capital. Comme le dit Emmanuel Macron qu'on cite au début de la série, il faut relire Le Capital de Marx. Et ainsi remettre à l'ordre du jour la lutte des classes. On est dans un monde où il y a plus de conflits sur l'identité et moins sur les classes. Or, c'est un concept qui est toujours valide."

"On utilise le kung-fu comme un moyen de parler de Marx"

Mais un concept assez peu sexy à vendre de nos jours, dans un petit écran noyé sous les contenus et le divertissement. Alors pour rendre le message plus digeste, Machine offre une analogie du combat social à travers de la baston cinglante. "On utilise le kung-fu comme un moyen de parler de Marx. Au-delà des combats, on a voulu mettre de la théorie pure. Il y a un but pédagogique à cette série. On cherche à expliquer la lutte des classes à un public qui ne regarderait pas ce genre de série, s'il n'y avait pas eu de kung-fu. En ça, le genre est un peu un Cheval de Troie. Ça permet de rentrer dans des univers parfois austères. Le genre est assez démocratique d'une certaine manière."

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Les créateurs de Machine ont quand même eu du mal à trouver une écurie pour héberger leur Cheval de Troie. Rares sont les diffuseurs qui ont voulu se lancer dans ce projet coûteux (parce que beaucoup d'action) et pourtant intellectuel (parce que Marx). "On nous a répondu ici et là que la série était trop communiste" s'amuse Thomas Bidegain. "C'est souvent comme ça quand le sujet est très politique."

"'On a réussi à faire une série de kung-fu avec Arte et à vendre à Amazon une série sur la réappropriation de l'outil de production par le prolétariat !"

À l'arrivée, Machine débarque sur Arte avec l'étiquette improbable d'une série 100% baston, qu'on ne s'attendrait pas à voir sur la chaîne franco-allemande : "C'est possiblement une première en France", renchérit Fred Grivois. "Il n'y a pas de série en France qui ait autant de minutages de combats que nous. Ce n'est jamais arrivé." Et dans le même temps, les producteurs ont réussi à dealer une coproduction avec Prime Video, qui reprendra la série dans son catalogue a posteriori. Improbable, compte tenu des valeurs marxistes ostensiblement défendues par Machine, à des années-lumière de l'image du géant Amazon : "Ce qui est chouette, c'est qu'on a réussi à faire une série de kung-fu avec Arte et à vendre à Amazon une série sur la réappropriation de l'outil de production par le prolétariat" se réjouit Thomas Bidegain. "C'est une série bourrée de paradoxes à tous les niveaux, qui permettront de toucher tout le monde j'espère. Sans kung-fu, on n'aurait peut-être pas eu Amazon et sans Marxisme, on n'aurait peut-être pas eu Arte. Et avoir les deux a permis à la série d'avoir le budget nécessaire pour exister." Qui sait faire le grand écart aussi bien ?

Machine, saison 1 en 6 épisodes, à voir sur Arte les jeudis 11 et 18 avril (et dès le 4 avril sur arte.tv)


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