Au pic de son rayonnement planétaire, l’anthologie de Charlie Brooker marque le pas. Moins de réussite, moins de capacité à surprendre, mais aussi plus de métier.
Un prototype déboule sur le marché dans un rugissement à tout casser, sans notion du lendemain. Racheté par une multinationale, il se professionnalise, se décline et renonce à certaines de ses qualités premières, telle que l’exclusivité, pour répondre à la demande. Ce qui au début paraissait frais et novateur devient prévisible et besogneux. C’est l’histoire de la pop culture dans son ensemble, et Black Mirror commence à en savoir quelque chose. Maintenant qu’elle est officiellement devenue une série, loin du phénomène punk et raréfié des débuts (sur Channel 4), la Quatrième Dimension 2.0 tire la langue pour rester dans le coup. Charlie Brooker, créateur et unique scénariste, redouble d’effort, ça se sent, pour inventer de nouvelles formes et rester fidèle, coûte que coûte, à son idée (fixe ?) de techno-futur cauchemardesque. Les auteurs sont un peu trop habitués à fabriquer le show, et nous à le regarder. Ce qui ne veut pas dire que cette saison 4 ne déborde pas de style et de maestria visuelle. Simplement, elle a fait le tour du concept.
Black Mirror saison 4 : "Je ne pense pas qu’on sera un jour à court d’idées »
Guide des épisodes (et forcément quelques spoilers, à lire à vos risques et périls).
Arkangel *
Après l’avoir égarée une fois de trop, une mère surprotectrice installe un logiciel de surveillance dans le cerveau de sa fille.
Sur sa tablette, à tout instant, la maman a un accès direct à ce que voit/fait sa fille. Quel parent (cinglé) n’a pas rêvé d’espionner son gosse sur son iPad ? Le système relié au cerveau du bambin est équipé d’un filtre qui floute les images violentes du quotidien. La question de l’influence de la censure parentale sur le développement de l’enfant est intéressante, mais l’épisode la traite comme un message de prévention (la fil- lette devient ado, découvre la drogue et les garçons). Un pensum lourdingue qui prouve toutefois la capacité du show à accueillir et cultiver les sensibilités extérieures. Famille dysfonctionnelle, aigreur des sentiments, ciel bas, ambiance Sundance... Ça ressemble très exactement à un film de Jodie Foster. En moins bien.
Réalisé par Jodie Foster, avec Rosemarie DeWitt, Owen Teague...
Hang the DJ ***
L’appli de rencontres à la mode s’occupe de tout : fabriquer les couples, les briser, décider du nombre d’heures, de jours ou d’années qu’ils passeront ensemble. Deux débutants se rendent à leur premier rendez-vous.
Ils n’ont que douze heures... L’épisode « léger » de Black Mirror. Il y en a un chaque saison. Celui-ci a des accents explicites de romcom british ; comme un film de Richard Curtis qui ne tiendrait pas en place. Cinq heures de sexe torride ou deux ans de compagnonnage forcé ? Laissez la chance décider. Faites confiance à l’algorithme... C’est mignon, ça rappellera des choses à ceux qui connaissent la litanie des rendez-vous Tinder, et le twist final réussit son petit vertige conceptuel. Mais tout cela semble un peu trop familier, comme un écho de San Junipero ou de Her de Spike Jonze, ce Black Mirror qui n’en était pas un, et que Charlie Brooker refuse toujours de voir.
Réalisé par Tim Van Patten, avec Georgina Campbell, Joe Cole…
Crocodile ***
Après avoir causé un accident, un homme et une femme passent un pacte de silence qui les lie à jamais. Mais des années plus tard, les souvenirs ressurgissent. Et les souvenirs, de nos jours, sont dangereux.
Crocodile met en scène un monde où la mémoire, extractible à l’aide de petits moniteurs connectés, n’est plus une affaire privée. Si vous êtes témoin de quelque chose, la machine le saura. Si vous avez fait quelque chose, aussi... John Hillcoat s’amuse à fouil- ler les recoins de la mémoire (de l’image) pour reconstituer des scènes de foule à angles multiples, comme si De Palma tournait un « scandi-noir » à l’ère numérique. Encadré par les paysages glaçants de l’Islande, le film s’enfonce dans une spirale de violence nauséeuse. Jusqu’au final coup- de-poing aux résonances sinistres, typique du nihilisme goguenard de la série.
Réalisé par John Hillcoat, avec Andrea Riseborough, Andrew Gower…
USS Calister **
L’employée d’une société informatique se retrouve propulsée dans une simulation de jeu inspirée d’une série SF des années 60 (clone de Star Trek). Pourra-t-elle en sortir ?
D’une durée de 74 minutes, c’est le plus long du lot. Trop long, pour ce qui n’aboutit en fin de compte qu’à une (parodie de) sitcom bavarde maintenue en l’air par un dispositif « matrixien ». Tout ce que l’histoire soulève de potentiellement intéressant (éthique de la vie digitale, oppression en ligne) reste claquemuré derrière des clins d’œil et des rires convenus. Et on repassera pour l’originalité : après la parodie de James Bond, l’hommage à Star Trek est probablement le truc le plus usé dans le répertoire... Destiné à devenir un favori chez les Britanniques. Mais pas à Première.
Réalisé par Toby Haynes, avec Jesse Plemons, Cristin Milioti...
Metalhead **
Dans un monde post- apocalyptique en noir et blanc, une femme seule doit survivre aux assauts d’une machine infernale.
L’épisode le plus court de toute l’histoire du show (38 minutes). Une idée de ce que peut donner un épisode de Black Mirror dans une économie narrative et visuelle qui est (presque) celle du cinéma expérimental. Dopé au challenge, l’esthète David Slade (30 Jours de nuit) se laisse aller à un exer-cice de style Métal hurlant (il a exigé le noir et blanc) que n’auraient pas renié les jeunes Luc Besson (Le Dernier Combat) et Richard Stanley (Hardware). L’actrice fait le job et le design de la « bête » met sur les nerfs. C’est plutôt efficace. Joliment photographié. Assez vain.
Réalisé par David Slade, avec Maxine Peake, Clint Dyer...
Black Museum ****
Une jeune Anglaise parcourant les États- Unis tombe par hasard sur un musée abandonné au bord de la route. Son conservateur lui ouvre les portes et lui fait visiter les lieux…
Brooker le compare aux Treehouse of Horror des Simpson (les épisodes d’Halloween), mais Black Museum a plutôt l’ironie méchante et le goût de la transgression adulte des EC Comics des années 50. Douglas Hodge compose un hôte délicieusement creepy, inventeur fou et bonne pâte énumérant ses grands faits d’armes : lorsqu’il a donné à ce médecin la capacité de ressentir la souffrance de ses patients pour mieux les diagnostiquer, ou lorsqu’il a mis en boîte l’âme digitale d’un homme noir accusé de meurtre, qu’il offre à l’électrocution aux clients de passage... Une collection bien dérangée, avec un petit côté easter egg poilant (les objets exposés font référence à d’autres Black Mirror). Mérite le coup d’œil si vous êtes dans le coin. Réalisé par Colm McCarthy, avec Douglas Hodge, Letitia Wright...
Black Mirror saison 4, le 29 décembre sur Netflix.
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