Avec The King’s Man : Première mission, Matthew Vaughn remonte le temps jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale. Une origin story de sa franchise d’espionnage dans les coulisses de l’Histoire, sous la forme d’un grand film d’aventure comme on n’en fait plus. Rencontre.
Ce soir, W9 remettra à l'honneur le préquel de Kingsman, sorti en toute fin d'année 2021 au cinéma. Nous repartageons notre interview de son créateur pour patienter jusqu'à cette soirée remplie d'action.
En 2019, Matthew Vaughn nous parlait de sa nostalgie pour des films d’aventure à l’ancienne « qui en mettaient plein la gueule et qui remplissaient l’écran. » Un genre en désuétude que le réalisateur de Layer Cake, Stardust ou Kick-Ass a décidé de réinvestir avec The King’s Man : Première Mission. Il y raconte la genèse de sa saga d’action-espionnage dans l’ombre de la Première Guerre mondiale, avec en toile de fond un complot mortel entre les pires tyrans et les plus grands génies criminels de l’Histoire. Jusqu’à ce qu’un aristocrate pacifiste, le duc d'Oxford (Ralph Fiennes), ne décide de contrecarrer leur plan en montant le premier réseau d’espionnage indépendant… En 2020, alors que le film s’apprêtait à sortir (et a ensuite été repoussé d’une grosse année), Vaughn nous racontait son jeu du chat et de la souris avec les studios hollywoodiens et son rapport au cinéma d’aventure.
Première : Au bout de trois films, plus trop de doutes : vous êtes devenu un réalisateur de franchise. Ce qui aurait été difficile à imaginer il y a encore quelques années…
Matthew Vaughn : Alors vous m’aviez peut-être mal catalogué ! Je n’ai aucun problème avec les franchises, et j’ai toujours su que je voulais faire du « big cinema. » Sauf que j’étais bien conscient que je devais prendre mon temps pour y arriver. J’estime que ça doit être progressif, qu’il faut gravir les échelons petit à petit, apprendre à maîtriser son art. Et ce n’est pas ce qui se passe à Hollywood en ce moment : des réalisateurs débutants qui n’ont qu’un film à quatre millions de dollars au compteur se retrouvent à piloter des engins à un milliard. Et évidemment, ça se passe mal. C’est comme si un boxeur débutant allait chatouiller Mike Tyson. C’est le KO assuré.
Et j’imagine que c’est plus facile de vendre un film à un studio quand on peut se reposer sur une marque établie.
Totalement. Si je m’étais pointé en disant que je voulais faire un gros film d’aventure avec des acteurs britanniques, ils m’auraient dit : « Merci, au suivant. » Mais si tu arrives en parlant d’une idée de préquel de Kingsman, là ça change tout… Tu as leur attention. C’est un petit tour de passe-passe.
Ça ne vous embête pas d’être obligé de jouer ce jeu-là à près de 50 ans ?
Mais enfin ! Vous êtes bien naïf ! C’est Hollywood ! No offense, mais ces gens sont des comptables, ils n’aiment pas vraiment le cinéma. Et attention, je parle bien d’Hollywood en général, pas de Disney. Si Disney a réussi là où tout le monde s’est planté, c’est qu’ils assurent vraiment les arrières de leurs films, que ce soit Marvel, Lucasfilm ou Pixar. Leur plan, c’est de trouver des gens qui font des super contenus et de les soutenir jusqu’au bout.
Hum…
Non mais vraiment ! Les gens de chez Disney ont tout de suite aimé le projet de The King’s Man [la firme de Burbank a récupéré le projet après le rachat de 20th Century Fox]. Personne ne m’a dit : « Oh mon Dieu, un film d’époque ! » Ils étaient ultra chauds.
Donc vous allez rester bloqué sur des films Kingsman dans un futur proche ?
En temps que producteur, oui. En tant que réalisateur ? Qui sait ce qui se passera. Je ne me pose pas trop de questions. Je n’ai aucune idée de ce que sera mon prochain film.
En attendant, vous redonnez un coup de jeune au film d’aventure. Un genre qui a pratiquement disparu de nos écrans. Pourquoi ?
Aucune idée. J’imagine que les modes vont et viennent mais tout ça nous dépasse, ça se décide au plus haut niveau d’Hollywood. Par exemple, on n’avait plus vu un film de pirates depuis je ne sais combien de temps avant Pirates des Caraïbes. Quand on a proposé Arnaques, Crimes et Botanique, il n’y avait plus de films de gangsters. On nous disait : « Personne n’a envie de voir ça. ». Sauf que c’était faux : il y avait un public mais on ne lui donnait pas la possibilité d’aller en salles. Et après, quand ça a cartonné, tout le monde a voulu faire son film de gangsters. Et c’est devenu progressivement de la grosse merde. C’est un cycle.
Pour moi, le dernier vrai grand film d’aventure en date, celui qui coche vraiment toutes les cases du genre, c’est Tintin de Steven Spielberg.
Mouais. Je ne veux pas… Bref, c’était de la motion capture, pas un film live. C’est différent. Ça m’étonne moi-même, mais j’ai envie de vous citer les derniers Jumanji, qui partent vers l’aventure pure. Moi, j’avais une vision très précise de ce que je voulais faire, un truc vraiment épique, exaltant. Et je me suis tout suite souvenu de la backstory que j’avais écrite en imaginant l’univers de Kingsman. Tout collait parfaitement, les étoiles s’alignaient. Mais je ne me suis pas mis de barrières : The King’s Man peut aussi être vu comme un drame historique bourré d’action, avec un point de vue politique et pas mal d’humour.
Un melting-pot, quoi.
Ouais. Du coup c’est difficile de trouver le ton juste mais c’est l’intérêt. Faire des films ne devrait pas être facile. Je veux immerger le spectateur pendant deux heures, qu’il oublie l’existence du monde extérieur. Tout sauf l’ennui ! Dernièrement, j’ai eu une discussion un peu agitée avec un autre réalisateur : une critique de son film disait qu’il manipulait trop les émotions du spectateur, et ça l’avait carrément énervé. Mais putain, tope-là mec, c’est canon ! C’est notre boulot de manipuler les gens pour les rendre heureux, les faire vibrer… Qu’ils ressentent un truc, quoi ! J’essaie de recréer ce que je vivais quand j’allais en salles dans les années 80, alors que j’étais môme. Le logo Warner Bros., Disney ou Paramount arrivait à l’écran et c’était la promesse que j’allais vivre un moment à part. Et quand c’était vraiment bien, je ne voulais plus quitter la salle après le générique, j’avais envie de revoir le film. Sauf qu’aujourd’hui, tu peux compter sur les doigts d’une main ceux que tu as envie de revoir, parce qu’il n’y a rien de plus à analyser. Je me bats contre ça. Le cinéma, ça doit être de l’évasion. Bon, en ce moment, c’est un peu bizarre avec le Covid-19…
Ça a changé votre rapport à votre métier ?
Je crois que ça a bouleversé la vie de tout le monde, non ? Le vrai point positif pour moi, c’est que je suis en train de vous répondre tranquillement depuis mon bureau, une bonne tasse de thé à portée de main, au lieu d’être dans un putain d’hôtel. Après, pendant le confinement, ça a été super compliqué de terminer la fabrication du film. Impossible de faire le mixage sonore à la maison, je n’ai pas de table de mixage Atmos chez moi (Rires.) Le montage était au poil, mais à force d’avoir le temps d’y penser, tu finis par avoir envie de changer des choses… Je commençais à vouloir recouper des passages par pur ennui, à force de les voir et des revoir. Il a fallu qu’on me dise : « Non, arrête. On ne change rien et on fera juste le mixage sonore quand on le pourra. » Désormais c’est bon, mais je suis quand même là me demander si le film sortira bien au cinéma en septembre [NDLR : 2020. Finalement le film sort fin décembre 2021]… C’est très spécial. D’autant qu’on a vraiment pensé The King’s Man pour le grand écran.
Vous n’avez pas peur que la situation rende l’industrie encore plus frileuse ?
Il y a cette réplique dans The King’s Man : « Plus on craint quelque chose, plus ça a de chance de se réaliser. » On est une société de production indépendante [Marv Films], donc on recommencera forcément à faire des long-métrages. Le truc, c’est que je ne sais pas comment seront consommés les films à l’avenir. On est dans l’inconnu. J’espère que les cinémas tiendront le coup.
Vous ne vous voyez pas rendre les armes et passer sur les plateformes de streaming ?
Si les cinémas ne rouvraient pas, alors je serais bien forcé de le faire. Mais tant qu’ils seront ouverts, je ferai des films pour les salles.
The King’s Man se déroule avant et pendant la Première Guerre mondiale. Vous mélangez des événements réels et fictionnels, comme la création de l’agence Kingsman. Comment vous-êtes vous arrangé avec l’Histoire ?
On n’a absolument rien modifié. Tout est vrai. C’est d’ailleurs marrant, parce que certains de ceux qui ont vu le film m’ont dit que j’étais allé un peu loin. Que dalle ! Quand ils vérifient sur Google, ils sont sur le cul. L’Histoire est assez géniale en soi, pas la peine de la réinventer. Tout ce que j’ai fait, c’est la regarder sous un autre angle à travers mes personnages. Depuis les coulisses, quoi. Ma théorie sur ce qui a causé la Première Guerre mondiale est aussi valable qu’une autre. En tout cas, personne ne peut réfuter ce que j’ai écrit.
Sur le tournage, vous disiez viser un mélange de L’Homme qui voulut être roi [The Man Who Would be King en VO] et de Lawrence d’Arabie. C’est toujours le cas, plus d’un an après ?
Si je vous parle de L’Homme qui voulut être roi, la plupart des gens vont se demander ce que c’est que ce truc. Pas mieux avec Lawrence d’Arabie.
Quand même…
Vous et moi on sait, mais putain, je vous jure que la moitié d’Hollywood ne pigerait pas ! Vous seriez surpris. Le surnom du film était The Man Who Would be Kingsman, ça pose un peu les choses. C’est le film qui s’en rapproche le plus. Pour faire court : si vous n’avez pas aimé Kingsman, il est possible que vous aimiez celui-ci. Et si vous avez aimé Kingsman, alors vous allez adorez ce film (Rires.) Tout ce que je peux vous promettre, c’est que vous n’allez pas regretter de passer deux heures devant. C’est pas mal, ça, non ?
Commentaires