Le réalisateur de cette comédie réussie sur le sport a évidemment regardé les JO 2024 et il partage son avis éclairé sur les épreuves.
Qui mieux que Jérémie Sein pour parler des JO 2024 ? Avec L’Esprit Coubertin, le réalisateur a signé il y a quelques mois une comédie aussi hilarante qu’absurde sur le parcours d’un tireur pendant les épreuves. Un peu puceau, mais totalement génial, son héros incarné par Benjamin Voisin devenait à quelques jours de la fin de la compétition la dernière chance de medaille en or pour le pays. Moqueur, le film laissait percer toute l’admiration du cinéaste pour le sport et les compétiteurs. À la mi-temps de la quinzaine olympique (en plein quarts de finale de volley opposant la France à l’Allemagne), on a décidé de l’appeler pour parler de la gagne tricolore, des épreuves reines et de sa passion pour les sportifs un peu fêlés.
Jérémie, L’Esprit Coubertin était une satire bien perchée et bien insolente des Jeux de Paris. Est-ce que vous avez regardé les épreuves ?
Oui ! A fond. J’ai fait L’Esprit Coubertin en partie parce que le sport est une vraie passion - je trouve ça suspect quand j’entends des cinéastes expliquer qu’ils filment un sujet dont ils se moquent. On filme bien ce qu’on aime. Je regarde les jeux depuis le début. A la télé mais aussi en live : on m’a offert une place pour la finale du 100 mètre dimanche dernier et c’est un moment dont je me souviendrais toute ma vie !
On a beaucoup pensé à votre film en regardant les épreuves de tir. Paul Bosquet, votre héros incarné par Benjamin Voisin, était le “world champion of tir”. Vous avez vibré en regardant Camille Jedrzejewski décroché l’argent ?
Evidemment. C’était très émouvant. Pour la petite histoire, quand on a commencé les repérages pour le film il y a deux ans, on était tombé sur des entraînements de Camille ! Quelle classe !
Vous avez vu des moments ou des athlètes qui vous ont rappelé L’Esprit Coubertin ?
Pas tant que ça. Le tireur Turc avec ses lunettes de repos était quand même phénoménal. Il a d’ailleurs eu cette punchline que je trouve géniale : “J’ai pas besoin de cet attirail, je suis un naturel”... Paul aurait pu dire un truc comme ca. Il y a eu la tireuse sud-coréenne très cool, très charismatique, avec le doudou de sa fille qui dépassait de sa poche. Mais pour être franc, je n’ai pas vu de Paul Bosquet - sauf peut-être au tir à l'arc : Baptiste Addis, avec son bandana dans les cheveux, avait un look fantastique.
C’est vrai qu’on a vu apparaître des personnages très forts pendant ces jeux. Les frères Le Brun par exemple…
Ça, c’est fou ! Un ami m’a envoyé des textos pendant leurs matchs pour me dire que, maintenant qu’il sont connus, ils auraient forcément droit leur biopic télé ! Dès que tu connais leur histoire et que tu les vois jouer, ça nourrit ton imaginaire. Et plus globalement, sur certains aspects, la réalité a totalement dépassé la fiction.
Vous pensez à quoi ?
Dimanche, j’ai pu assister à l’athlétisme. Quand j’ai découvert les grosses têtes en carton des athlètes porté par les spectateurs des tribunes, je me suis dis que si j'avais eu cette idée là, j’en aurais fait quelque chose dans le film. J’imaginais le public arborant la tête de Paul, un peu comme dans Eyes Wide Shut… Ça aurait été magnifique. Et puis j’ai vu cette sauteuse australienne, une jeune évangéliste qui écrit et dessine son concours pendant qu'elle passe les épreuves. Elle se dessine passer la barre, courir sur la piste… Et quand elle est sur le sautoir, on l’entend dire “Thank God”. C'est un personnage fascinant. A côté d’elle il y avait l'ukrainienne championne du monde qui fait une petite sieste entre ses sauts. Elle fait son concours et puis va s’enfouir dans son sac de couchage, comme dans un avion. J’avoue que, parfois, je regardais ces jeux comme un réservoir d’attitudes et de fictions. A deux ou trois reprises, je me suis dit : “Ah, si j'avais pu avoir cette idée là !” J’avais d’ailleurs eu une idée un peu similaire au carnet de la sauteuse australienne. Paul Bosquet avait à l’origine un petit cahier dans lequel il faisait les récaps de tous ses tirs. Il ne reste qu'une scène avec dans le film. Mais si j'avais vu l’Australienne avant, j’en aurais sans doute fait quelque chose de plus dramaturgique et ramené du narratif.
L'Esprit Coubertin : exceptionnel Benjamin Voisin [critique]Des doudous, des dessins, le carnet… Vous relevez surtout les choses qui ont trait à l’enfance.
C’était la thèse de L’Esprit Coubertin. Tout ce qui à avoir avec les Jeux renvoie à un côté enfantin. Et je crois que tout le monde se prête aux Jeux un peu pour ça aujourd’hui. Si on regarde autre chose que les épreuves, le monde paraît terriblement angoissant. On est à deux doigts de la guerre, il y a un Krach qui se profile…
Vous parliez du plaisir que vous avez à suivre ces Jeux. Ce plaisir vient aussi du fait qu’on gagne. C’est la grande différence avec L’Esprit Coubertin où vous décriviez une France sans médaille.
Soyons précis : dans le film, la France était sans médaille d'or ! Mais c’est vrai que le palmarès de la France aujourd’hui et dans mon film n’ont pas grand chose à voir. Et c'est bien mieux comme ça ! Ceci dit, attention à ne pas trop s’emballer non plus. Même si on bat notre record, nos résultats sont cohérents et assez logiques par rapport à Pékin. Proportionnellement, on est bien, mais certaines disciplines ont un peu déçu. En escrime, on n’a pas réussi à obtenir ce à quoi on aurait pu prétendre. C’est intéressant : on est bons en individuel, mais moins en équipe. Ca montre bien que ce sont des problèmes structurels et des choix de stratégie… Comme dirait Ludig dans mon film : "Tous les autres pays riches sont forts en escrime”. En Kayak on aurait dû décrocher l’or…
Qu'est ce que vous avez préféré voir depuis une semaine ?
En live, objectivement, la finale du 100 mètres. Devant ma télé, il y a eu le ping pong et les frères Le Brun. Félix a un charisme fou. Dans un autre registre, il y a eu la natation. Je ne suis pas un très grand fan de la discipline à la télé, mais ce qu’a réalisé Léon Marchand est magnifique. Hors normes. Sa course était folle, surtout avec le public derrière. J’ai aussi aimé voir le surf, avec la vague de Pacifiction en plus… Mais le plus dingue c’était le judo évidemment et notamment le match par équipe ! Franchement, ce combat final c'était Street Fighter. La roue qui s’arrête sur 90kg, le kumité ! Je m’attendais presque à voir Jean-Claude Van Damme et Bolo Yeung débarquer pour livrer le dernier round. C’était fou !
Le fait que ces Jeux se déroulent à Paris change aussi beaucoup de choses…
Oui. L'escrime au Grand Palais, c’est magique. À Tokyo, il y avait une poésie liée au vide parce que c'était le Covid et qu'on avait l'impression que les athlètes réglaient leurs comptes presque à huis clos - c'était beau. Le tir sur l’esplanade des Invalides c’est magnifique. Et ça joue sans doute sur mon impression d’avoir retrouvé une excitation enfantine pour les Jeux. À Tokyo, l’ambiance était complètement différente. Rio je les ai suivis en décalé. Personnellement, mes grands souvenirs de Jeux, c'est Atlanta 96. C’était l’époque des méga stars avec Carl Lewis, Michael Johnson et la dream team… Aujourd’hui, je retrouve un frisson comparable. De la mythologie à plein d'endroits. Léon Marchand a quelque chose d’unique, les frères Le Brun également… mais ce que j’aime particulièrement c’est que, au delà des Français, le coup de projecteur est mis sur les gestes et les performances. Et de manière très paradoxale, ça a l'air facile. C'est comme Fédérer en tennis, ou Zidane à son prime. Ce que les athlètes accomplissent a l’air simple, ils paraissent réaliser leurs effets sans effort… Le saut de Mahuchick par exemple avait l’air aisé. Tout est délié, enchaîné, tout paraît évident… ça m’amène à sortir un peu des sports que je connais bien comme le foot ou du rugby à sept pour m'intéresser à ceux je ne suis pas d’habitude. Le tir à l'arc, c’était fou. Le coup de vent, le stress, les enjeux… il y a une beauté plastique souvent sidérante.
Vous avez vu des épreuves en live et d’autres sur votre télé. Vous préférez quoi ?
En live la tension est énorme. Avant les épreuves, avant les lancers, le silence qui se fait crée une tension énorme. On est dans la bulle des athlètes. On entend les souffles, les cris, les frottements. Mais j’avoue que je suis un sportif de canapé. Et l’avantage, c’est que derrière ta télé, tu peux choisir, tu peux gérer la simultanéité contrairement au live ou tu es seul avec tes jumelles.
Dernières questions obligées : qu’avez-vous pensé de la cérémonie d'ouverture ?
J’ai trouvé ça génial. Tout. Il y avait du panache, de la générosité, de la folie. J’ai particulièrement aimé la séquence avec Gojira son aspect un peu Grand Guignol et très spectaculaire ! C’état fou. J'avais pu voir le Starmania de Jolly, et j’avais déjà été impressionnée par la générosité du spectacle. Je me doutais bien que cette ouverture serait fabuleuse, mais il a tenu toutes ses promesses. Mon seul bémol, c’est le défilé des nations sur l’eau. C’est très beau, mais dans un stade lorsque toutes les délégations passent les unes après les autres, on a le monde entier d'un seul tenant. Symboliquement je trouve ça plus fort. Mais c’est du détail…
Et vous êtes prêt pour la Clôture ?
Je suis fan de Tom Cruise. Je pourrais le regarder marcher de dos dans un couloir. Alors oui, je suis très curieux de voir ce qu’ils vont nous proposer…
Le grand gagnant des JO 2024 ? C'est Snoop Dogg !
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