J. Edgar : Eastwood dépassé par son sujet
Warner Bros

Le biopic de Hoover revient ce dimanche sur Arte.

Mise à jour du 19 novembre 2021 : Sorti il y a près de dix ans au cinéma, J. Edgar reviendra ce dimanche sur Arte, dans le cadre d'une soirée spéciale Leonardo DiCaprio (la chaîne programmera ensuite un documentaire sur l'acteur intitulé Leonardo DiCaprio : Most Wanted, déjà visible sur le site Arte.TV). A l'époque, Première avait été déçu par le film de Clint Eastwood, et ce malgré un sujet captivant : faire le portrait de J. Edgar Hoover, l'ancien chef du FBI, dont la vie fut particulièrement controversée. Notre critique, et remise en contexte de la sortie du film, est à (re)lire ci-dessous, à l'occasion de cette rediffusion, mais aussi de la sortie au cinéma du nouveau film drame du cinéaste, Cry Macho.

Cry Macho : Clint Eastwood rabâche et musarde [critique]

Article du 25 janvier 2012 : Après seulement dix jours d’exploitation, J. Edgar a dépassé le million de spectateurs, un très bon score qui confirme la popularité folle de Clint Eastwood. Depuis  Million Dollar Baby (2004), le public français le suit fidèlement et presque aveuglément, quelle que soit la qualité de ses films. Parallèlement, c’est devenu une tendance chez les faiseurs d’opinion de disqualifier Eastwood avec la même frénésie unanime que lors de sa soudaine canonisation dans les années 80. Il est vrai que son dernier opus, J. Edgar,  laisse une impression franchement décevante (trop long, confus, répétitif). Pourtant, il a la peau dure et revient souvent en mémoire, comme pour rappeler que son sujet est considérable. En tant qu’homme de pouvoir,  l’inventeur du FBI était un dangereux cas particulier dans le système politique américain. Presque par hasard, il a créé de toutes pièces un redoutable outil de renseignement qui lui a donné tellement de pouvoir qu’il s’y est accroché jusqu’à la fin de sa vie. En tant qu’homme, il était une énigme pour les autres comme pour lui-même. Eastwood traite les deux aspects, en montrant qu’ils étaient indissociables et interdépendants.

Leonardo Leonardo DiCaprio a été payé dix fois moins que d'habitude pour J. Edgar, de Clint Eastwood

A l’évidence, Eastwood s’est excité pour un thème qui le travaille depuis longtemps, celui du rapport entre mythe et réalité dans l’histoire américaine, avec tout ce que ça implique de mensonge, public ou privé. Cet héritage fordien ("Imprimez la légende…"), Eastwood l’a toujours traité avec plus de noirceur et de pessimisme que son aîné. L’échange rappelait comment la pratique du mensonge d’état ne date pas d’hier. Mémoires de nos pères retraçait la fabrication d’une icône de l’héroïsme américain. Et dans Impitoyable, qui démonte le mythe du tueur de l’ouest, on peut voir dans le personnage de Richard Harris une préfiguration de Hoover, avec ce biographe chargé d’écrire au fur et à mesure la légende d’un personnage douteux. Il y a la même mécanique à l’œuvre dans J. Edgar, qui commence lorsque Hoover vieux confie à un journaliste la rédaction de sa biographie. Une quantité de flashbacks renvoient aux principales étapes de sa carrière, mais c’est seulement à la fin qu’il devient clair que tout ce qu’il a dicté, et tout ce qu’on a pris pour la recréation des faits, n’était que son point de vue illusoire, sa vie rêvée par lui-même.

La mise en scène étrangement indigente (on dirait du Chabrol) est sensée montrer la mesquinerie et la faiblesse des fantasmes d’Hoover, tout en nous mettant sur la voie. A la fin de sa vie, Hoover avait fini par confondre la réalité et la légende, et son collaborateur de longue date finit par remettre les pendules à l’heure. Hoover a passé sa vie dans le déni, et le film le raconte aussi en évoquant son homosexualité, jamais assumée par peur de sa mère d’abord, et du regard des autres ensuite. Lui dont le fond de commerce consistait à surveiller ses voisins pour les faire chanter, il savait trop bien qu’il ne fallait rien montrer qui puisse être utilisé contre lui. La substance est passionnante, mais le film est compliqué et n’aide pas le spectateur. Il vaut mieux connaître l’histoire de Hoover sinon, celle que nous raconte Eastwood et son scénariste Dustin Lance Black (devenu une autorité en matière de sujets historiques homo depuis Milk) est fragmentaire et abstraite. Avec ses fréquents allers et retours dans le temps, la structure est fatigante et contreproductive. Au bout d’une heure, l’élan est réduit à néant, et chaque scène donne l’impression que le film va s’arrêter là, tellement il n’avance pas.

Le grand problème c’est qu’Eastwood ne semble pas avoir suffisamment évalué l’investissement nécessaire à la réalisation d’un projet de cette ambition. Question de mise en scène, mais surtout d’écriture et de préparation. On a l’impression que le réalisateur n'a pas une idée globale de ce qu’il veut obtenir. Il continue à filmer comme il l’a toujours fait, vite mais pas toujours bien. Résultat, J. Edgar n’a ni l’élan de ses films plus légers, ni la gravité qu’il devrait avoir. Hoover a survécu à plusieurs présidents, grâce à la crainte qu’il inspirait. Eastwood montre qu’à sa mort, ses secrets ont été détruits avant que les sbires de Nixon mettent la main dessus (afin de les détruire, au moins en partie). Il aurait été beaucoup plus troublant de laisser le doute, de montrer des tiroirs vides, suggérant que Hoover est resté au pouvoir pendant un demi siècle simplement en agitant des mythes.


J. Edgar, de Clint Eastwood : le film qui dérange le FBI