11. Kiki la petite sorcière
Réalisé juste après Mon voisin Totoro, qui traitait d'un rêve d'enfant, Kiki s'adresse en priorité à un public adolescent en décrivant cet âge transitoire encore marqué par l'insouciance de l'enfance, et les doutes liées à l'entrée dans la vie adulte. Adaptant un roman de Eiko Kanado, Hayao Miyazaki s'est inspiré des filles qu'il voyait arriver au studio Ghibli en quête de travail. A travers leur histoire, l'animateur commentait la tendance des jeunes Japonais à rester longtemps chez leurs parents et des difficultés qu'ils avaient par la suite pour trouver leur indépendance. Bien que dépourvue de conflit, l'histoire ne manque jamais de rebondissements, le drame naissant des efforts déployés par le personnage principal pour lutter contre ses propres obstacles. Sa capacité de voler est une métaphore de l'indépendance, la solitude et le talent. C'est une arme à double tranchant, comme l'apprendra Kiki : le talent n'est pas acquis une fois pour toutes, et il faut le cultiver.
10. Le Château ambulant
Pas à la hauteur du Château dans le ciel pour les uns, chef d'oeuvre visionnaire pour d'autres, ce Château ambulant, qui illustre la force des sentiments et les contradictions humaines à travers l'histoire d'une jeune fille transformée en vieille femme qui va redonner vie à une vieille demeure, atteint des sommets de complexité et d'inventivité narrative parfois déroutants, mais toujours servis par une créativité visuelle sans égale.
9. Le Vent se lève
Alors qu’une dimension tragique se dessine en filigrane à l’évocation de la vie sentimentale du héros, le thème principal du film pourrait se résumer à l’homme face à son destin et à ses obligations. Ici, l’ingénieur se doit de concevoir le meilleur avion possible, quel qu’en soit le prix. Il n’est pas difficile d’imaginer les points communs existant entre le réalisateur et ce créateur si particulier. Hayao Miyazaki a également trouvé dans cette histoire un souffle romanesque inédit qui lui a permis de composer quelques-unes de ses plus belles séquences, notamment lorsqu’il représente le vent, à l’origine de la rencontre entre Jiro et celle qui deviendra sa femme. Si, comme il l’a annoncé, le maître ne réalise plus de longs métrages, il a fini là en beauté.
8. Le Voyage de Chihiro
Il y a plus de substance narrative, d’enjeux et de promesses dans le préambule du Voyage de Chihiro que dans la plupart des films actuellement à l’affiche. A tel point qu’on se demande comment le film va tenir la distance sur plus de deux heures. En fait, sans problème : de surprise en émerveillement, l’expérience a de quoi combler toutes les catégories d’âge, de culture et de sensibilité. Un symptôme de cette richesse se manifeste dans les titres qui varient selon les pays : ils disent chacun quelque chose de différent, mais cette chose est toujours juste, parce que le film ne se laisse jamais réduire à une dimension anecdotique. Le titre original (qui se traduit par de Sen à Chihiro), indique un parcours avant tout spirituel qui permet à Chihiro de retrouver son identité, Sen étant le nom provisoire qu’on lui donne en échange d’un chance de survie. Sa quête initiale (celle des parents) passe donc par la reconquête de son identité. Son malheur est aussi une chance : avant, elle était si blasée qu’elle n’avait plus goût à rien. La nécessité de survivre lui rend la force qu’elle avait perdue. Sa quête est aussi initiatique : telle Alice de l’autre côté du miroir, Chihiro découvre un monde inconnu, rempli de divinités et de créatures fantastiques. Pourtant, avec ses règles et ses contraintes, il ressemble beaucoup au monde réel. Même le spectaculaire dieu des rivières est marqué par un effet pervers très identifiable : la pollution. Mais l’un des personnages les plus mémorables reste ce mystérieux esprit masqué qui peut-être représente le mal, et que Chihiro neutralise en acceptant de l’emmener avec elle. Ce faisant, elle comprend que le mal est indissociable du bien. Vouloir éliminer le mal reviendrait à nier la réalité. Ce n’est qu’un des nombreux enseignements de ce film tellement dense qu’il demande à être vu plusieurs fois.
7. Le Château dans le ciel
On pouvait s’inquiéter de la façon dont certains films de Miyazaki, réalisés avant Princesse Mononoké, tiendraient l’épreuve du temps, sachant que la révolution numérique a modifié aussi bien la perception des films que la façon de les écrire. Pourtant Le château dans le ciel garde son extraordinaire pouvoir d’émerveillement. C’est tout juste si quelques indices trahissent les conditions encore semi-artisanales de sa réalisation. Pour son premier film produit dans le cadre du studio Ghibli, Miyazaki exploite une combinaison parfaitement au point, dans le style comme dans la substance. Ses héros sont jeunes, et forcés par les circonstances de faire l’apprentissage de la vie . Au passage, leurs aventures traitent des liens entre l’homme et la nature, de la corruption liée à l’exercice du pouvoir, des bienfaits et dangers des machines. Comme son compatriote Kurosawa, Miyazaki puise aux sources de mythologies universelles. Partant d’un décor étrangement familier inspiré des villages de mineurs au pays de Galles pendant la révolution industrielle, le récit dérive vers des contrées imaginaires si bien conçues et documentées qu’elles associent les forces du réalisme et du mythe. La réussite du film tient à son équilibre. Jamais le poids de ce qui est signifié ne vient alourdir le récit d’aventures, de même que l’excitation et le vertige provoqués par les extraordinaires séquences aériennes ne viennent jamais parasiter le sens de la fable.
6. Le Château de Cagliostro
Lupin dévalise un casino mais s'aperçoit que les billets volés sont des faux. En compagnie de son acolyte Jingen, Lupin enquête sur cette fausse monnaie qui le conduit au château de Cagliostro. Ils apprennent alors qu’une princesse, enfermée dans le château, détiendrait la clé d'un fabuleux trésor... Après avoir dirigé plusieurs épisodes d'une série inspirée d'Arsène Lupin (Edgar de la cambriole), Miyazaki réalise son premier long en faisant du cambrioleur le héros d'un superbe film d'aventure qui porte déjà quelques-unes de ses obsessions : la nature, les femmes fortes, les décors européens, les engins volants...
5. Nausicaa
Pour démarrer une histoire qui à l’origine devait être une bande dessinée, Hayao Miyazaki s’est inspiré rien moins que de l’Odyssée, d’un conte japonais traditionnel et de sa propre étude de la catastrophe écologique de Miyamata qui avait frappé le Japon dans les années 70. Le résultat est une fresque épique d’une portée exceptionnelle, qui l’a non seulement révélé comme un auteur majeur de l’animation mondiale, mais a planté les graines de ses films à venir. Située dans un avenir lointain, l’histoire décrit un monde ravagé par une guerre totale, qui a complètement déréglé la nature et réduit les puissances guerrières à l’état féodal. L’espoir vient de Nausicaa, une adolescente, qui, malgré les faits révoltants dont elle est témoin, travaille pour la paix. Même s’il accuse quelques limites formelles (notamment dans l’animation des scènes de foule) Nausicaa tient extraordinairement bien le coup, pour un film réalisé en 84. Il tient tête à nombre de films suivants de son auteur, et pourrait bien être considéré comme un de ses meilleurs.
4. Ponyo sur la falaise
Variation sur le thème de la petite sirène, Ponyo sur la falaise marque le retour du maître à un registre qui rappelle Mon voisin Totoro, avec son graphisme simple et dépourvu d’image de synthèse. Après nous avoir transportés dans les airs, Miyazaki explore aujourd’hui l’élément marin avec une égale capacité d’émerveillement. Bien que le film s’adresse en priorité aux enfants, les adultes y trouveront de quoi discuter longuement sur le sens de certaines images qui traitent de la famille, de l’écologie mais aussi de la mort. Comme d’habitude, la simplicité apparente cache une grande ambivalence, magistralement illustrée dans une scène majeure, celle d’une tempête qui se déchaîne sur la côte où habitent le héros et sa mère. Ses possibles conséquences terrifient, mais le spectacle qu’elle offre est absolument fascinant.
3. Porco Rosso
Du spectacle (avec des séquences aériennes qui ne sont concevables qu'en animation), de l'aventure (avec quelques bagarres homériques) et du romantisme (avec une histoire d'amour impossible racontée d'ailleurs avec tant de pudeur que le spectateur devra la lire en filigrane pour en apprécier le mystère). Et puis, un soupçon de tragédie : celle d'un homme mûr qui sait qu'il ne peut aimer la même femme toute sa vie et qui a décidé pour cette raison de vivre en solitaire, entre ciel et terre. Le découpage, la mise en scène, le style sont remarquables. On appréciera le dessin, enchanteur lorsqu'il s'agit de décrire les paysages des îles, et les séquences très détaillées de la fabrication du nouvel hydravion de Porco, qui rappellent que le père de Miyazaki fut constructeur d'avions.
2. Mon voisin Totoro
Après les succès de Nausicaa (84) et du Château dans le ciel (86), le studio Ghibli a mis en chantier un projet risqué : la production simultanée de deux long-métrages d’animation, Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki et Le tombeau des lucioles d’Isao Takahata. L’entreprise était démentielle, les deux réalisateurs ayant l’habitude de travailler main dans la main pour diriger la même équipe. Cette fois, chacun de son côté allait devoir partager la main-d’oeuvre pour abattre une somme de travail monstrueuse tout en respectant l’impératif qui avait présidé à la création du studio Ghibli : ne jamais sacrifier à la qualité. Artistiquement, le résultat a valu aux deux films les plus haute récompenses cette année-là au Japon. Avec Mon voisin Totoro, Miyazaki entendait sensibiliser le public à l’importance de rester en accord avec la nature, faisant appel à ses souvenirs pour évoquer la campagne japonaise des années 50. Miyazaki reviendra sur ces thèmes dans ses films à venir, notamment Princesse Mononoke, avec ses créatures et divinités sylvestres qui sont des versions élaborées de Totoro. Malgré d’excellentes critiques à sa sortie, Mon voisin Totoro n’obtiendra pas de résultats satisfaisants. C’est véritablement sa diffusion à la télévision qui en a fait un succès populaire plus d’un an après. Il s’en est suivi un étrange phénomène : un fabricant de peluches a demandé au studio Ghibli le droit d’exploitation de produits dérivés de Totoro. Aussitôt lancées sur le marché, les peluches représentant le monstre sympathique ou les boules de fourrure noire ont connu un succès colossal, assurant définitivement la notoriété du personnage, du film et du studio. Ironiquement, ce sont les bénéfices générés par ces produits dérivés qui ont permis au studio de combler les déficits de ses autres films.
1. Princesse Mononoké
Entre Mon voisin Totoro et Princesse Mononoké, il y a une différence de degré qui ne se limite pas à la distinction entre dessin animé et film d'animation. Cette fois, Miyazaki raconte une histoire complexe, presque dure à force d'intransigeance. Il n'y a pas chez lui de nostalgie d'un paradis perdu comme on en trouve chez Boorman (Excalibur ou La forêt d'émeraude). L'engagement écolo de Miyazaki est plus pédagogique : il invite à prendre conscience de l'espace et du temps en inventant des images qui fonctionnent comme les souvenirs d'une vie antérieure, mythifiée mais plausible, où l'équilibre entre les forces de la nature étaient différentes. Ce faisant, il rappelle que nous sommes responsables de la façon dont nous modifions notre environnement. Ses images sont si fortes qu'elles donnent tout leur sens à l'idée d'animation. D'abord parce qu'il aurait été impossible de représenter autrement tout ce qui existe ici : une forêt à la végétation inouïe, des créatures magiques, quelques spécimens d'animaux géants, un dieu cerf ectoplasmique et polymorphe, une bataille rangée entre guerriers et sangliers sauvages. Mais au-delà de la simple technique, l'animation remplit véritablement sa fonction en donnant de la vie aux personnages au point d'établir entre eux et le spectateur une affection sensible et durable. On peut avoir un problème mineur avec les références à la culture japonaise animiste, même si par certains aspects, elle rappelle le paganisme celte. A l'évidence, Miyazaki est aux antipodes du cartésianisme, notamment dans son refus du manichéisme simplificateur : il ne montre pas de bons ni de méchants ; seulement des amis et des ennemis, des alliances qui se font et se défont selon les intérêts ou les motivations. Les humains y apparaissent comme les plus malins (dans les deux sens du terme), mais pas forcément les plus nobles. Ils sont battus sur ce terrain par d'autres espèces comme les sangliers révoltés qui, bien que conscients de se jeter dans un piège, y vont quand même pour le geste. C'est beau et tragique. C'est aussi une leçon d'humilité.
Hayao Miyazaki pourrait sortir de sa retraite. L'occasion de revenir sur les chefs-d'oeuvre du maître de l'animation japonaise.
Hayao Miyazaki pourrait sortir de sa retraite après le sublime Le Vent se lève, en 2013. Alors que l'Occident l'a découvert à la fin des années 1990, le maître de l'animation japonaise réalisait son premier film en 1979, Le Château de Cagliostro, après avoir scénarisé puis réalisé pour la télé. Depuis, il aura passé 35 ans à élever l'art de l'animation à son plus haut niveau au fil de ses onze longs métrages, traversés de fulgurances oniriques, poétiques et romanesques inouïes. Rétro - sans classement, l'oeuvre du maître japonais, proche de la perfection, échappant absolument à cette classification.
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