Joyeux anniversaire Dario Argento ! Le réalisateur italien fête ses 80 ans.
Le 3 juillet 2019, Dario Argento : Soupirs dans un corridor lointain, un documentaire signé Jean-Baptiste Thoret consacré au réalisateur de Suspiria, sortait en salles : à cette occasion, Quatre mouches de velours gris (1971) et Ténèbres (1982) ressortaient également sur les écrans. Et nous avions pu nous entretenir un bon moment avec le maestro, définitivement devenu une référence immanquable de ce qu’on appelle à tort ou à travers le "cinéma de genre". Alors que Dario Argento fête ses 80 ans, nous republions son interview.
Première : L’an dernier, on fêtait les cinquante ans d’Il était une fois dans l’Ouest. Aujourd’hui, il est impossible de ne pas voir au générique votre nom et celui de Bernardo Bertolucci au scénario. Qu’est-ce qui vous appartient dans Il était une fois dans l’Ouest ?
Dario Argento : Rien. C’est un film de Sergio Leone, absolument. Il avait une personnalité énorme, surpuissante. Sa force de metteur de scène était incroyable. Tous ses films sont les siens, aucun scénariste ou directeur de la photo ne pourrait prétendre à posséder un de ses films à quelque niveau que ce soit. Avec Bertolucci et Leone, nous avons passé des jours magnifiques, à parler du cinéma d’aujourd’hui, du cinéma passé. Des jours inoubliables. Nous nous sommes souvenus des vieux westerns. Les conseils de Sergio étaient purement techniques. Il ne parlait jamais de dialogues mais de technique. Il parlait de zooms, de mouvements de caméra… C’était une expérience importante car il m’a fait comprendre l’importance de la caméra dans le cinéma. Mes films n’ont rien à voir avec ceux de Leone, mais en travaillant avec lui j’ai compris des choses importantes : comment préparer une scène, comment parler aux acteurs, choisir la scénographie… Tout cela, je l’ai appris avec Leone.
A quel moment aviez-vous réalisé que vous avez un style propre ?
Du style ? Je ne sais pas… Moi, j’aimais beaucoup les films d’horreur, les films policiers, les films de gangsters, de violence… je savais que je voulais faire ce type d’histoires, et quand j’ai écrit mon premier film, L’Oiseau au plumage de cristal, j’ai rassemblé tout cela : un peu de violence, un peu d’enquête, un pur giallo à l’italienne.
Vous êtes devenu une référence. On dit d’un film qu’il fait "à la Dario Argento". Qu’en pensez-vous ?
Si des réalisateurs ont été touchés par mon travail, c’est bien… Si un artiste inspire un autre artiste, cela veut dire que son travail a peut-être une forme d’importance… Je me suis aussi inspiré des grands films du passé, alors tout ceci est normal.
Vous ne semblez pas trop aimer analyser vos propres films…
Non, effectivement, ça ne me plaît pas. Une fois que j’ai fini un film, c’est fini. Parfois, des mois plus tard, j’y repense, et je comprends ce que j’ai voulu faire. Mais il faut du temps, beaucoup de temps. Sur un tournage, je suis pris par l’énergie et l’enthousiasme. Par la force de ce que je dois raconter. Je ne sais pas trop pourquoi ! A cause de mon style, comme vous dites ? (sourire) Après coup, je réalise que je fais quelque chose de poétique, ou de moral, mais…
D’ailleurs, vous avez tourné vos trois premiers films en deux ans : L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris...
Oui, j’avais une énergie incroyable, je voulais tout enchaîner, tourner tout de suite le film suivant.
D’ailleurs, vous avez tourné vos trois premiers films en deux ans : L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris...
Oui, j’avais une énergie incroyable, je voulais tout enchaîner, tourner tout de suite le film suivant.
Et en 1973, après cette "trilogie animale", vous avez tourné un film curieux, et un peu oublié dans votre filmographie : Cinq jours à Milan avec Adriano Celentano…
Oui, c’est amusant, c’était une tout autre histoire. Un film historique, sur un moment fondateur de l’Italie, à Milan en 1848. Un autre metteur en scène devait le tourner, mais il est parti et mon père qui produisait le film a suggéré mon nom… C’était une bonne expérience, un bon petit film ironique et amusant.
Ensuite c’est Les Frissons de l’angoisse… Avez-vous essayé de "refaire" L’Oiseau au plumage de cristal ? Les deux films se répondent beaucoup.
Non, c’est une autre histoire. Un changement complet. Les Frissons est alors beaucoup plus onirique que les précédents, qui sont de purs giallos. Je voulais faire quelque chose de très différent, de très étrange. Il y a l’entrée du surnaturel…
Justement, qu’est-ce qui a provoqué cette irruption du surnaturel dans votre œuvre ?
Depuis mon enfance, je me suis toujours intéressé aux fantômes, à l’ésotérisme. Le scénariste des Frissons, Bernardino Zapponi, avait travaillé avec Fellini et m’avait raconté que Fellini, qui s’intéressait beaucoup à l’ésotérisme avait rencontré Julius Evola (NDLR : philosophe ésotérique italien mort en 1974, très proche du fascisme). Fellini lui a demandé : "vous, vous croyez vraiment aux forces du mal, aux fantômes, aux démons ?" Et Evola, qui était dans une chaise roulante et ne pouvait pas marcher, lui a répondu : "regardez mes jambes. C’est parce que je me suis trop intéressé à ces choses-là que je suis dans cet état…"
Marqué par son engagement à gauche, Bertolucci faisait un cinéma ouvertement politique. Vous ne l’avez jamais fait. Pourquoi ?
C’était son style. Moi je faisais d’autres films. Je faisais des thrillers. Peut-être qu’il y a un message politique, secret, enfoui dans mes films, mais alors il faut les décrypter pour trouver cette symbolique…
Pour revenir à votre influence, dans L’Oiseau au plumage de cristal, il y a cette scène séminale où le héros assiste à une agression dans une galerie d’art. Est-ce qu’on vous en reparle souvent ?
Non, peu de cinéastes m’en parlent. On me parle presque toujours de Suspiria…
Avez-vous des héritiers en Italie ?
En ce moment, il n’y a pas d’héritage. On ne fait pas de films de genre. Je ne sais pas pourquoi.
Qu’avez-vous pensé du remake de Suspiria de Luca Guadagnino ?
Je ne l’ai pas aimé, non… Le film n’avait pas le sens de la peur que possédait le Suspiria d’origine. Il n’y a pas l’importance de la musique, ni l’importance des couleurs. Il n’y a pas l’esprit du film.
C’était intéressant qu’un cinéaste s’empare du film pour y amener son style…
Mais pourquoi refaire Suspiria, alors ? Pourquoi ne pas faire un autre film ? C’est étrange, un peu fou, non ?
On vous demande souvent l’autorisation de faire des remakes de vos films ?
Oui, tout le temps. Mais si j’ai toujours les droits, je ne donne pas facilement l’autorisation.
John Carpenter, que vous connaissez, a dit oui pour les remakes…
Oh, vous savez, on ne parle pas de ça quand on se voit. Mais je sais qu’il est content, il gagne beaucoup d’argent en vendant ses films, deux fois, quatre fois… (rires)
Et ça, ça ne vous intéresse pas ?
Non. Mais c’est fatal, on va refaire mes films. Je le sais. Si on offre de l’argent aux ayants-droits, ils vendront mes films. Pour le moment, je suis un peu tranquille.
Dario Argento : Portrait du maestro de l’angoisse [Critique]
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