Tous les matins, entre le film, l'interview et la star du jour, le point à chaud en direct du 74e festival de Cannes.
Film du jour: Les Intranquilles de Joachim Lafosse (en compétition)
Cinq ans après L’Economie du couple présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, revoici Joachim Lafosse à Cannes pour ses premiers pas en compétition. Les Intranquilles surgit après un moment délicat dans son parcours : le ratage de son adaptation du roman de Laurent Mauvignier, Continuer. Et la découverte du film rappelle combien la carrière d’un cinéaste n’est qu’une succession permanente de hauts et de bas. Les Intranquilles raconte une histoire d’amour envers et contre tout, celle qui unit Leila et Damien, en dépit de la bipolarité de ce dernier, sujet à des crises incontrôlables et incontrôlées. Le risque est grand dans ce genre d’entreprise de s’enferrer dans le film à sujet (la maladie mentale et ses dommages collatéraux pour l’entourage) surtout s'il s'accompagne d'une démonstration de force du comédien incarnant les pétages de plomb à répétition. C'est précisément tout ce que n’est pas Les Intranquilles. Construit en étroite collaboration avec ses deux interprètes, le film transcende précisément son sujet. D’abord par l’interprétation toute en finesse de Damien Bonnard. Le comédien n'est jamais dans la démonstration, évite le bégaiement de ce que les scènes racontent, et construit une relation complice avec une Leïla Bekhti au diapason. Ensuite parce que la maladie n’est pas le coeur du film, mais plutôt ce qui empêche le couple de vivre sereinement cet amour qui les unit, eux et leur enfant. Les Intranquilles vous terrasse d’émotion(s) précisément car il ne sacrifie à aucune facilité larmoyante. La compétition se termine sur une note forte. Et deux ans après avoir présenté ici même Les Misérables, couronné d’un Prix de jury, Damien Bonnard ferait un beau lauréat du prix d’interprétation.
La star du jour : Bill Murray
C'est la fête à Bill Murray ! Déjà présent à Cannes pour The French Dispatch de Wes Anderson (où il tient un rôle aussi minime que central), le plus cool d'entre nous revenait hier soir au Palais pour New Worlds : The Cradle of Civilization, un titre bien alambiqué pour un film où Murray et le violoncelliste Jan Vogler se retrouvent à l'Acropole, pour un mélange de littérature et de musique. Enfin, on vous dit ça mais on ne l'a pas vu durant cette avant-dernière soirée cannoise, l'appel du McDo local étant trop fort. Mais le programme du festival nous promettait un show « extrêmement divertissant et profondément touchant », « imprégné du charme caractéristique de Murray ». Rien que pour cette reprise d'Aline, on se mord un peu les doigts de ne pas avoir su trouver la motivation.
Bill Murray reprend Aline de Christophe sur la scène de Debussy pour la présentation du documentaire #NewWorlds. Moment unique @Festival_Cannes #Cannes2021 #BillMurray pic.twitter.com/NEA5Jd6nld
— Vié Caroline (@Caroklouk) July 16, 2021
L'interview du jour : Gaspar Noé et Alex Lutz pour Vortex (Cannes Première)
La surprise du jour : Revolution of our Times de Kiwi Chow (Sélection officielle)
Dernière minute ! Dans un geste typiquement cannois, le festival a ajouté "at the very last minute" un documentaire à sa Sélection officielle (« On a vu le film tard et on l'a adoré (…) On ne joue pas un jeu en faisant des projections surprises », assurait Thierry Frémaux juste avant la projection, hier), l'incendiaire Revolution of our times. Armé d'images tournées sur place en 2019 et 2020 et de vidéos shootées au smartphone par les manifestants, le réalisateur Kiwi Chow y raconte la lutte des habitants de Hong Kong pour leur liberté face au régime chinois. Ca doit faire la soupe à la grimace à Pékin : au-delà de sa forme assez classique et de sa narration chronologique ponctuée de témoignages face caméra, le docu est quasiment un acte de résistance en soi. On plonge dans les coulisses d'une révolution spontanée de citoyens, du chaos très organisé où chacun à un rôle – même minime – à jouer. C'est sûrement le point fort du film, qui ne se limite pas à montrer des violences policières ou des sièges de bâtiments officiel : Kiwi Chow dresse aussi en creux le portrait de ces millions d'habitants anonymes, qui n'ont rien d'autre en commun que de refuser de lâcher leur mode de vie durement acquis. Entre deux plans au drone à peine croyables où l'on voit les manifestants se disperser « like water » dans les rues de Hong Kong, un témoin lâche : « On n'est personne. Et personne c'est tout le monde. »
La curiosité du jour: Emergency declaration de Han Jae-Rim (Hors compétition)
Du premier au dernier jour, ce fut lui, la star du festival. Ce foutu virus dont la rumeur prédisait, il y a une semaine, qu’il obligerait Cannes à fermer ses portes bien avant la date prévue. Et voilà qu’il s’invite dans l’un des derniers films projetés de cette édition. Pas le COVID lui-même, mais un cousin tout aussi diabolique, imaginé par le très visionnaire sud-coréen Han Jae-rim dès 2019. Le film raconte l'organisation d'un attentat bio-terroriste dans un avion en route pour Hawaï. Le virus provoque l'hécatombe parmi les passagers (c'est la partie huis clos) et le chaos au sol (où des enquêteurs cherchent à tout savoir sur le terroriste pendant que les politiques sont confrontés à des manifestants refusant que le vol se pose sur le sol coréen). Ici, la fiction ne dépasse pas la réalité, mais elle l’épouse dans la quête d’un hypothétique happy end. Au fait, il est prévu pour quand ?
La citation du jour : Jodie Foster dans le JDD
"Si le Festival de Cannes me demande d'être présidente du jury, je dirai oui !"
La révélation du jour : Dario Argento dans Vortex (Cannes Première)
Et notre révélation du jour est donc un comédien quasi débutant de 80 ans nommé… Dario Argento. C’est l’idée de casting géniale du Vortex de Gaspar Noé : refaire sa version à lui du Amour d’Haneke en embauchant comme équivalent de Jean-Louis Trintignant nul autre que le grand sorcier du cinéma transalpin. A ses côtés : Françoise Lebrun, la mythique Veronika de La Maman et la Putain. Soit l’association de deux traditions de cinéma qui ont parfois pu être perçues comme antinomiques, mais qui sont néanmoins entremêlées l’une à l’autre, par leur situation stratégique dans la contre-culture de l’après 68, par une soif jamais étanchée de transgression et d’absolu, et par les spectres de la défonce, aussi. Dario Argento, dans la peau d’un vieux cinéaste prisonnier de son appartement-mausolée, est extraordinaire, magique, ruminant un livre sur le cinéma et les rêves, citant Poe de sa voix si lasse, si douce (« La vie est un rêve dans un rêve »), revoyant une dernière fois le Vampyr de Dreyer et Solaris de Tarkovski avant le grand départ. Et le film de devenir, par sa simple présence, une ode à tous ces mages du siècle dernier, les gardiens d’un secret bientôt enfui à jamais, ceux-là même que Noé appelait par leurs prénoms dans son précédent film, Lux Aeterna (Luis, Jean-Luc, Rainer W., Carl Th.), comme on se permet d’appeler des maîtres qui ont fini par devenir des amis… Viva Dario !
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