Toutes les critiques de Nobody Knows

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Nobody Knows est un film dont la chute est inexorable sans qu'on sache exactement qu'elle en sera sa nature. Keiko vient d'emménager avec ses enfants dans un appartement de la ville, fourmilière perdue à Tokyo.
    La première fois que la famille d'Akira se retrouve autour de la table du dîner, sa mère ne se distingue pas vraiment des enfants qui l'entourent : elle appartient à leur monde. Son air déluré, son regard naïf et sa gentillesse apparente tranchent avec ses propos. Elle énonce les règles de vie un peu particulières auxquelles elle soumet ses enfants. Sous peine de devoir à nouveau déménager, Yuki, Shigeru et Kyoko sont interdits de sortie, ils ne peuvent aller sur le balcon et ne doivent pas se faire remarquer par les voisins, interdit donc de crier. Elle menace Shigeru son fils de sept ans : s'il n'obéit pas à ces règles, elle lui administrera une piqûre ou le rangera dans la valise. Tous rient mais ce ne sont pas des paroles en l'air. Si elle a réussit à faire rentrer la marmaille dans ce trois pièces, c'est en mettant ses deux plus petits dans une malle. Sa plus grande fille est arrivée par le bus et fait le mur pour entrer. Une fois dans la place, elle seule sera autorisée à aller sur le balcon et ce uniquement pour faire la lessive.C'est comme un jeu : la mère attribue à chacun de ces enfants un rôle particulier. Yuki, la plus petite doit être mignonne, Shigeru sera le petit garnement. Seul Akira semble être considéré comme une personne, de facto il sera responsable de ses frères et soeurs en l'absence de sa mère. Tandis que Kyoko lave les chaussettes, il fait les courses et ramène de l'extérieur tout ce qu'il leur faut. Pendant ce temps, la mère papillonne, justifie ses absences par un hypothétique travail, ne sait jamais quand elle rentrera, demande le menu à son fils avant de dire si elle partagera leur dîner. Quand elle rentre toute la maisonnée doit être attentive à son arrivée quand bien même il serait trois heures du matin. De même, ses filles doivent accepter d'être coiffées, maquillées, transformées en poupée vivante les jours où leur mère a décidé d'y jouer.Adolescente éternelle, elle semble voir dans son aîné la figure du père. Petit jeune homme, il paraît remplacer tous les pères absents et assure la survie de tous. Ainsi, Kyoko et Akira jouissent de ces rôles de presque parent, ils ont tout d'abord une certaine fierté à accomplir leurs fonctions. Parfois leur rôle, qui ne s'arrête jamais, pèse. Entre le plaisir d'être presque adulte et l'envie d'être un enfant comme les autres, naît un malaise qu'ils ne peuvent nommer. Tout le long du film ils seront pris entre ces deux feux sans jamais arriver à se défaire de ce trouble. Ils savent qu'à leur âge ils devraient avoir d'autres préoccupations et aller à l'école. Ils réclament d'ailleurs constamment à leur mère de les y envoyer. Sans se démonter, cette dernière répond qu'ils n'en ont pas besoin. Enfants naturels de père inconnu, on s'y moquerait d'eux.Quatre pères absents, quatre enfants, et des rêves déchus : Keiko, la mère, explique à sa plus grande comment elle y est presque arrivée, comment ses maris l'ont presque menée à ses rêves et on comprend que les conséquences de son désir l'ont amenée à être mère. Elle s'est laissé prendre, elle a cru et croit encore que l'Autre pourra la compléter, la rendre plus parfaite, plus apaisée. Parfait exemple de schizophrénie féminine poussé à l'extrême, on ne peut même pas dire d'elle qu'elle soit égocentrique, juste inconsciente.A mesure que se déroule le film, le spectateur est de plus en plus sidéré. Cette mère-fille - qui fut sans doute une fille-mère - laisse ses enfants se débrouiller seuls, ce n'est pas de la méchanceté juste une autorisation d'indépendance qu'elle se donne sous prétexte qu'elle aurait droit au bonheur. Si les pères ont abandonné le navire, pourquoi n'en a-t-elle pas le droit elle aussi ? Logique implacable qui ne peut souffrir d'aucune réponse, d'aucune remise en question de ses actes.Nobody Knows est une histoire de cloisonnements : tout le monde ignore l'existence de ces enfants, leur mère ne s'aperçoit pas qu'elle en est responsable, eux ne savent que faire du monde extérieur. Filmés au plus près, sur-cadrés, cloîtrés, les enfants sont bientôt laissés à eux-mêmes. La mère part en laissant à Akira le soin de s'occuper de ses frères et soeurs. Elle lui laisse de l'argent promet de revenir à Noël mais il n'en sera rien. Tout d'abord responsable, l'aîné gère tout ce qu'il peut mais bientôt le manque d'argent se fait sentir et la mécanique s'enraye. Suivant tous ses personnages de très près, le réalisateur capte les émotions de ses jeunes acteurs en leur laissant la latitude de la spontanéité. Collant à ses acteurs très touchants, il les filme en plan rapproché, accentuant encore cette notion d'enfermement. L'étrangeté de cette situation est accentuée par le soin apporté aux arrière-plans qui semblent également être le reflet d'histoires troubles. Dans l'épicerie où Akira s'approvisionne, une vendeuse apprend à ouvrir un sac. Ses gestes saccadés dénotent d'une sorte d'inadaptation au monde. Inspiré d'un fait divers qui fit beaucoup de bruit au Japon, le réalisateur enclenche dès les premières images du film une implacable machine qui va jusqu'à la concrétisation de ce qu'on avait bien pressenti.Nobody knows (Daremo Shiranai)
    Un film de Kore-eda Hirokazu
    Avec : Yagira Yuuya (Akira), Kitaura Ayu (Kyoko), You (Keiko).
    Projection à Cannes le 13 mai 2004[Illustrations : DR Festival-Cannes.fr]
    - Dossier Cannes : compte-rendu de l'ouverture et de la seconde journée, chroniques des films projetés (La Mauvaise éducation, 10 on Ten, Troie, La vie est un miracle, Kill Bill volume 2)
    - Le site officiel du Festival de Cannes