Maître incontesté du cartoon paroxystique, spécialiste des gags d'exagération et d'agression, son importance est considérable, bien qu'il fût longtemps demeuré mystérieux dans le milieu du dessin animé, où son existence même était mise en doute (on croyait à un prête-nom). Il est finalement reconnu dans les années 50, devient l'objet de nombreuses études et se voit consacrer des hommages rituels à la télévision. Né à Dallas, Texas, comme l'indique son surnom, Tex Avery a débuté en 1930 en animant les Fables d'Ésope de Charles Mintz, en travaillant ensuite chez Harrison et Gould sur Krazy Kat, puis avec Walter Lantz sur la série Oswald le Lapin, enfin aux studios de la Warner chez Léon Schlesinger, où, avec Chuck Jones, Bob Clampett et Ben Hardaway, il contribua à l'invention de la superstar des Looney Tunes, Bugs Bunny. Tex, un géant borgne hilare qui s'adonnait aux farces, créa aussi le chien Droopy, lugubre et balbutiant, chiot minuscule qui s'oppose (à la manière de Buster Keaton) à des troupeaux de moutons voraces, à des bandes de hors-la-loi, à des taureaux furieux, ou à son propre double.À la Warner, il contribue également à l'élaboration du canard Daffy Duck, du pingouin Chilly Willy, de l'écureuil fou Screwy Squirrel et de l'imbécile Elmer Fudd. Ses pas le conduisent encore à la Universal, la Paramount et à la MGM sous Fred Quimby, enfin aux studios publicitaires Cascade, où se termine sa carrière. Devenu légendaire parmi les autres animateurs, énormément copié, il a posé sa marque sur un style de récit à base de répétitions folles, de changements de taille colossaux (le canari géant, le pygmée demi-portion, histoires rituelles de puces et d'éléphants), d'obsessions de vacarme ou d'insomnie, de boulimies extraordinaires (Billy Boy), de fixations sexuelles délirantes centrées sur des créatures de contes de fées (Cendrillon, le Petit Chaperon rouge, devenues provocantes bombes sexuelles), toutes attribuées au même loup libidineux. Il a créé le Long isnt it ?, gag reposant sur le passage interminable d'un objet oblong devant l'écran, mystifié les projectionnistes en dessinant des poils directement sur pellicule ; et, dans sa dérision des fables édifiantes de gentilles créatures de la forêt ou de gnomes cordonniers, il a su s'imposer comme l'anti-Disney définitif.Son uvre est relativement courte : environ 130 films longs de 5 à 8 minutes, mais il garde les proportions d'un maître satiriste absurde digne d'Edward Lear ou de Kafka. Son univers de contrastes aberrants mène au vertige des infinis. En un sens, ce gagman pascalien, qui, comme Stirner, a fondé sa cause sur le rien, a dépassé le cadre des courts métrages burlesques pour passer à l'Histoire comme un poète visionnaire à la Benjamin Péret ou à la W. C. Fields.