Se présentant d’abord comme un néo-Twin Peaks, la série produite par M. Night Shyamalan change brutalement de nature en cours de route. Original, plutôt osé mais impossible à marketer, ce concept au carré a un peu dérouté le public américain. Avec la diffusion de la série sur Canal + ce jeudi, les Français se montreront-ils plus réceptifs ?
Attention, cet article contient des spoilers. Impossible en effet, même en louvoyant, de parler de Wayward Pines sans déflorer des éléments capitaux de son intrigue. Or l’intérêt de la série tient justement à ses coups de théâtre, pour certains retentissants. Voilà tout le paradoxe. On comprend ce qui a pu plaire à M. Night Shyamalan, ancien maître es twists au cinéma, dans cette adaptation de best-sellers signés Blake Crouch qui se permettent un coup de poker rarissime et risqué dans la fiction : un changement brutal de genre de rattachement opéré à mi-parcours. Le réalisateur de Sixième Sens produit la série et a réalisé le pilote. Il navigue en terrain connu pour ce qui est de multiplier les fausses pistes et rebattre subitement les cartes d’un coup de baguette magique scénaristique. On comprend aussi trop bien ce qui n’a pas fonctionné dans ce plan diabolique. Pour que le public se retrouve soufflé par le gros rebondissement survenu après une poignée d’épisodes, il aurait fallu qu’il ait été plus sérieusement ferré en amont pour se passionner encore pour la série à ce stade. Or, si la série n’a pas démérité côté audiences pour un show estival, elle n’a pas autant suscité de buzz que la chaîne l’aurait espéré.Pâle ersatz Et pour cause : au service marketing de Fox, on en a été réduits pour vendre la série avant sa diffusion, à ne se concentrer que sur l’argument initial de la série en multipliant les entrechats, histoire de ne laisser filtrer que le strict nécessaire. A savoir, que la série se présenterait comme une sorte de croisement de Twin Peaks, du Prisonnier et du Truman Show avec sa petite ville en apparence tranquille de l’Idaho où atterrit l’agent fédéral Ethan Burke (Matt Dillon) après un accident de la route et dont il réalise bientôt qu’elle est sous étroite surveillance et qu’il ne peut s’en échapper. Oui mais voilà, comme ersatz de ces trois œuvres-là, prises séparément ou ensemble, Wayward Pines fait pâle figure. Depuis, 20 ans, pas une nouvelle saison télé ou presque qui ne compte au moins une série se revendiquant d’une manière ou d’une autre du show séminal de David Lynch. Dans la liste, du bon (American Gothic, Veronica Mars ou encore Top of The Lake) et du dispensable (Happy Town, Haven, Under The Dome). Wayward Pines s’inscrit sur ce point, dans la liste des tentatives ratées. Les figures censément hautes en couleur que croise ici Ethan Burke n’ont pas grand-chose de plus à offrir que des gesticulations risibles, à l’image de l’infirmière jouée en mode American Horror Story par Melissa Leo ou le shérif local mauvais comme la gale joué par Terrence Howard. On est loin de l’excentricité organique des fêlés croisés par l’agent Dale Cooper à Twin Peaks. Et de toute façon, on préfèrera toujours l’original à la copie avec la satisfaction cette fois de n’avoir à attendre que quelques mois pour retrouver pour de bon les personnages de Lynch sur Showtime. Pour ce qui est du caractère concentrationnaire et parano de la série, elle reste au ras des pâquerettes en comparaison du discours tenu par Le Prisonnier dans les années 60 ou par le Truman Show trois décennies plus tard. La finesse n’est pas le fort de Wayward Pines. Son truc, ce sont plutôt les grosses déflagrations…Vérité tordue Et de fait, la série réussit son petit effet. La filmo de Shyamalan atteste depuis une dizaine d’années d’une certaine défiance du réalisateur à l’égard de ces twists monumentaux qui avaient fait son succès au temps de Sixième Sens ou d’Incassable. La rupture remonte à l’échec du Village, auquel Wayward Pines doit beaucoup, et qui souffrait de reposer entièrement sur un coup de théâtre par trop lisible à des kilomètres. Le réalisateur y revient pourtant ici de bonne grâce, et cette fois-ci, soyons honnêtes, difficile de deviner avant d’y être confronté à quel point la vérité que recouvre l’isolement de Wayward Pines est tordue. Et à quel point les révélations apportées changent la nature-même de la série, la faisant basculer en quelques plans larges bien sentis dans tout à fait autre chose que ce qu’elle était jusque-là, un thriller policier flirtant avec le fantastique. Dommage d’ailleurs que passées ces révélations, les personnages de la série s’acharnent à ce point à tenter de justifier le laborieux incipit sur la foi d’arguments qui valent autant pour les téléspectateurs : les gens n’auraient pas compris, il fallait les maintenir dans le flou, c’était pour leur bien, le jeu en valait la chandelle… Pas vraiment une réussite dans la série, amenant les intrigues de deuxième moitié de saison à aborder de manière balourde les thèmes du libre-arbitre et du despotisme. Pas vraiment une réussite non plus pour la série, dont l’avenir est aujourd’hui encore très incertain. La Fox n’a à ce jour pas annoncé de saison 2, malgré un final plutôt ouvert appelant volontiers une suite. Tours de passe-passe assez vains Pas sûr qu’il soit dans l’intérêt des parties concernées de poursuivre les frais. Car le plus notable dans tout ça, c’est combien toute cette machinerie narrative et logistique (quand on pense aux moyens mis à disposition de la production et à la distribution qui s’offre aussi Carla Gugino, Toby Jones ou encore Juliette Lewis…) se trouve mise au service d’ambitions aussi dérisoires. De Shyamalan, on aurait pu attendre que pour sa première incursion à la télé, il fasse plus que bousculer gentiment les genres en recourant à des tours de passe-passe de forain, certes spectaculaires mais assez vains. Quitte à errer en profanateur de sépulture dans le cimetière de la série high-concept laissé à la télé par Lost, il aurait été tout aussi inspiré de jeter un œil sur la dernière création d’un de ses scénaristes, Damon Lindelof, parti sur HBO adapter de la même manière un best-seller au pitch WTF, The Leftovers. Mais pour mieux refuser, lui, de n’en tirer qu’une inoffensive série B, amenant le téléspectateur vers des thématiques plus adultes. Une occasion ratée pour un Shyamalan toujours plus enfermé, projet après projet, dans son incapacité à se montrer à la hauteur des promesses d’auteur entrevues à la fin des années 90. Le vrai prisonnier dans cette histoire, c’est lui. On craint qu’aucun twist ne change la donne de sitôt.Gregory LedergueWayward Pines saison 1 commence ce soir et sera diffusée tous les jeudi sur Canal+
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