Le réalisateur David Hourrègue raconte comment a été pensée cette saison centrée sur Lola, la petite sœur de Daphné.
Cette fois c'est sûr, Skam France sera de retour prochainement avec une saison 7. Un renouvellement annoncé hier par France Télévisions, alors que la saison 6 ne se terminera que dans quelques semaines. Une saison qui permet à la série adaptée du carton norvégien de marquer une certaine transition entre "l'ancienne génération" et la nouvelle, incarnée par Lola. David Hourrègue, réalisateur de Skam France, nous en dit plus sur la manière dont a été pensée cette saison 6.
Si je dis que cette saison 6 est très sombre, plus que les précédentes, vous êtes d'accord ?
David Hourrègue : Bien sûr qu'elle est plus sombre. On avait envie avec Niels Rahou de donner un effet miroir à toutes ces personnes qui sont venus nous trouver à la fin des diffusions des saisons 3 et 4. Des gens qui nous ont écrit des milliers de lettres, à nous comme aux comédiens, dans lesquelles il y avait ce rapport à l'autodestruction. On dit souvent que l'adolescence est une période durant laquelle on vit les choses à mille à l'heure, sans distance. Et là c'est vrai qu'on a pris de plein fouet leur rapport à ce questionnement sur leur identité, sur leur légitimité en tant que personne... Des jeunes qui ont parfois, gravé dans leur chair, leur propre souffrance. Du coup, on aurait eu l'impression de ne pas terminer le travail sans parler de ce rapport à l'autodestruction dans Skam, particulièrement typique de l'adolescence. Cette saison 6 est certainement plus sombre, mais elle est aussi plus connectée à une certaine réalité.
Vous avez hésité à prendre cette route là ? Vous n'avez pas eu peur d'aller trop loin ?
Comme on tourne deux saisons en même temps, on a pu faire une saison classique de Skam, avec la saison 5, en abordant une thématique très importante, celle de la surdité que traversait Arthur. C'était déjà assez âpre. Mais c'est sûr qu'en filmant en même temps des séquences de la saison 6, on voyait bien une différence. Maintenant, on s'était aussi fixé des limites à ne pas franchir. Le programme étant vécu en temps réel par le spectateur, l'implication qu'ils mettent est souvent incroyable. Alors il fallait des garde-fous et on a eu de très longs débats... Personnellement, j'essaye toujours de penser un projet en imaginant que mes enfants tomberont dessus un jour... Par exemple, la scène de l'agression à laquelle elle échappe, à la fin de l'épisode 4, on a été très précautionneux de ce qu'on allait montrer à notre public, aussi bien durant le tournage, que durant le montage.
L'idée directrice de Skam, c'est toujours de proposer une fiction dans laquelle les ados d'aujourd'hui peuvent se reconnaître ?
Bien sûr, et c'est toujours le cas, on le vérifie plus encore avec cette saison 6. On essaye en permanence d'avoir une oreille attentive aux messages qu'on reçoit et cette année, il y a eu une explosion de messages ! Cette saison, on prend une vague équivalente à celle de la saison 3. Même si je n'aime pas faire de comparaison entre les thématiques, le fait est que le rapport à l'autodestruction est un sujet qui fait énormément résonance auprès de notre public. Ca se traduit par des milliers de messages, des débats très passionnés sur les réseaux sociaux. On savait par exemple, dès le départ, que le personnage de Lola, cette petite sœur qui a un regard un peu brutal sur la génération précédente, allait provoquer un certain rejet, au terme du premier épisode. Mais soit on décidait d'adopter un point de vue consensuel, où Lola aurait regardé sa grande sœur et ses copains avec admiration, mais cela aurait été très pénible et peu réaliste. Soit on venait secouer tout ça. Et le reste de la saison va encore montrer à quel point Lola va nous offrir une autre perspective sur les personnages de l'ancienne génération. Les gens ont vu une autre facette de Daphné notamment grâce à elle. Et aujourd'hui, il y a une très forte adhésion autour du personnage de Lola.
Vous avez pensé cette saison 6 comme un reboot ?
Oui, même s'il faut bien avoir en tête qu'on filmait la saison 5 en même temps... On tournait trois scènes avec la génération précédente et on enchaînait avec des séquences beaucoup plus sombres, du point de vue de Lola. C'était surprenant de baigner au milieu de cet univers et d'avoir ce sentiment de tout recommencer. En tant que réalisateur, j'ai eu cette sensation d'être basculé dans une saison 1, puisqu'il a fallu reprendre des éléments importants, tout en donnant une place centrale aux nouveaux éléments. Il fallait que les gens se prennent d'affection pour Lola, qu'ils aiment Maya, que la génération qui arrive représente des choses pour nos spectateurs et visiblement c'est le cas. Et puis Lola peut aussi être un moyen de faire venir à Skam ceux qui ne regardaient pas les saisons précédentes. Ce programme est en mouvement permanent et ça peut effectivement être un moyen d'accrocher de nouveaux spectateurs.
Du coup, la génération de Daphné, avec Lucas, Manon et les autres, arrive au bout du chemin à la fin de cette saison 6 ? La suite se fera avec d'autres ?
Honnêtement, en abordant la saison 6, on ne s'est pas trop posé ce genre de question. Maintenant, je disais aussi à chaque comédien sur le tournage, que la scène qu'ils étaient en train de tourner pouvait potentiellement être la dernière du personnage. Il n'était pas question que cette saison 6 ne soit qu'un passage de relais, mais il fallait que tout le monde la voit comme la fin d'un époque. Moi, j'ai un souvenir merveilleux de mon année de terminale. C'est un moment de la vie où chaque heure compte, d'autant qu'on n'a aucune certitude sur la suite. C'est le moment des fausses promesses, où l'on dit qu'on ne se perdra jamais de vue alors qu'en fait, on ne sait pas du tout si on se reverra à la fac... Il y a ce petit côté "Place des Grands Hommes" de Patrick Bruel. Mais on rêve tous que ça puisse arriver, parce qu'il y a encore une forme d'innocence très marquée chez la plupart des lycéens. L'idée était donc, dans la saison 6, de faire un peu honneur à ce sentiment là : profitons de ces dernières heures ensemble. En ce qui me concerne, j'ai abordé cette saison 6 comme la fin et je garde un souvenir très ému de cette génération Skam et de la nouvelle qui s'amorce.
Lola sonne comme une évidence, dès le premier épisode. Mais vous avez pensé à d'autres personnages à mettre au centre de la saison 6 ?
On avait pensé à Daphné, parce qu'elle est dans toutes les saisons, elle est le moteur. Elle est le point convergent de toutes les histoires. Cela fait longtemps que j'avais envie qu'elle ait une petite sœur. La mort de sa mère était prévue au scénario depuis le départ, mais j'avais très envie de la voir en charge d'une petite sœur de 7 ou 8 ans. De la mettre aux commandes d'un foyer, responsable d'une personne, à l'âge où elle passe son bac, où Daphné commence juste à basculer dans l'âge adulte. Mais les Norvégiens n'ont pas validé une saison centrée sur Daphné et c'est de là qu'est venue l'idée de partir sur sa sœur. J'ai très vite eu cette image d'une fille fuyant son foyer, errant la nuit dans la ville. Et très rapidement, l'idée qu'elle allait croiser le chemin d'Eliott s'est imposée.
Quel impact a le contexte très particulier durant lequel est diffusée cette saison 6, avec le confinement et la fermeture des établissements scolaires ?
Au moment où la pandémie s'est déclaré, on s'est immédiatement regardé en se disant qu'on venait de faire une série en temps réel, dans un monde où les gamins vont au lycée, et où il ne fait nulle part mention de virus et de confinement... Alors forcément, on avait peur d'être en décalage avec la réalité du moment. Il y a alors eu des voix qui plaidaient pour le "binge", pour que toute la saison 6 soit mise à disposition d'un coup. Mais je trouvais ça terriblement dommage, justement à un moment où les gens sont en demande d'histoires pour sortir de leurs quotidiens confinés ! Ce qui fait la force de Skam, ce sont ces 10 semaines de diffusion et de débats, où chacun prend conscience des frustrations des personnages et des problématiques en temps réel. Après, il faut avouer qu'on a eu peur de rajouter du drame au drame, puisque la saison 6 est assez douloureuse. Mais ce n'est pas du tout ce qu'il s'est passé. Ca a fait du bien à notre public de voir des jeunes évoluer normalement. Ce qui est plus ennuyant, pour nous, c'est la perspective des contraintes sanitaires qu'il faudra respecter sur les plateaux de tournage dans les mois qui viennent. Elles seront très compliquées à respecter, surtout sur une série comme Skam où ce qu'on aime, ce sont les étreintes, les contacts, ces moments où l'on se soutient, ces fêtes pirates... Je crois que ce serait plus sage d'attendre que passe la crise avant de reprendre le tournage de Skam. Tourner pour tourner, ce n'est pas ma philosophie. On ne pourra pas mettre un bandeau à la fin du programme pour dire que la série a été filmée pendant les contraintes sanitaires liées au COVID-19 et qu'il faut être indulgent si c'est naze...
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