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A l’époque de Skyfall, Sam Mendes avait cité le Dark Knight de Nolan comme inspiration essentielle de ce que devait/pouvait être son Bond. Le traitement émotionnel du héros orphelin, sa quête biographique, la symbolique « intestinale » des tunnels et souterrains que le personnage doit traverser pour "revenir au monde", le héros blessé et usé. James Bond avait tout à coup le droit à l’intensité, la noirceur et même la tristesse que Nolan avait insufflé au Batman. Le genre d’émotions qu’il n’avait eu qu’une fois, dans le meilleur film de la saga (Au Service secret de Sa Majesté). Le résultat était désastreux en terme de fun. Finies l’approche simple et directe du matériau, la distillation savante de l’essence serial en 24 images/seconde. En reprenant tous les trucs (intrigue, pose artistique, psychologisme) qui ont tendance à "plomber" les films du genre, Mendes ancrait Bond dans le cinéma du XXIème siècle. Naïvement, on pensait que la nolanisation de Bond s’était conclue avec la mort de Silva. C’était la promesse des derniers plans de Skyfall (l’apparition de Moneypenny, le bureau de M). On espérait que la phase reboot était derrière Craig et qu’en brûlant Skyfall, le Commander renaissait une bonne fois pour toute au fun et à son identité 60’s. Qu’il allait retrouver son cynisme moqueur pour redevenir l’agent jetsetteur qui, au lieu de chialer sur son sort, baise les filles en bikini et boit son martini shaken.  

 

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Et puis… ce teaser. Dark, sérieux. Une vidéo où la seule scène d’action est un vol de corbeau, où l’on sent que Mendes s’est forcé à mettre un Walther PPK et une Aston Martin par contrat ; où les modèles ne s’appellent plus Terence Young ou Ian Fleming, mais Kubrick et Freud… La tristesse métaphysique radicale, le refus ostensible de l’action non-abstraite et viscérale et cette volonté manifeste de surtout, jamais, mais JAMAIS, nous satisfaire montre que Mendes compte bien continuer sur sa lancée. En 1 minutes 36, le teaser de Spectre confirme que le cinéaste des Noces rebelles s’est accaparé cet objet pop pour le solenniser. Avec ses monstres dans le placard, ses rituels maçonniques et un Christoph Waltz en hypothétique frangin maléfique, le teaser continue de s’écarter du Bond original pour lui offrir une stature, une incarnation de chair et de sang et un sérieux qui n’a jamais fait partie de l’essence du personnage.

 

La même semaine, on découvrait le teaser de Mission Impossible 5. Une déesse sortait de la piscine mouillée, les motos vrombissaient, les tôles de bagnoles se froissaient, les flingues crachaient leurs balles argentées et Tom, après avoir fait une sublime cascade en voiture dont Remi Julienne pourrait être jaloux, partait s’accrocher à une carlingue d’A400. D’un seul coup, on retrouvait l’éclat d’un blockbuster fun et décomplexé qui semblait sorti d’un autre temps. Rogue Nation fait rêver sans doute parce que Cruise y marche sur le territoire de Bond. L’original, le vrai l’unique. Pas la chialeuse de Skyfall. On sait bien qu’au fond, Mission Impossible a toujours été la version cruisienne de Bond. Dans le genre, on pourrait rappeler que les premiers Bond étaient une réponse de Broccoli à Hitchcock que le mogul britannique n’avait jamais pu se payer pour la mise en scène de ses récits d’espionnage. Et lorsqu’il lance la série, De Palma (le réalisateur le plus hitchcockien du monde) propose une alternative moderne et sophistiquée aux grands classiques de l’espionnage du maître du suspens (Correspondant 17 ou Les Enchaînés). On pourrait, mais ça n’est même pas nécessaire. Le trailer de Rogue Nation rappelle simplement que Cruise endosse l’aspect le plus fantasmatique de Bond comme Craig ne l’a jamais vraiment fait excepté dans l’ouverture de Casino Royale. Le plus fascinant chez 007 a toujours été l’infaillibilité de son charme et de sa séduction alors que tout le monde sait parfaitement (et lui le premier) qu’il est au fond une véritable petite crapule. Pas ce héros torturé, cette victime du fatum que Mendès reconstruit depuis Skyfall.

 

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Dans la bande-annonce de MI5, Hunt, élégant mais sans classe, brutal et ironique, intelligent mais sans âme, (body)buildés comme un Johnny Weismuller ou un Sean Connery 3.0 redevient un Gentleman Totem. En tout cas, beaucoup plus proche du Bond original que le Craig pleurnichard qui regarde une photo jaunie dans son loft anonyme. Ca dit un truc sur Bond, mais surtout sur le cinéma, comme si aujourd’hui, on n’avait définitivement plus le droit aux jolis contes de fées musclés, dans lesquels de beaux hommes étreignent goulument des sirènes hollywoodiennes. Heureusement qu’il nous reste Tom Cruise.

Gaël Golhen