Ce qu’il faut voir (ou pas) au cinéma cette semaine
Rester vertical***
D’Alain Guiraudie
L’essentiel
Une nouvelle rêverie de l’auteur de L’Inconnu du lac
Léo rencontre Marie dans les hauts pâturages. Elle l’emmène chez son père qui a l’air d’un ogre. Ils baisent. Marie, lassée des hésitations de Léo, finira par abandonner leur enfant.
Alain Guiraudie pratique un « cinéma de la rêverie » dans lequel la mythologie se confond avec le réel, où les personnages, animés d’intentions floues, nouent des relations aussi concrètes qu’abstraites. Comme L’Inconnu du lac, Rester vertical débute sur une rencontre hasardeuse dans un endroit incongru dont l’aboutissement – une grossesse – procède moins d’un calcul que d’un caprice du destin. Chez Guiraudie, les personnages acceptent ce qui leur arrive sans trop se poser de questions. Il s’agit surtout des hommes que le cinéaste oppose aux femmes, plus terriennes : Jean-Louis, grand-père « monstrueux », obsédé par le loup tueur de moutons ; Marcel, vieil homme raciste et homophobe qui héberge Yoan, un éphèbe qui s’occupe de lui, tout en le dépouillant ; Léo, être en fuite qui refoule son homosexualité et repousse l’écriture d’un scénario, tout en essayant d’être père. Le télescopage de ces marginaux accouche de situations ambiguës, nimbées d’une lumière sépulcrale (la photo de Claire Mathon, déjà à l’œuvre sur L’Inconnu du lac et Mon roi, est magnifique) qui confère au film ses allures de conte déviant – il y a même une sorte de fée guérisseuse et psy dans les bois. C’est tantôt très drôle, tantôt dramatique, parfois les deux en même temps. C’est inattendu. C’est du Guiraudie.
Christophe Narbonne
Hôtel Singapura***
D’Eric Khoo
Le film qui a révélé Eric Khoo en France avait pour titre Be with Me. Celui-ci pourrait s’appeler Come with Me (« jouis avec moi »). Sous le concept poétique (Singapour racontée par les occupants d’un hôtel), c’est une nouvelle étude de la solitude. Mais cette fois-ci, sous l’angle du désir érotique. Adepte des ruptures de ton, Khoo zappe d’un style et d’une tonalité à l’autre : mélo, soap, pastiche pop, fugaces visions SF... Tout le monde (gays, hétéros, putes, trans, puceaux) est convié à cette fête un peu triste, qui veut sonder la fatigue existentielle suivant l’orgasme. Tous les sketchs ne se valent pas, mais dans ses meilleurs moments (ses scènes de cul), Hôtel Singapura atteint l’extase. Un très bon Khoo.
Frédéric Foubert
Exotica, Erotica, etc.***
D’Evangelia Kranioti
Artiste plasticienne grecque installée en France, Evangelia Kranioti signe un documentaire singulier, fruit de ses recherches esthétiques et symboliques autour du thème de la mer et de l’amour. À partir du témoignage magnifique et poétique d’une ancienne prostituée chilienne qui n’a connu que des marins (son corps et son âme en portent les stigmates), la cinéaste tente de capter cette nécessité qui pousse les uns à partir et les autres à attendre. Elle entrecoupe son propos d’images de cargos monstrueux aux volumes très graphiques, de docks illuminés, d’hommes qui chantent, de femmes alanguies... Ce documentaire-poème est une réelle invitation au voyage et à la rêverie.
Christophe Narbonne
Mimosas**
D’Olivier Laxe
Road-movie désertique qui parcourt le Haut Atlas marocain, le Grand Prix de la Semaine de la critique 2016 suit un groupe d’hommes chargés de convoyer un vieux cheikh agonisant à travers les montagnes. Mettant en scène deux voyages (l’un ancestral, l’autre situé à l’époque contemporaine) qui se confondent mystérieusement, cette fable opaque souhaite de l’aveu de son réalisateur réinjecter une part de sacré dans la fiction. Elle s’appuie sur le potentiel de paysages atemporels qui évoquent les déambulations mystiques de Tarkovski ou de Herzog, mais sans en approcher la puissance empathique ni l’audace narrative. Pourtant ambitieux, Mimosas échoue ainsi à créer son propre mythe.
Damien Leblanc
Elektro Mathematrix**
De Blanca Li
Elektro Mathematrix n’est pas un long métrage sur la danse. C’est un déferlement de corps endiablés, un ouragan de gestes déchaînés et de bonds furieux. À travers cette comédie musicale clipesque, la chorégraphe Blanca Li a banni les mots pour raconter la vie de danseurs électro autodidactes au sein d’un lycée technique. Et si ces acrobates tous plus doués les uns que les autres se lancent dans d’impressionnantes battles de danse, on regrette l’absence d’une tension narrative forte qui aurait permis d’insuffler plus d’émotion à ces chorégraphies, certes euphorisantes mais aussi cacophoniques. À croire qu’on n’a pas encore trouvé le chaînon manquant entre Sound of Noise et Dirty Dancing.
Mathias Averty
Dans le noir*
De David F. Sandberg
L’idée lumineuse au centre de Dans le noir a tout du précis poétique de cinéma – sur le cinéma. Lorsque vous éteignez la lumière, quelque chose (quelqu’un) apparaît. Sous sa forme court métrage, réduite à sa plus simple et théorique expression, Lights Out (titre original) réussissait à foutre les jetons avec trois fois rien. Pour la version longue, David F. Sandberg transforme le tout en tragédie mortifère dans une maison et tente de faire passer le drame familial avant l’exercice de genre. Sa direction d’acteurs devient donc l’enjeu premier du film, plus que sa nature de réalisateur. Mais de Teresa Palmer à Maria Bello en passant par le gamin à la bouche en cul-de-poule, ils sont tous exécrables.
Christophe Narbonne
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Directement en DVD
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