Journaliste star et historien du cinéma tendance trash, Peter Biskind a compilé et édité les fameux « tête-à-tête » entre Orson Welles et son confident Henry Jaglom. L’auteur de Sexe, mensonges et Hollywood détaille sa méthode, entre cinéphilie pure et dure et cancans people.PREMIÈRE : Dans quel état étiez-vous le jour où vous avez découvert ces conversations entre Welles et Jaglom ?PETER BISKIND : C’était comme mettre la main sur un manuscrit inédit de Shakespeare ! Ces bandes dormaient dans une boîte à chaussures depuis trente ans, vous imaginez ? Ce qui rend ces enregistrements vraiment fascinants, c’est que Welles n’est pas en train de répondre aux questions d’un journaliste. Jaglom et lui sont amis, donc sur un pied d’égalité. Ça nous permet de découvrir un Welles inédit, plus humain, parfois intolérant, politiquement incorrect, clairement mythomane. Et drôle. Très, très drôle.Certains gardiens du temple « wellesien » – dont sa fille Chris – accusent Jaglom d’avoir trahi Welles en enregistrant ces conversations à son insu...Impossible d’établir la vérité. À aucun moment sur ces bandes Welles dit clairement savoir qu’il est « on the record ». La ligne de défense de Jaglom est la suivante : Welles souhaitait compiler ses souvenirs en vue d’un livre, mais il avait demandé à ce que l’enregistreur soit planqué sous la table pour ne pas être inhibé. J’ai décidé de croire à cette version. Il faut savoir que les spécialistes et les héritiers de Welles peuvent parfois être hargneux. Ils se livrent une guerre féroce.Aucun cas de conscience donc au moment de rendre tout ça public ?Vous plaisantez ? On aurait été fous de ne pas publier ça. Welles pouvait être très dur, mais il n’y a rien de vraiment embarrassant dans le livre. Même ses commentaires surles gays ne sont pas si choquants que ça... Vous n’avez pas écrit le livre mais c’est pourtant du Biskind pur jus : documenté, people et cinéphile à la fois, un peu langue de pute sur les bords.(Rire.) Merci du compliment. J’ai toujours trouvé que les écrits sur le cinéma avaient tendance à être trop révérencieux. Vous savez, j’ai longtemps travaillé pour le Première américain et, à force d’écrire des portraits de stars et de réalisateurs à la chaîne, j’ai fini par comprendre que le seul moyen que j’avais de rendre ça intéressant était de traiter ces gens comme des êtres humains plutôt que comme des demi-dieux. J’en ai énervé certains au passage, comme Harvey Weinstein ou Warren Beatty, mais ça ne veut pas dire que je ne les respecte pas, au contraire. C’est juste plus intéressant de lesfaire descendre de leur piédestal.Même les géants comme Welles ?Bien sûr. C’est révélateur de voir cet homme de gauche parler aux serveurs comme un aristocrate, non ?Peter Bogdanovich s’en prend plein la tronche... C’est vrai. J’étais un peu embêté car il avait déjà été très vexé par le portrait que je faisais de lui dans Le Nouvel Hollywood (pavé de référence sur le cinéma américain des années 70). Il va finir par croire que je luien veux. Mais la relation entre Welles et Bogdanovich est trop importante – dans l’histoire du cinéma comme dans leur vie personnelle – pour passer ça sous silence...Le livre a beau être très marrant, on finit quand même la lecture bouleversé.Oui, il y a clairement un arc narratif. Au début, Welles est plein d’enthousiasme, il croit sincèrement qu’il va obtenir des financements pour tous ces projets sur lesquels il travaille. Puis Jack Nicholson refuse de faire The Big Brass Ring, François Mitterrand et Jack Lang le lâchent (le gouvernement français devait aider Welles à monter une adaptation du “Roi Lear”), les échecs s’accumulent. Et tout ça finit dans l’amertume.INTERVIEW Frédéric FoubertEn tête à tête avec Orson – Conversations entre Orson Welles et Henry Jaglom, éditées et présentées par Peter Biskind. (Éd. Robert Laffont)Notons que pour fêter le centenaire du cinéaste, Cannes Classics va diffuser trois films cultes du ou avec l'artiste : Citizen Kane, La Dame de Shanghai et Le Troisième homme. Deux documentaires seront également projetés sur la Croisette : Orson Welles, Autopsie d'une légende d'Elisabeth Kapnist et This Is Orson Welles de Clara et Julia Kuperberg. Bande-annonce de Citizen Kane : >>> Sommaire du nouveau numéro de Première>>> Première Spécial Cannes 2015 vous propose des t-shirts collector de The Big Lebowski
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