The Fabelmans, de Steven Spielberg
Universal

Tony Kushner garde un excellent souvenir de la venue de [spoiler] sur le plateau du film autobiographique de Steven Spielberg.

Ce soir, Canal + programme le dernier film de Steven SpielbergThe Fabelmans, également disponible sur MyCanal jusqu'au 31 janvier 2024. Une oeuvre très personnelle, inspirée par sa jeunesse, qu'il a co-écrite en compagnie de Tony Kushner, un auteur avec lequel le cinéaste américain avait déjà collaboré sur Munich (2005), Lincoln (2012) et West Side Story (2022). 

The Fabelmans fut un gros coup de coeur de la rédaction de Première à sa sortie en début d'année. A l'occasion de sa sortie en DVD et blu-ray, en juillet, Tony Kushner avait accepté de décrypter pour nous une poignée de séquences. Attention aux spoilers ! Nous repartageons ci-dessous son meilleur souvenir du tournage : le jour où Steven Spielberg a accueilli un autre réalisateur de renom sur le plateau le temps d'un caméo.

Comment écrit-on un film avec Steven Spielberg ? Tony Kushner nous raconte la création de The Fabelmans
Abaca

La scène de fin a surpris le public par son côté léger, à tel point que la théorie de la ligne d'horizon développée par John Ford est devenu un mème, une blague partagée entre cinéphiles. Kushner nous raconte en détails comment elle a été conçue, avec un artiste qu'on n'attendait pas forcément dans ce genre de rôle : le réalisateur David Lynch (Twin Peaks, Mulholland Drive...).

La rencontre a pu se réaliser grâce à Laura Dern, l'une des actrices fétiches de ce dernier, qui est aussi au cœur de la saga Jurassic Park de Steven Spielberg.

The Fabelmans John Ford David Lynch
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"Steven m'a raconté sa rencontre avec John Ford lors du premier jour de tournage de Munich à Malte, se souvient son partenaire d'écriture. On se connaissait à peine ! On préparait une scène nocturne et je lui ai demandé ce qui l'avait décidé à devenir réalisateur. Il m'a détaillé cette anecdote folle, mais en rigolant, c'était un souvenir marrant. Comme la scène, qui est amusante, même si elle dit au fond des choses importantes.

Je sais qu'il a raconté cette histoire à plein de gens, elle était même dans un documentaire. Il faut dire qu'elle est super ! (rires) On a tous les deux eu envie de l'utiliser, et lui voulait finir le film avec. L'échange surréaliste correspond à ce qu'ils se sont vraiment dit. On a un peu galéré au casting, on avait des idées, mais ça ne marchait pas exactement comme on le souhaitait. Je lui ai demandé si ça lui plairait d'avoir un cinéaste pour jouer un autre cinéaste, et mon mari, Mark Harris, a glissé le nom de David Lynch pendant qu'on préparait West Side Story. Il venait de voir une interview de lui et c'est vrai qu'il collait parfaitement. Steven a tenté de le contacter via son agent, n'a pas eu de réponse, alors il a appelé Laura Dern à la rescousse ! Elle lui a téléphoné, il a accepté en disant qu'il ferait le test mais que s'il n'était pas bon, il faudrait le remplacer.

Le jour du tournage est inoubliable pour moi. C'est vraiment unique dans une vie : Steven Spielberg qui filme David Lynch cours d'une scène où Steven Spielberg rencontre John Ford, qui est joué par David Lynch. Wow ! C'était tellement bizarre. J'étais heureux comme un gosse. C'est vraiment l'un des summums de ma carrière de scénariste. Déjà d'avoir pu participer à des films de Steven Spielberg, que je suivais depuis le début de sa carrière... J'adore Rencontres du Troisième Type, et c'est en partie lié au fait qu'il ait engagé François Truffaut pour jouer dans son film. Qu'il refasse ça des années plus tard avec un autre cinéaste, qui est si important dans le cinéma américain... Sans compter qu'en début de carrière, il avait aussi rendu hommage à Alfred Hitchcock. Il clame son amour des réalisateurs à travers ses films.

Lynch est incroyable en plus ! Ce geste qu'il fait avec son cigare pour faire jaillir des flammes n'était pas du tout prévu, c'est lui qui s'est amusé avec, ça a attiré son attention et il a littéralement joué avec ça. En plus ce feu, cette fumée, ça ajoute un petit côté flippant au personnage, et l'on voit qu'il est facilement déconcentré, on ne sait pas comment il va réagir.

C'est vrai que cette scène est drôle. Mais elle a aussi du sens, au fond. Elle montre qu'on peut utiliser l'art pour contrôler sa vie, qu'en devenant un maestro dans son domaine, on apprend à ne plus se laisser dépasser par tout ce qui peut chambouler notre existence. Sauf qu'une fois que vous commencez à comprendre le pouvoir de l'art, vous réalisez aussi qu'il peut vous emmener dans des zones dangereuses, très sombres. Clairement, John Ford était un génie. Pourtant, ce n'était pas un homme très heureux. C'est pour ça qu'il demande à ce jeune garçon pourquoi il tient tant à devenir réalisateur. Quand il lui donne ce conseil par rapport à la ligne d'horizon, il sait que c'est une 'règle' débile, mais en même temps c'est la seule chose qu'il est capable de contrôler. C'est un outil qui lui permet de maîtriser son art et donc sa vie.

C'est d'autant plus beau grâce au passage juste avant où Sammy attend de le rencontrer sans savoir immédiatement avec qui il a rendez-vous. Il le comprend en même temps que le spectateur en voyant les affiches de ses films. Steven avait mis la musique de La Prisonnière du désert sur le tournage ce jour-là et tout le monde était scotché par cette salle avec les posters de tous ces chefs-d'oeuvre. La caméra prend son temps, film après film : La Chevauchée fantastique, Qu'elle était verte ma vallée, Le Mouchard, La Prisonnière du désert, Le Fils du désert, La Charge héroïque, Les Raisins de la colère, L'Homme tranquille, l'Homme qui tua Liberty Valance... on comprend à quel point cet artiste est important aux yeux de Sammy. Et de Steven qui rend hommage à John Ford, qu'il considère sans doute comme le plus grand cinéaste de tous les temps. J'adore cette scène en particulier, j'aime la manière dont elle met en avant son talent, d'une façon si simple, évidente."

Les autres anecdotes de Tony Kushner sur la fabrication de The Fabelmans sont à lire ici.

Et voici la bande-annonce du film :


Les Cheyennes, le dernier western de John Ford