Afghanistan, 2005. Une équipe de quatre Navy SEAL part en mission. Objectif : localiser un chef de guerre taliban. La mission va tourner au massacre. C'est tout. C'est une histoire vraie, et c'est le synopsis de Du sang et des larmes. Et c'est bien suffisant pour Peter Berg, qui livre là son meilleur film et l'un des meilleurs films de guerre américain de ces dernières années. Surprenant de la part du réalisateur d'Hancock et Battleship ? Pas vraiment. En 2006, sur le tournage d'Hancock, Berg tombe sur le bouquin Lone Survivor dans lequel le Navy SEAL Marcus Luttrell raconte son histoire. Berg veut l'adapter et le pitche à Universal, qui accepte à la condition que Berg réalise d'abord Battleship. On connaît la suite : blockbuster décébré et rutilant, pâle copie de Transformers, le film - qui adapte le jeu de société La Bataille navale - est un échec au box-office à sa sortie en mai 2012. Pour Lone Survivor, Berg devra se serrer la ceinture niveau budget - mais il recrute Mark Wahlberg, qui accepte comme tout le monde de se mettre au régime salarial sec.Du point de vue de la construction, Du sang et des larmes est parfaitement symétrique. Le film s'ouvre et se ferme sur une confrontation avec le réel - images d'archives vidéo de l'entraînement des SEAL dans le générique de début, puis l'opposition classique entre les photos des vrais soldats et des acteurs à la fin. Pendant la première heure, nous assistons à la préparation des soldats en vue de la mission. Ils font leur footing, des vannes de mecs, ils parlent avec leurs copines/femmes sur Internet, et les femmes sont ainsi exclues du plan, signifiant peut-être que la violence appartient à l'univers masculin. Un briefing rapide qui montre l'assurance de l'état-major (le méchant est par là, on va donner des noms de bière - Heineken, Budweiser- aux différents check-points…) et une cérémonie de bizutage sur le nouveau petit soldat de 22 ans plus tard (dans l'ambiance middle America qui rappelle la série télé de Berg Friday Night Lights sur le foot US, déjà avec Taylor Kitsch), et la mission commence. Au centre du film intervient le twist : les soldats vont être confrontés à un choix moral qui va déclencher le massacre de la deuxième heure.Une deuxième heure de guerre quasi totale, bourrine et brutale. Qui verra s'effondrer les glorieux super-soldats américains face à un ennemi quasi invisible et anonyme : les quatre SEAL ne cesseront de tomber littéralement de plus en plus bas au fur et à mesure de l'avance de leurs adversaires, tandis que leurs corps se font de plus en plus maltraiter - les SFX gore sont signés du légendaire Greg Nicotero, trente ans de carrière du Jour des morts-vivants à The Walking Dead -jusqu'au bout. Jusqu'à la mort.Les moments d'exécution sont shootées avec une grâce inespérée, dans une lumière et un silence religieux. Quand ça flingue, la caméra est secouée, mais l'action est lisible. Berg n'oublie pas de faire son cinéma, lui qui a vécu quelques jours avec une équipe de SEAL en 2009 en Irak pour la préparation du projet. Résultat, on se situe stylistiquement entre ses deux meilleurs films : la lisibilité de la baston bis de Bienvenue dans la jungle avec The Rock (2003) et la shaky cam limite hystéro du Royaume produit par Michael Mann (2007). Paradoxe ? Non. C'est le style du film. Il reste dans son genre - le film de guerre réalisé avec l'armée US - mais n'est pas un tract de propagande pour partir la fleur au fusil buter du taliban. Les SEAL sont des soldats professionnels : ce sont des artisans de la guerre, qui sont là parce qu'ils le veulent bien (notamment Ben Foster, glaçant en partisan de la méthode dure, qui déclare "je suis la faucheuse" en abattant des ennemis), ce ne sont pas des citoyens engagés de force pour défendre leur nation - Du sang et des larmes ne questionne pas à l'écran la présence US au Moyen-Orient. Leur défaite résonne d'autant plus fort. Ce qui sauvera Marcus (guettez bien l'écran-texte final au bout du générique) est une sorte de pied de nez au danger du manichéisme qui guette ce genre d'histoires.Mettons les choses au point. Malgré son sujet et sa logistique en treillis, Du sang et des larmes n'est ni Portés disparus ni Rambo II. De toutes façons on ne peut pas faire un film anti-militariste qui construirait des belles scènes de guerre et de fusillades, ce serait malhonnête. Le long métrage s'inscrit plutôt dans une tradition de films de guerre déceptifs façon Aventures en Birmanie de Raoul Walsh avec Errol Flynn (la survie plutôt que la mission), ou La Chute du Faucon noir. Du sang et des larmes fonctionne exactement comme le film de guerre de Ridley Scott. Plus modeste en termes de budget, certes, mais tout aussi intense et violent. Et surtout il illustre la même chose : un massacre, la confrontation brutale entre l'idée et le réel (les beaux discours ne sont pas pare-balles), et la défaite de la machine de guerre américaine sur le terrain. On ne pense pas que les spectateurs se précipiteront pour s'engager en sortant de la salle. Le film est honnête, brutal, violent et réaliste de point de vue-là : la guerre ne se fait pas à travers un écran vidéo, c'est sale, c'est violent, c'est dans la boue et dans la douleur, c'est des fractures ouvertes et des shrapnels, il y a des morts - civils comme militaires. Du sang et des larmes nous le rappelle.Sylvestre PicardBande-annonce de Du sang et des larmes, en salles le 1er janvier :