Guillermo del Toro se réapproprie le mythe de Carlo Collodi, le conforme à ses préoccupations d’auteur et signe un film d’animation d’une puissance dramatique et formelle, ahurissantes. A découvrir sur Netflix.
Après une confiscation par Disney qui adapta la prose de Carlo Collodi en 1940, pour le façonner à sa morale pétrie de conformisme (l’innocente marionnette devait filer droit pour devenir un bambin comme les autres), il fut longtemps difficile d’imaginer Pinocchio autrement que ce petit garçon en dessin animé au sourire béat. Luigi Comencini avait bien tenté de corriger le tir en 1975, revenant aux sources originelles du conte devenu mythe, mais le côté anar de son adaptation (le garnement se contrefoutait éperdument de devenir un bambin comme les autres), cantonna son film à une postérité ambiguë et contrariée. On ne peut donc que se réjouir de voir notre intrépide garnement faire une remontée spectaculaire dans l’imaginaire des cinéastes. En à peine trois ans, Matteo Garrone, Robert Zemeckis et donc Guillermo del Toro, ont sculpté leur propre bûche.
Pour Guillermo del Toro, ce Pinocchio réalisé en animation en volume, s’inscrit dans une continuité et il est aisé de faire des ponts entre deux de ses œuvres les plus personnelles : L’Echine du diable (2001) et Le labyrinthe de Pan (2006), drames fantastiques avec la guerre et la montée du fascisme en toiles de fond. Le cinéaste mexicain situe d’ailleurs l’action de son Pinocchio dans l’Italie de Mussolini et propose un parallèle aussi audacieux que stimulant. Si Geppetto, père maladroit et sensible de la marionnette offre à son fils le droit de vivre ses propres aventures et donc de construire sa personnalité, le Duce, en père de la Nation, entend au contraire, mettre ses « enfants » au pas. Pinocchio, rebelle malgré lui, passera, on le sait, une grande partie de son temps à retrouver la trace de son géniteur pour puiser à sa source les ferments de son libre arbitre. Guillermo del Toro est allé encore plus loin. Parmi les nombreuses libertés prise avec le texte de Collodi, la plus audacieuse consiste, en effet, à nous présenter Geppetto en vieil homme accablé de douleur par le deuil d’un premier fils mort sous les bombes durant la Première Guerre Mondiale. Le drame s’est joué dans une église face à un Christ en croix, sculpté par le père du bambin. Ce magnifique prologue permet de reconfigurer entièrement les contours du conte, Pinocchio devenant à la fois un être quasi divin, un fantasme et un revenant. L’enfant porte dès lors en lui un lourd fardeau dont il devra se délester. Un exercice rendu plus doux par un Geppetto ne faisant jamais peser sur son nouveau fils le poids de l’autre.
Chez Del Toro, on le sait, tout est spectacle et en revenant aux arts forains (cf. Nightmare Alley), il aime à replacer le cinéma à ses origines supposément impures où le mensonge et les faux semblants en mouvement, servaient alors à séduire le tout-venant. En route pour l’école sous les conseils de l’autorité fasciste, Pinocchio va dévier sa route vers un cirque soumis aux ordres d’un grippe-sou autoritaire. La marionnette devra très vite s’exercer à une pantomime grotesque, surjouant sa « monstruosité ». La magie ainsi confisquée, le spectacle n’a plus aucune valeur et lorsque les comédiens se rebellent face à un Mussolini outré de se voir caricaturé, le rideau retombe. De là, à voir en del Toro, le pourfendeur du système hollywoodien actuel, il n’y a qu’un pas qui mène donc à Netflix. Enfin, et puisque tout ceci n’est que simulacre, parlons du mensonge qui fait rallonger le nez de la marionnette. Une excroissance censée punir l’insolent. Pas pour del Toro (on ne dévoilera rien de la séquence dantesque dans l’antre de la baleine), qui érige non pas le mensonge mais bien l’imaginaire comme l’une des seules forces capables de nous faire conserver notre âme d’enfant. En trahissant Collodi, del Toro a rendu toute sa raison d’être à son personnage. Sublime.
De Guillermo del Toro et Mark Gustafson. Avec les voix de Ewan McGregor, Ron Perlman, Cate Blanchett… Durée : 1h59. Disponible le 9 décembre sur Netflix
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