10 ans après Calvaire, Laurent Lucas retrouve Fabrice Du Welz dans Alleluia, évocation surréaliste du parcours d’un couple d’amoureux meurtriers. Dès sa première apparition, Lucas subjugue avec son regard inimitable, à la fois séducteur et inquiétant. Du coup, on regrette son absence, ou plutôt d’être passé à côté des films qu’il tourne au Canada depuis qu’il s’y est installé il y a plus d’une douzaine d’années. Nous l’avons rencontré au dernier festival de Cannes. Québec oblige, le tutoiement est de rigueur. Depuis que tu t’es installé à Montréal, on a l’impression que tu as disparu de la circulation. C’est volontaire ?Je ne suis pas tant à l’écart que ça. J’ai pas mal travaillé au Canada où j’ai fait une dizaine de films. Mais je suis toujours mobile. Je tourne trois films par an que ce soit au Québec ou en France. Une année j’ai eu trois films à Cannes : en sélection officielle, à la Quinzaine et dans une autre sélection parallèle. Mais il arrive aussi que les films n’aient pas de succès. Je n’y peux rien.Comment s’est passé le retour dans l’univers de Fabrice du Welz ? A-t-il évolué depuis Calvaire ?Fabrice, c’est un ami. Il me proposerait n’importe quoi, je le ferais, que j’aime ou non. Je lui fais entière confiance. Avec Alleluia, il a atteint un niveau de maîtrise assez extraordinaire. Il était en état de grâce sur le tournage. Inspiration, détente, concentration, il avait tous les ingrédients. A tel point que je me demandais s’il allait tenir tout le tournage avec le même niveau. Il dégage une énergie sans violence. Tout était en place. Il voyait tout, il entendait tout, il était proche de nous pendant le jeu, c’était cadré assez serré, on l’entendait respirer, il nous soufflait des choses parfois en cours de route, mais sans que ce soit jamais gênant. C’est assez exceptionnel.Les deux personnages principaux sont très différents et complémentaires, et on a l’impression que toi et Lola Duenas étiez au diapason, toi très précis et elle très instinctive. Comment vous êtes-vous trouvés ?Quand j’ai vu débarquer Lola, j’étais sûr que potentiellement elle avait tout. Je l’ai vue évoluer jusqu’au dernier acte, où elle devient une boule de souffrance. Elle n’essaie pas d’être belle, mais après tout le chemin parcouru, c’était beau à voir. Et dans le jeu, on était très bien ensemble, mais on travaillait à trois. Fabrice nous accompagnait complètement. Ce n’est pas évident de parler d’un tournage comme celui-là, purement sensoriel. Après coup, je ne me souviens pas de ce qui a été pensé, il ne me reste que des sensations physiques, comme la proximité de Fabrice pendant le travail.>>> Alleliua est un film d'amour fouLe style visuel est très important. Est-ce que tu as ressenti les exigences techniques comme des contraintes ?Le premier cadre c’est le texte, le second c’est l’espace. Et j’aime bien qu’on me le définisse. Je me souviens d’un projet où le réalisateur s’interdisait de décider avant que les acteurs soient là. Il ne disait rien d’autre que : « ça va se passer dans cette pièce, jouons la scène ». Ca donnait du très bon et du très mauvais. La spontanéité recherchée n’est pas toujours intéressante. On la trouve plus souvent quand on est bien entouré, bien cadré, bien préparé, comme avec Fabrice. J’aime qu’on me dise : « Tu commences là, tu vas jusque là, ensuite là-bas ». Déjà il y a une mécanique en place. Toi tu vas aider la technique pour que ce soit réalisable. Parfois c’est difficile parce qu’il y a des imprévus évidemment. Je pense à la scène de l’escalier avec Lola, qu’on monte ensemble avant de faire l’amour. Un rai de lumière passait, et comme on tournait en plan séquence, il fallait refaire la prise parce que la lumière ne tombait pas au bon endroit. En même temps que tu dois jouer, tu dois tenir compte de ce genre d’incident, de l’orientation de ton corps, de celle de ton partenaire pour que ça se passe bien. Il faut sans arrêt concilier les moments où tu t’abandonnes au jeu, et les moments où tu dois contrôler l’espace avec précision. C’est ça le métier, c’est un dialogue avec la technique. Ton personnage passe par des états émotionnels très contrastés. Ca a été difficile ?Rien ne m’effraie dans une scène. Qu’il y ait énormément de sexe, que ce soit hyper physique, qu’il faille danser une danse vaudou devant un feu ou déclamer un grand monologue, ça ne me fait plus peur depuis longtemps. Parce que je sais qu’au cinéma, on travaille jusqu’à ce que ce soit beau et satisfaisant pour tout le monde. Je ressens une grande excitation, mais pas de peur. Je ne suis mal à l’aise que dans une position physique difficile.Par exemple ?Je pense à une scène où Lola vient de tuer une première femme, jouée par Edith le Merdy, celle avec qui je me marie. Elle est en train de me tailler une pipe, Lola débarque et elle la tue. Je la rejoins et je lui dis : « Mais qu’est-ce que tu as fait ? On va attirer les flics ». Et on est juste devant un mur. La caméra est assez loin. Et à chaque fois, le positionnement dans l’espace me gêne parce que c’est très théâtral. L’équipe derrière la caméra devient comme le public, et nous on joue devant le mur plat, et j’ai beaucoup de mal avec ça. Et là, à chaque prise, je me sentais piégé par ce positionnement. Et puis, d’un seul coup, j’ai réussi à oublier l’espace, et il y a eu une scène magique, j’espère que c’est celle qu’il a gardée.Et après Alleluia ?Je serai le mari de Sandrine Kiberlain dans Floride, le prochain film de Philippe Legay sur Alzheimer, avec Jean Rochefort. J’avais déjà tourné avec Legay la vie de Boris Vian pour France 2. J’ai aussi un film au Québec avec Antonio Galloro (The Stalking Moon). Tu vois que j’en fais, des films.Interview Gérard DelormeAlléluia de Fabrice du Welz avec Laurent Lucas, Lola Duenas, Stéphane Bissot est déjà dans les salles
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Laurent Lucas : "Rien ne m'effraie dans une scène"
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