Jason Blum
Abaca

Rencontre avec le patron de Blumhouse Productions, alors que Freaky avec Vince Vaughn sort dans les salles.

Fin octobre dernier, alors que Freaky devait sortir quelques semaines plus tard dans les salles, le producteur Jason Blum (patron de Blumhouse, qui a notamment produit Paranormal Activity, American Nightmare, Happy Birthdead, Insidious ou Split et Glass) nous accordait une interview où il évoque notamment la transformation de la machine hollywoodienne à l’heure du Covid, ses films à petit budget et les Universal Monsters. Rencontre.

Avec vos budgets de production très serrés et votre capacité à revendre facilement des films aux plateformes ou à les rentabiliser en VOD, Blumhouse semble être l’entreprise la mieux préparée pour survivre à l’ère Covid.
Ah ah ! Je ne sais si on est les mieux préparés à ce qui se passe, mais effectivement, nos films ont un plus petit budget que la plupart des autres. Donc on est plus flexibles. On peut sortir un film au cinéma ou en streaming très simplement. On a une série de films sur Amazon qui s’appelle Welcome to the Blumhouse, et en parallèle on a The Craft et Freaky qui seront visibles au cinéma où c’est possible, et en VOD où ça ne l’est pas. Je ne suis pas plus doué qu’un autre, mais quand on a des films à petit budget, on n’a pas besoin d’être dans les salles pendant quatre mois : on peut trouver d’autres supports et d’autres marchés pour les vendre et les distribuer. Donc on a un avantage - un gros avantage - côté production, parce que produire des films durant le Covid est très compliqué quand le budget grimpe. Mais c’est beaucoup plus simple pour les plus petits, vu qu’on a des équipes resserrées. Après, comprenez-moi bien : notre business a pris cher. Halloween Kills allait être notre plus grosse sortie de l’année et on a dû repousser le film d’un an. Pareil pour American Nightmare 5. Comme toutes les entreprises qui ont besoin de la salle, on a morflé. Tant que les cinémas ne sont pas totalement de retour et que le public n’y revient pas autant qu’avant, on ne pourra avoir autant de succès qu’on en a eu. Il y a d’autres façons de monétiser un film que la salle, mais rien n’approche les recettes qu’on peut faire grâce à elle.

Est-ce votre modèle qui va devenir prédominant ?
Hollywood est accro aux gros budgets. À la fois à la télévision et chez les streamers, les budgets sont plus gros qu’ils ne l’ont jamais été. Tout le monde veut être payé d’avance. Et à partir du moment où tu offres dix millions de dollars d’avance à un acteur, impossible de faire un truc pas cher. On est un peu la seule entreprise à travailler en fonction des résultats financiers. Mais les managers, les agents et les avocats, ils n’aiment pas ça. Pourtant ils devraient : si le film est un succès, ça peut être bien plus lucratif. Mais ça va à l’encontre de l’ADN d’Hollywood. Et puis il y a tout une part d’ego : un réalisateur comme Michael Bay tient à son budget de 200 millions de dollars pour pouvoir faire joujou avec tout ce qu’il veut. Les gens dans l’industrie aspirent à ça. Pas moi.

Mais est-ce qu’ils peuvent encore se le permettre ? Est-ce qu’ils ne doivent pas s’adapter à la crise actuelle ?
Non. Je sais que Netflix fait un film à 280 millions de dollars avec les frères Russo. Pourquoi ils devraient s’ajuster ?

Le cas Netflix est un peu différent, vous le savez, puisque leur objectif est de faire venir de nouveaux abonnés et de garder les anciens. Mais pour un blockbuster pensé pour les salles, avec un budget pareil, c’est un gros risque si les cinémas ne fonctionnent  pas normalement…
À mon avis il y a très peu de films imaginés pour les salles qui sont tournés en ce moment. Quand la pandémie sera finie, je crois par contre que les cinémas vont reprendre leur place. Il y aura toujours des blockbusters, mais ça sera différent. Aux États-Unis, je pense que la durée d’exploitation sera moins longue. Mais je ne vois pas la salle disparaître. Entre deux, c’est à nous de nous adapter : est-ce qu’on peut sortir en VOD premium ? Est-ce qu’il faut attendre la réouverture des cinémas ? Tout dépend du territoire et de la façon dont chaque pays est touché par le virus.

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C’est une bonne période pour le cinéma d’horreur ?
C’est étrangement contre-intuitif, mais il y a une énorme demande de cinéma d’horreur. Les gens adorent en voir à l’écran parce que ce n’est pas vrai, parce que ça ne leur arrive pas à eux. Il y a un côté cathartique à voir des histoires d’horreurs qui sont fausses, alors que la vraie horreur se déroule en même temps derrière nos fenêtres.

Et cette drôle d’époque inspire les scénaristes ? Vous devez recevoir des centaines de scripts sur des pandémies…
Je ne ferai jamais un film sur la pandémie. Il y en aura mais je ne me vois même pas lire un scénario là-dessus. C’est tellement ennuyeux… Je vis une pandémie, je n’ai pas envie de voir un film là-dessus ! Quelle horrible idée. Par contre, le fait que les artistes soient coincés chez eux va permettre l’éclosion d’histoires incroyables, j’en suis certain. Pas nécessairement sur la pandémie, mais tout type de comédies, de films d’action, de drames, de films d’horreur… Ils seront différents après tout ça. 

Dans quel sens ?
Je ne sais pas exactement comment, mais ça sera le cas. Je ne suis pas scénariste, mais je crois que le thème de l’isolation est très fort. Il y a quelque chose d’effrayant à être isolé, ça va contre la nature humaine. Par exemple : ici, toutes les écoles ont des règles différentes, mais dans certaines, si les gamins peuvent aller dans la cour, ils ne peuvent pas se rapprocher des autres. Ils doivent porter un masque et rester à deux mètres de distance. C’est timbré comme situation ! Qu’est-ce que ça donnerait, un film sur un gamin à qui on a dit pendant un an et demi ou deux ans qu’il peut jouer, mais sans jamais se rapprocher d’un autre être humain ? Qu’est-ce qui arriverait à ce môme ? Vous voyez le genre ? Je souris là, mais c’est horrible ! Et je crois que ça va inspirer des choses très sombres, des films dont on n’a pas l’habitude.

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Comment choisissez-vous quel film ira sur une plateforme ou en VOD, et quel film mérite… 
Mauvais choix de mot, attention ! (Rires.)

Oui, j’étais en train de me le dire. Bref, comment décide-t-on quel film peut être distribué au cinéma ?
Un film de cinéma, tu dois le vendre très vite à un large public, qui a le choix parmi plein d’autres offres. Le résultat, c’est qu’il y a très peu de films de genre pensés pour la salle, et leurs sorties sont généralement éloignées les unes des autres. Mais attention : ce ne sont pas de meilleurs films. Juste un certain type de films. Les longs-métrages qu’on fait pour Amazon avec Welcome to the Blumhouse, je ne crois pas qu’ils auraient marché au cinéma. Pas parce que ce sont de mauvais film, mais parce qu’ils sont beaucoup plus difficiles à vendre au grand public car ce ne sont pas tout à fait des films d’horreur. Par exemple The Lie est en fait un thriller avec des aspects horrifiques. Donc les films qu’on produit pour les plateformes de streaming sont moins centrés sur le genre, ils ont juste un pied dans l’horreur. Mais ça permet de prendre plus de risques avec le scénario qu’avec un film qui sortirait au cinéma.

Vous avez récupéré une partie des Universal Monsters, après que le studio a échoué à relancer ces franchises. L’idée est d’en faire quelque chose de différent de vos films habituels ? Peut-être même d’imaginer un crossover entre tous ces personnages ?
Je n’ai pas les droits de tous les personnages mais ils me laissent en faire quelques-uns, comme Invisible Man. Et on a Dracula et le Loup-Garou. Et avec un peu de chance, j’en aurai plus à l’avenir. Je vois ça comme une extension de ce qu’on fait depuis longtemps : Invisible Man est totalement un film Blumhouse, on l’a tourné pour dix millions de dollars. C’était grounded et effrayant. Un vrai film d’horreur. Ce qu’Universal a tenté de faire avant, c’était de produire de gros films, à la Marvel. Ça ne m’intéresse pas. Le Loup-Garou qu’on prépare sera aussi à petit budget. Je ne crois pas que ces films devraient essayer de rivaliser avec Iron Man. Ces franchises n’ont pas un ADN « family friendly ».

Votre succès est insolent depuis de nombreuses années. Ça vous fait peur qu’un jour, vous ne soyez plus le Midas de l’horreur ?
Non, ça ne me fait pas peur. Ça va arriver, je le sais. Dans peut-être trois ou quatre ans, je vais faire un film qui ne fonctionnera pas auprès du public. Je suis bien conscient que ça ne peut pas durer éternellement. J’en suis même très conscient. Un jour ou l’autre, quelqu’un d’autre fera ce qu’on fait, quelqu’un d’autre prendra le pouls de l’époque. Et moi, je ferai autre chose. Par contre, est-ce que j’ai peur de vieillir et de mourir ? Ça, oui (Rires.)

Freaky, actuellement au cinéma.