Le beau discours prononcé par Julia Ducournau pour remettre le Prix Lumière à la cinéaste néo-zélandaise rappelle que les femmes furent vraiment au coeur de cette édition 2021 du festival de patrimoine.
Après avoir reçu la Palme d'Or cet été pour son film Titane, Julia Ducournau remettait hier soir le prix Lumière 2021 à Jane Campion, première femme à avoir tenu dans ses mains le trophée suprême. Sommet d'une cérémonie émouvante durant laquelle beaucoup de personnalités sont venues témoigner de l'importance de Campion dans leur vie, le discours de Ducournau a submergé la salle d'émotion. Le symbole était en soit très fort. En juillet pour la deuxième fois en 74 années d’existence du festival de Cannes, une femme remportait la Palme d’Or. Julia Ducournau évoquait déjà dans son discours de remerciement, celle qui l’avait précédée. "J'ai beaucoup pensé ce soir à Jane Campion, je me suis beaucoup demandé ce qu'elle avait ressenti à ce moment-là, en étant la première. Et je dois dire qu'en tant que seconde, ce qui me porte, c'est que maintenant j'ai l'impression de faire partie d'un mouvement en marche. Je suis la seconde, donc il y aura une troisième, une quatrième..."
Après la rétrospective Tanaka, la présentation de deux premiers longs métrages réalisés par deux actrices hollywoodiennes (The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal et Clair-obscur de Rebecca Hall), ce prix Lumière et ce discours ont fait souffler un vent de féminisme sur Lyon.
Jane Campion a reçu le 13e Prix Lumière
— Festival Lumière (@FestLumiere) October 16, 2021
D’une Palme d’or à l’autre, c’est Julia Ducournau, sacrée à Cannes avec Titane, qui a remis le Prix #Lumière2021 à celle qui avait ouvert la voie, la Néo-Zélandaise Jane Campion. Au terme d’une cérémonie fervente. https://t.co/zNsF6bprWn pic.twitter.com/gcXQEOTxdp
Voilà le discours intégrale de la réalisatrice de Titane :
"On ne s’est jamais rencontrées, pourtant depuis quelques mois maintenant elle m'accompagne partout. Pas un jour qui soit passé sans que j’ai pensé à elle. Il semble que la vie ait comme tracé un trait entre nous ; et ce trait me touche à un endroit très intime. Quand j’étais sur scène en juillet, penser à elle m’a aidé à ne pas ployer sous la vague d’émotion qui me submergeait. Et je me suis demandé plusieurs fois : et elle qu’a-t-elle ressentie ? Est-ce qu’elle aussi elle tremblait ? Est-ce qu’elle aussi elle avait la bouche sèche ? Et a-t-elle réussi à comprendre ce qui se passait vraiment ? J’ai essayé de me mettre à sa place : la fierté immense de la cinéaste et aussi la solitude de la première femme. Mais 28 ans plus tard, 28 ans, grâce à elle, et en pensant à elle, je n’ai pas eu à ressentir cette solitude sur scène, mais j’ai même eu le luxe de pouvoir penser à toutes celles qui me succèderont. Et en fait j’ai réalisé que bien avant cette scène, bien avant cette année, bien avant que je devienne cinéaste, bien avant que je devienne femme, elle m’avait à de nombreuses reprises, à chacun de ses films en fait, sauvée de la solitude. A travers Sweetie, Janet, Ada et Flora, Isabel et Serena, Frannie, Ruth, Fanny, Robin et Rose, elle m’a montré la force sauvage ou résiliante, la désobéisance, l’irrévérence, la défiance, la violence, la solidarité, l’indépendance, la fragilité, le romantisme débridé des désirs bruts, et la liberté. Car oui, elle m’a montré que devenir une femme c’est se battre pour être libre et le rester. A travers sa mise en scène, ample et précise à la fois, qui toujours met en rapport la fureur de notre condition à l’indifférence indomptée de la nature, elle m’a montré mon humanité dans ce qu’elle a de plus vulnérable et attachant. Elle m’a montré le sacré dans ce que j’ai de plus profane, le pathos et la pitié de mon existence, mais sa beauté et sa grâce aussi. Cela fait donc des années qu’elle m’accompagne moi et tant d’autres et pour tellement de raisons différentes et qu’elle nous sauve de la solitude grâce à l’amour tendre, lucide et sans compromis qu’elle nous porte. Donc c’est avec amour et une très grande émotion que je remets ce soir le Prix Lumière à une immense cinéaste, Jane Campion !"
Julia Ducournau revient sur la Palme d’Or de Titane : "J’étais dans un état de confusion absolue"
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