Avec son premier long, le cinéaste libanais signe un portrait envoûtant de Beyrouth, à travers le regard d’une expatriée de retour campée par l’intense Manal Issa. Rencontre.
Comment est né Face à la mer ?
Ely Dagher : Après avoir réalisé le court métrage d’animation Waves’98 (Palme d’Or du court à Cannes 2015), où l’on suivait un homme dans les rues de Beyrouth, je pensais avoir dit tout ce que j’avais à dire de ma ville natale que j’avais un temps quitté pour mes études avant de revenir m’y installer. Et puis dans la foulée, a éclaté la crise des ordures, série de manifestations après la fermeture de la plus grande décharge du Liban. Cet événement a provoqué une nouvelle série de départs. Alors, j ai donc eu envie de me replonger dans le rapport de ses habitants à cette ville mais en me concentrant sur le retour au Liban des expatriés.
Vous le faites à travers Jana, une jeune femme qui quitte donc Paris où elle s’était installée pour venir se réinstaller chez ses parents. Qu’est ce que ce personnage allait vous permettre de traiter que vous n’aviez pas abordé dans Waves 98 ?
En quittant le terrain de l’animation, j’avais envie d’un film sur le ressenti de Beyrouth qui passerait par ce personnage central. En me lançant dans l’écriture, je voyais donc plus Face à la mer comme un film sur Jana que comme un film sur Beyrouth, même si au fil du temps tout s’est rééquilibré et n’a fini par faire qu’un
Manal Issa qui incarne Jana arrive très tôt dans votre processus d’écriture ?
Très tôt et très tard en même temps ! (rires) J’ai rencontré Manal en 2016 alors que je venais de terminer la première version du scénario. Je l’avais découverte et trouvée absolument magnifique dans Peur de rien de Danielle Arbid. Et j’ai eu envie de lui envoyer un petit mot pour le lui dire. Or il se trouve qu’elle a vu Waves’98 à ce moment- là. Nos messages réciproques se sont alors croisés. On s’est vus pour la première fois à Beyrouth autour d’un café. On a discuté de tout et de rien. Mais je n’avais pas du tout en tête l’idée de lui proposer le rôle de Jana car je la trouvais trop jeune pour le personnage à ce moment- là. Pour camper mon héroïne, je voulais quelqu’un qui ait le vécu nécessaire pour comprendre spontanément son parcours et le malaise qu’elle peut ressentir. De ce jour, on s’est souvent revus tous les deux mais je n’ai jamais écrit les versions suivantes de Face à la mer avec elle en tête et je ne lui ai jamais promis qu’elle jouerait le rôle. Manal n’a lu le scénario que 6 mois avant le tournage. Et c’est à ce moment- là qu’on a décidé qu’elle serait Jana. Et forcément tout la dimension personnelle, humaine, politique de notre rapport au fil du temps a nourri son travail pour la composer. Notamment dans les non- dits et les silences
FACE A LA MER: UN PORTRAIT ENVOÛTANT DE BEYROUT [CRITIQUE]Comment vous êtes vous employé à créer à l’écran ce Beyrouth tel que le vit son personnage ?
Je me nourris évidemment de ma connaissance de cette ville et ce d’autant plus que l’appartement de la famille de Manal est celui de mes parents ! Mais je me suis aussi appuyé sur mon propre parcours. Moi aussi je suis parti de Beyrouth et j’y suis revenu donc j’ai ressenti ce que ressent Jana. Ce sentiment de se sentir soudain étrangère dans sa propre ville, surtout quand celle- ci change à vitesse V et en profondeur à cause d’une spéculation immobilière anarchique. C’est ce sentiment d’agression que cela peut provoquer que je voulais montrer, pas une description objective des rues de Beyrouth. Face à la mer est un pur film de ressenti. Et tout cela est très cadré à l’écriture, grâce à mon expérience dans l’animation. Je bâtis très en amont un storyboard très précis. Et il me sert de cadre dont je ne dévie jamais. Voilà pourquoi je ne me couvre quasiment pas sur le tournage, en enchaînant les prises sous différents angles. Cela limite les options au montage mais je n’en ressens pas le besoin.
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