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Même si l'Académie n'a sans doute pas regardé Je ne suis pas votre nègre en VF, le film pourrait remporter une statuette.

La rage, la voix et la couleur : Je ne suis pas votre nègre, sélectionné à l'Oscar du Meilleur film documentaire, est un documentaire passionnant. C’est déjà une bête de festival (récompensée à Berlin et Toronto), un joli succès salle (aux US où il est déjà sorti) et dimanche il pourrait être même repartir avec un Oscar. Mais de quoi s’agit-il ? Réalisé par Raoul Peck, c’est moins un documentaire sur la condition noire aux Etats-Unis – comme le formidable 13ème d'Ava DuVernay également nommé à l'Oscar du Meilleur docu – que la vision particulière de James Baldwin sur le rapport Blancs-Noirs dans l’Amérique des 60’s. Peck (déjà auteur de Lumumba) a utilisé un texte inachevé du poète, écrivain et penseur "intégrationniste" à propos de trois figures blacks des 60’s (Medgar Evers, Martin Luther King et Malcolm X), pour raconter ses combats, sa position vis-à-vis de la communauté noire et des grandes figures du Civil Rights Movement. Le résultat est passionnant et fonctionne comme une histoire intime et un essai fulgurant sur l’identité afro-américaine ; et un formidable témoignage sur ce « témoin" clé des 60s, personnalité essentielle mais oubliée. Evidemment à l’heure du trumpisme triomphant, c’est un miroir déformé porté sur un pays qui semble tout à coup faire machine arrière…

Le 13e : Comment la société américaine a criminalisé les Noirs

Et Joeystarr dans tout ça ?
C’est précisément là qu’intervient notre Joey national, qui aidait vendredi soir Déborah Lukumenua à encaisser son César du Meilleur second rôle féminin pour Divines. En France, Je ne suis pas votre nègre sera diffusé sur Arte le 2 mai prochain. Avec, donc, JoeyStarr en narrateur à la place de Sam Jackson. Le rappeur/acteur a posé sur les images brûlantes de Peck une voix hypnotisante, rauque et chaude, aux antipodes de celle déterminée de Sam Jackson et à des années lumières de… la sauvagerie verbale du jaguar de NTM. Son timbre, sa douceur grave, son rythme lent, font qu’on a au début du mal à identifier ; mais elle donne progressivement une nouvelle texture et une nouvelle couleur au combat de Baldwin. Elle transforme ce documentaire en un moment de cinéma violent comme un coup de matraque et doux comme une caresse. Entendre les mots plein de colère, de « haine » (le mot revient souvent) ou d’interrogation de Baldwin à travers la voix de Joey enrichit aussi d’un écho étrange ce film engagé. La voix du rappeur qui déclame la prose violente de Baldwin ("je ne suis pas raciste anti-blanc, même si j'ai eu souvent envie d'en tuer dans ma vie" dit à peu près le poète) permet de faire un lien presque subliminal entre les combats du leader de NTM et ceux de Baldwin, entre Trayvor Martin et Théo. Face à la pédagogie glaçante et chiffrée du 13ème de DuVernay, ou au vainqueur annoncé (le docu fleuve O.J. : Made in America sur l'affaire O.J. Simpson, véritable roman noir), le geste de cinéma de Peck, est fort et puissant et la voix de JoeyStarr rajoute de la symbolique quasi poétique. Je ne suis pas votre nègre est bien parti pour rafler l'Oscar. Et ce même si les membres de l'Académie l'ont vu en VO. Et ce même si JoeyStarr ne viendra pas le chercher dimanche soir.

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