Comment la réalisatrice a-t-elle convaincu Demi Moore de l’accompagner dans son trip horrifique et jusqu’au-boutiste ? Coralie Fargeat livre la recette de sa substance magique.
« J’ai écrit The Substance sans penser à quelqu’un de précis pour le personnage principal, mais l’idéal était bien sûr que le rôle soit tenu par une actrice iconique, qui puisse symboliser ce dont je parle dans le film : la pression d’une idée du succès qui passe par le regard des autres. La gageure du casting tenait ensuite à trouver une comédienne suffisamment bien dans sa peau pour accepter de se confronter à sa propre phobie d’actrice : la dégradation de son image. Lors de la préparation, le nom de Demi Moore est revenu plusieurs fois. J’ai trouvé que c’était une excellente idée mais, pour être honnête, je pensais qu’elle ne serait pas partante pour jouer avec son image de la sorte. J’ai donc été très surprise quand nous avons reçu un retour positif sur le scénario.
J’avais une image de Demi Moore uniquement liée à ses rôles. J’ai grandi à l’époque de Ghost et de Proposition indécente. Ce ne sont pas forcément mes films de chevet, mais je les appréciais pour ce qu’ils étaient : des divertissements très réussis. Ce sont des films qui ont fait de Demi Moore une star, à une époque où les personnages féminins étaient d’abord faits pour être sexy, attirants – c’était d’abord ce pouvoir d’attraction qui était mis en valeur chez eux. La lecture de l’autobiographie de Demi m’a éclairée sur une tout autre facette de sa personnalité. J’ai découvert l’itinéraire d’une jeune femme qui s’est battue dans un univers très masculin, a connu de nombreux coups durs et a finalement réussi à s’imposer. Elle a toujours eu beaucoup d’instinct et s’est souvent tournée dans sa carrière vers des choses qui sortaient des schémas traditionnels.
The Substance : un sommet de body-horror jusqu'au-boutiste [critique]The Substance proposait de nombreux défis. Très vite, lors de notre première rencontre, j’ai tenu à parler en détail des contraintes que ce film allait poser. Le scénario était extrêmement précis, elle a très bien compris que c’était un parti pris fort, un point de vue d’auteur, elle savait très bien où elle mettait les pieds. Rien ne lui faisait peur. Je voulais néanmoins lui transmettre avec précision ce que j’avais en tête. C’est un film avec très peu de dialogues, l’interprétation des comédiens est donc totalement et intrinsèquement liée au son, au visuel, à la mise en scène.
Il fallait aussi que nous parlions du degré de nudité demandé dans le film, pour être sûr qu’elle soit à l’aise avec ça et qu’elle en comprenne le sens. Il fallait une actrice qui ait envie de faire ce film pour ce qu’il était. Je voulais m’assurer que les problématiques du film résonnaient de la même façon pour elle que pour moi. Ce n’est d’ailleurs pas tant la dimension “actrice” du rôle qui a trouvé un écho en elle, que ce que le film dit du corps des femmes, de la manière dont on est valorisées, ou pas, dans nos vies professionnelle et personnelle.
Nous avons pas mal discuté de mes références cinématographiques, dans le registre du body horror mais pas seulement. Je trouve toujours ces conversations intéressantes, parce qu’elles permettent aux comédiens de commencer à infuser dans l’univers du film. Je lui ai parlé de La Mouche, Requiem for a Dream, Sailor et Lula, Mulholland Drive, de Joker aussi, pour la performance physique et la manière d’utiliser le corps.
Le scénario de The Substance est millimétré, c’est de la dentelle, les scènes se répondent entre elles, donc s’il y a le moindre accroc, c’est tout l’édifice qui s’effondre. Sur un plateau, il n’y a que le metteur en scène qui a la vision totale de ce que sera le film, avec le son, les effets, le rythme, le montage. Il faut être sûr que chaque chose soit au bon endroit, à la bonne intensité. C’est de la danse. Demi devait accepter ces contraintes-là, tout en investissant son personnage émotionnellement.
Un dernier enjeu était que nous travaillions dans un système indépendant, et que nous n’avions pas un énorme budget. Nous tournions en France, avec un fonctionnement plus artisanal que les grosses productions hollywoodiennes. Là encore, je voulais être sûre que Demi soit à l’aise avec ça. Elle a compris la configuration, les enjeux, tout était clair en amont et elle était partante. Comme le tournage était long, il fallait que toutes les cartes soient sur la table.
Bien sûr, le fait que Demi porte en elle quelque chose de proche de ce que symbolise le personnage était bon pour le film. Même si ce qui compte vraiment, au final, c’est d’avoir une bonne actrice. Je cite souvent un ami à moi qui dit : “Un film, c’est un acteur ou une actrice qui rencontre un rôle.” Là, c’est ce qui s’est passé avec Demi. Elle était à un moment d’introspection, en train de regagner une grande force intérieure. Elle cherchait justement à reprendre sa carrière en main et ce rôle a cristallisé ce qu’elle était en train de vivre. »
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