Maison Usher Netflix Edgar Allan Poe
Netflix/Getty

Du Chat noir au Corbeau, la nouvelle série horrifique de Netflix est truffée de clins-d'œil à différentes histoires de l’auteur.

La Chute de la maison Usher, la nouvelle série de Mike Flanagan sortie juste avant Halloween sur Netflix, est une réécriture de la nouvelle éponyme d’Edgar Allan Poe. Néanmoins sous ses airs d’adaptation très libre, il s’agit en fait d’une mosaïque de références aux autres œuvres de l’auteur. Des clins-d'oeils à ses nouvelles les plus célèbres, comme à ses poèmes les plus cachés, le créateur de The Haunting of Hill House rend un hommage gigantesque à l'écrivain américain phare du XIXe siècle. Tout en parvenant à proposer une histoire moderne, un récit critiquant les travers de son époque.

Des noms des personnages jusqu’à la mise en scène de certains événements clés, en passant par les titres des épisodes, bien sûr, la série est irriguée par l’univers gothique de l’écrivain.  

Voici une cartographie des références présentes dans la série. Netflix en a répertorié une partie sur son site, Tudum, et les voici réunies épisode par épisode, pour ne pas trop s'y perdre. Attention aux spoilers : l'article qui suit est logiquement destiné aux lecteurs qui ont vu la série (et qui ont lu Poe, même si on essaye pour le coup de ne pas trop divulgâcher ses récits).


La Chute de la maison Usher sur Netflix : Succession chez Edgar Allan Poe [critique]

Episode 1 : Sur le minuit lugubre 

Le premier épisode s’annonce déjà comme le premier vers d’un poème, puisque son titre reprend le début du CorbeauUne fois, par un minuit lugubre…”. On assiste à la présentation des personnages principaux, Roderick et Madeline Usher (Bruce Greenwood et Mary McDonnell), directement inspirés des personnages éponymes de la nouvelle de Poe. On découvre leur enfance difficile en flash-back et le destin tragique de leur mère Eliza (Annabeth Gish) qui porte le même prénom que celle de l’écrivain. Sa fin funeste reprend directement un thème de prédilection de Poe, qui est celui de l’enterrement précoce, présent dans plusieurs œuvres dont L’Inhumation Prématurée.  

Le spectateur découvre les motivations qui poussent Madeline et Roderick a s’emparer de l’empire pharmaceutique Fortunato (nom d’un personnage de la nouvelle La Barrique d’Amontillado) : ils sont tous deux les enfants illégitimes du patron de l’entreprise, Longfellow (Robert Longstreet) qui porte le nom d’un autre poète contemporain de Poe. Les jeunes Usher encore ados décident de prendre leur revanche sur leur père qui refuse de les reconnaître et d’établir une stratégie pour reprendre ce qui leur revient de droit.

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Episode 2 : Le Masque de la Mort Rouge

Cet épisode se concentre sur le personnage de Prospero “Perry” Usher (Sauriyan Sapkota), le plus jeune fils de Roderick. Tout son arc narratif n’est qu’une immense citation de la nouvelle du même titre, déjà adaptée au cinéma en 1964 par Roger Corman. La nouvelle raconte l’histoire d’un prince cruel nommé Prospero, qui s’enferme dans une abbaye avec 1000 courtisans pour échapper à une terrible épidémie appelée “mort rouge”. Il se livre à toute sorte de jeux sadiques avec ses courtisans mais la mort rouge finit par pénétrer dans l’abbaye, incarnée par une silhouette dans une cape couleur sang et arborant un masque mortuaire. Cette allégorie finit par décimer tous les courtisans ainsi que Prospero. 

Perry Usher, la réécriture de ce prince cruel est un jeune milliardaire profitant de la fortune de son père pour créer des orgies clandestines réservées à un milieu très sélectif. Les indices de citations de la nouvelle se situent dans le prénom du personnage, mais aussi dans l’application qu’il met en place pour s’inscrire à son orgie, qui affiche un masque de carnaval rouge. Enfin, le mystérieux personnage de Verna (Carla Gugino), anagramme de Raven, le titre anglais du Corbeau, s’immisce dans la fête clandestine vêtue d’une cape rouge et d’un masque en tête de mort dissimulant son visage. Perry a même réussi à attirer Morella (inspiré de la nouvelle du même nom et jouée par Crystal Balint) l’épouse de son grand frère Frederick.  

Un retour en arrière nous dévoile un Roderick Usher encore jeune (Zach Gilford) présentant un médicament révolutionnaire à Rufus Griswold (nommé d’après l’ennemi juré d’Edgar Allan Poe), nouveau PDG de Fortunato. Cette petite pilule miraculeuse porte le délicieux nom de Ligodone, un dérivé de Ligeia le titre d’une autre nouvelle de l’auteur.

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Episode 3 : L’assassinat dans la rue Morgue

L’heure a sonné pour Camille L’Espanaye (Kate Siegel), la plus froide et impitoyable des filles Usher, responsables des relations presses pour le compte de la famille. Vous avez compris la logique, il suffit de regarder le titre de l’épisode pour comprendre d’où est inspiré ce personnage mais aussi le funeste sort qui l’attend. Camille L’Espanaye tient son nom de famille des victimes de Double Assassinat dans la rue Morgue, nouvelle dans laquelle le détective français Auguste Dupin (nom du procureur menant un procès contre les Usher dans la série puis témoin des confessions de Roderick, incarné par Carl Lumbly) enquête sur deux meurtres particulièrement mystérieux. 

Camille L’Espanaye de la série rejoint l’histoire de la nouvelle d’origine lorsqu’elle décide d’aller fouiner dans les laboratoires de recherche de Victorine (T’Nia Miller) sa demi-sœur. Celle-ci fait des tests pour le moins douteux sur des chimpanzés… Un animal qui fait directement référence à l'enquête d'origine. Elle est piégée elle aussi par Verna, qui prend ici l’identité de Le Bon, un autre personnage de la nouvelle Rue Morgue. Les membres de la fratrie se soupçonnent les uns les autres de nuire à l’empire de Roderick et Madeline. 

De leurs côtés, les jeunes Roderick et Madeline continuent à déployer leurs ressources pour s’emparer de Fortunato. En présentant le fameux Ligodone, Roderick mentionne également le nom du chimiste à l’origine du médicament, Metzer, un diminutif de Metzengerstein, le titre de la toute première publication de Poe. 

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Episode 4 : Le Chat Noir 

Napoleon “Leo” Usher (Rahul Kohli) s’est dirigé vers le monde des jeux vidéo. Son personnage porte le nom de Napoléon Bonaparte Froissart, le protagoniste des Lunettes. Complètement accroc aux drogues dures, il finit par malencontreusement tuer le chat de son compagnon. Il en rachète un second identique mais celui-ci va se révéler plus difficile que prévu. Le chat en question porte le même nom que celui de la nouvelle d’origine : Pluton (Pluto en anglais). Ce nouveau chat noir va s’avérer fatal pour le pauvre Leo. La citation va jusqu’à des détails très précis, le chat noir perdant son oeil droit dans une lutte avec Leo, une fois encore, comme dans la nouvelle de Poe. Tout comme le corps caché dans le mur, qui sera une nouvelle fois évoqué en fin de série, d'une autre manière, et s'inspirant d'une autre histoire tragique. 

Le destin tragique de Leo peut également évoquer le propre décès d'Edgar Allan Poe, mort à seulement 40 ans. Les causes de sa disparition n'ont jamais été très claires mais ont souvent été reliées à sa consommation d'alcool et de drogue. La thématique de l'addiction est également chère à Flanagan, qui a publiquement parlé de son sevrage d'alcool, un sujet qui était aussi au coeur de Dr. Sleep, la suite de Shining adaptée de Stephen King.

Dans sa jeunesse, la première épouse de Roderick et mère de ses deux premiers enfants porte le nom d’Annabel Lee, le titre d’un poème de l’auteur, que les deux interprètes Zach Gilford et Bruce Greenwood déclament plusieurs fois dans la série.

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Episode 5 : Le coeur révélateur

Ça commence à faire beaucoup de références me direz-vous et vous auriez bien raison ! Mais Flanagan ne s’arrête pas en si bon chemin et affiche une dévotion jusqu'au boutiste à l'œuvre d’Edgar Allan Poe. Le personnage de Victorine Lafourcade (T'Nia Miller), la scientifique de la famille, n'y fait pas exception. Son nom provient de L’Inhumation prématurée et son récit est un remaniement de la nouvelle Le coeur révélateur.  

Victorine possède un laboratoire d’expérimentations cardiaques sur des chimpanzés et tente de créer une prothèse révolutionnaire. Pour des raisons énigmatiques, son père Roderick attend beaucoup des résultats de ses expériences, mais Victorine s’embourbe dans des situations problématiques qui la poussent à commettre l’irréparable… 

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Episode 6 : Scarabée d’or

On arrive aux deux premiers enfants que Roderick a eu avec sa première épouse Annabel Lee. On commence par s’intéresser à Tamerlane Usher (Samantha Sloyan) une influenceuse “life style” qui tente de lancer sa gamme de produit de beauté et de bien être, mais est systématiquement rabaissée et décrite comme une pâle copie de Gwyneth Paltrow. “Goldbug” ou “Scarabée d’or” en français est à la fois le nom de sa marque, le nom de l’épisode mais aussi, le nom d’une nouvelle de (suspense...) Edgar Allan Poe. 

La nouvelle raconte une toute autre histoire que celle de Tamerlane, même si l'on y retrouve l'une de ses thématiques phares : l'obsession. Flanagan convoque surtout ici un autre récit, plus caché : William Wilson (toujours du même auteur cela va de soi), qui traite du thème du double et du reflet. Exactement la mise en scène de la sentence de Tamerlane : en prise avec son double (Verna alias Carla Gugino) qui la pousse jusqu’au point de non retour.  

Cet épisode nous présente également le personnage d’Arthur Pym (incarné par le génial Mark Hamill), avocat mais aussi “nettoyeur” de la famille Usher. Très mystérieux et surtout, très, très efficace (on comprend que Pym en a fait disparaître plus d’un pour maintenir l’empire Usher à flot), le personnage est directement inspiré du Arthur Gordon Pym de Poe, son seul et unique roman. L’ouvrage a reçu de très mauvaises critiques à sa publication et l’auteur l’a presque renié le reste de sa carrière. Son seul roman mais aussi son seul récit dans le genre de l’aventure. Arthur Pym est un voyageur intrépide, un marin enchaînant plusieurs naufrages. Son avatar contemporain dans la série aurait lui aussi participé à une grande expédition autour du monde dans sa jeunesse, durant laquelle il aurait été témoin de choses dépassant l’entendement. 

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Episode 7 : Le puit et le pendule

De même que pour l’épisode précédent se centrant sur sa soeur, Frederick Usher (Henry Thomas), le premier né de Roderick, est aussi le fruit de plusieurs histoires poeniennes mélangées. Son nom est celui du personnage principal de Metzengerstein et l’épisode qui lui est consacré reprend l’intrigue de la nouvelle Le puit et le pendule

Malade de jalousie, Frederick torture également son épouse Morrie, en lui arrachant les dents, acte que l’on retrouve dans l’intrigue de Berenice

Depuis le premier épisode, Roderick Usher raconte tous les événements se déroulant à l’écran au procureur Auguste Dupin en lui présentant cela comme ses dernières confession. Là aussi, Flanagan reprend une structure chère à Poe qui est celle du narrateur. Un narrateur, très souvent anonyme, est quasiment le moteur de toutes ses nouvelles, narrant les intrigues à la première personne et rapportant les faits dont il est témoin. C’est le cas de La Chute de la maison Usher, dans laquelle un narrateur, ami d’enfance des Usher, est invité par Roderick dans une lettre. Une fois reçu, il raconte à la première personne ce à quoi il assiste. Auguste Dupin fait ici office de témoin qui va recueillir ce que Roderick lui raconte, prenant lui la fonction de “narrateur”

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Episode 8 : Le corbeau

Cet épisode conclut la série en un feu d’artifices de références, bouclant la boucle en terminant par le grand final de sa référence principale : La Chute de la maison Usher. Tout d’abord, les jeunes Roderick et Madeline mettent enfin un point final à leur plan pour reprendre Fortunato, en emmurant vivant son PDG Griswold, technique inspirée de La Barrique d’Amontillado. De retour au présent, Roderick âgé vit une sorte d’hallucination et une séquence reproduit visuellement le poème Le Corbeau, avec en bande son les vers décrivant exactement ce nous voyons à l’image. 

Enfin, il faut rappeler rapidement l’intrigue de la Maison Usher, pour comprendre la fin de la série. Dans la nouvelle originale, un narrateur anonyme assiste impuissant au déclin de Roderick et sa soeur Madeline Usher, les derniers de leur puissante famille. Ils sont tous deux atteints d’une santé très fragile, Roderick souffrant d’une hyperacuité des sens qui lui rend tout insupportable et Madeline, qui est condamnée à mourir prématurément, ce qui finit par se produire. Brisé, Roderick l’enterre dans le caveau familial mais (on se souvient des obsessions de Poe) il l’enterre trop tôt. Encore vivante, elle sort de son tombeau et vient mourir dans les bras de son frère... qui en périt de peur. Le narrateur s’enfuit et regarde la ruine du manoir s’effondrer et couler lentement dans le marais qui l’entoure. 

La fin de la série reprend exactement ces événements, Auguste Dupin voit Madeline remonter de la cave où Roderick l’a momifié un peu plus tôt (citant par la même occasion Petite discussion avec une momie, ça ne s’arrête donc jamais ?) et l’étrangle jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dupin s’enfuit et regarde leur maison d’enfance s’écrouler, récitant en voix-off les dernières lignes de la nouvelle.

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Au regard de cette cartographie de références, on se rend bien compte que Flanagan a surtout fait preuve d’un très bon sens de l’orchestration plutôt que d’une véritable créativité : il n'a "rien inventé", mais a su mélanger des tonnes de références pour en tirer une histoire capable de toucher le public actuel. Il s’agit d’une œuvre ludique, d’un patchwork de fragments d’adaptations. La série est autant la Maison Usher, que Le Chat Noir ou Le Corbeau et le showrunner semble déterminé à livrer à travers elle une sorte de portrait le plus exhaustif possible du travail de l’écrivain. Et de lui-même, aussi, par petites touches. Ou quand le "Flanaverse" rencontre le "Poeverse"... 

Pourquoi Bruce Greenwood a tourné toutes ses scènes de La Chute de la maison Usher en reshoots