En 2009, douze ans après Titanic, le cinéaste revenait avec son film écolo, qui a révolutionné le cinéma en relief. Fier du résultat, il défendait son projet comme personne... et pensait déjà à la suite !
A l'occasion de la ressortie au cinéma d'Avatar (le 21 septembre), Première fouille dans ses archives. Le film avait été deux fois en couverture du magazine, en novembre 2009 et février 2010, et au coeur de ces deux numéros, James Cameron avait à chaque fois accordé une interview à Mathieu Carratier. Deux longs entretiens que nous partageons aujourd'hui en ligne, en intégralité, tant ils se répondent et sont intéressants à (re)lire au moment où sa suite, La Voie de l'eau, s'apprête enfin à sortir sur grand écran (le 14 décembre exactement)... et que les Na'Vis sont une nouvelle fois en une de notre magazine - disponible dans notre kiosque en ligne.
On a vu plusieurs scènes bluffantes d'Avatar : La Voie de l'eauInterview initialement publiée dans Première n°393 (novembre 2009).
"Quatorze ans à le rêver, quatre pour le réaliser." C’est ainsi que le vice-président de la Fox, Tom Rothman, présente Avatar, le nouveau film du king of the world : James Cameron. Auteur du plus gros succès de tous les temps (vous savez, cette bluette maritime qui a rapporté 1,8 milliard de dollars au box-office il y a douze ans), le réalisateur avait tout plaqué pour aller filmer les fonds marins. Il préparait aussi une révolution. Une gargantuesque aventure spatiale en relief aux effets spéciaux photoréalistes jamais vus.
PREMIÈRE : Pourquoi le projet Avatar est-il resté en vous si longtemps ?
JAMES CAMERON : Quand j’ai imaginé cette histoire, il y a quatorze ans, j’avais une idée très précise en tête. Je voulais que ma société d’effets spéciaux, Digital Domain, devienne le leader mondial en matière d’effets numériques. Comment faire ? Je savais que je pourrais attirer de l’argent sur mon nom et que cet argent permettrait à mon équipe de résoudre le « problème » que j’allais créer – une épopée de science-fiction avec des personnages photoréalistes. À l’époque, les techniciens de Digital Domain m’ont dit que cela ne pourrait être résolu quel que soit l’argent dépensé. Ils avaient raison : la technologie avait encore trop de progrès à faire. Il fallait laisser Hollywood tourner des films et assembler le puzzle pièce par pièce. Il ne me restait qu’à attendre. Ce que j’ai fait.
Cela ne vous a-t-il pas démangé de reprendre la caméra pendant les douze ans qui se sont écoulés depuis Titanic ?
Mais je l’ai reprise ! J’ai fait quatre documentaires qui ont nécessité six expéditions sous-marines. Pour vous donner une idée, une expédition de ce genre demande neuf mois de préparation et deux mois pour le tournage. Soit l’équivalent d’un long métrage.
Vous comprenez quand même notre frustration de ne pas avoir vu arriver une nouvelle fiction ?
Ce n’est pas de ma faute si vous n’avez aucune patience ! J’adore les fonds marins, je n’y peux rien.
Aujourd’hui, beaucoup de films en relief utilisent encore la 3D comme un gimmick...
Je sais. Mais comme vous le verrez en découvrant Avatar, ce n’est pas du tout notre cas. Nous fuyons le gimmick. J’utilise ce procédé de façon « environnementale », pour son pouvoir immersif. La 3D est intégrée dans la mise en scène. Vous ne faites pas un film parce qu’il est en couleur. Vous le faites car l’histoire est bonne. Ensuite, vous ajoutez la couleur. Aux débuts du Technicolor, on entendait des gens dire : « Mon Dieu, ce film sera formidable en couleur ! Les feuilles d’automne éclateront à l’image, tout sera incroyablement lumineux et orange. » Ils pensaient que le film serait bon parce qu’il allait être en couleur. Évidemment, c’est idiot. Si vous décidez de tourner un film car « il sera génial en 3D », il y a de grandes chances que vous obteniez un navet.
Et vos enfants, vous les filmez aussi en 3D ?
Non. (Rire.) Mais on y viendra, j’en suis sûr. En 1939, seuls deux ou trois films ont été tournés en couleur, tout le reste était en noir et blanc. En 1955, un tiers des longs métrages a été réalisé en couleur, contre deux tiers en noir et blanc. Dans les années 60, la proportion s’est inversée et, au milieu des années 70, on ne pouvait plus faire de films en noir et blanc, à moins de les destiner au circuit art et essai. Je pense que la 3D va connaître une évolution similaire et va finir, même si ça prendra du temps, par remplacer la 2D.
Vous construisez toujours vos scénarios à partir d’histoires universelles : Titanic empruntait à Roméo et Juliette alors qu’Avatar semble directement inspiré de la légende de Pocahontas.
C’est vrai. L’histoire ne se termine pas de la même façon mais se nourrit clairement de celle de Pocahontas, voire de Danse avec les Loups. C’est ce que j’ai dit aux gens du studio : si vous prenez Pocahontas, Danse avec les Loups, Les Aventures de Zak et Crysta dans la forêt tropicale de FernGully et que vous mélangez le tout dans un shaker, vous obtiendrez Avatar. Ça les a terrorisés...
C’est à ce moment qu’ils vous ont fait le chèque de 240 millions de dollars ?
Non. Je les ai rassurés aussitôt en leur disant : « Oubliez ce que je viens de dire. C’est Jurassic Park dans l’espace ! » Ils étaient comme des dingues. « Vite ! Où est-ce qu’on signe ? » Je leur avais vendu Titanic de la même manière : « C’est Roméo et Juliette sur un bateau en train de couler. Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? »
Avez-vous eu carte blanche pour Avatar ?
Figurez-vous que la Fox s’est désistée du projet à un moment. Nous bossions sur le film depuis un an, et ils ont décidé de tout arrêter.
Pardon ?
Ils trouvaient le budget trop élevé. Je l’ai alors proposé à Disney, mais la Fox est revenue sur sa décision. Ils étaient persuadés que je n’arriverais pas à monter le film ailleurs. Compte tenu de mon histoire avec le studio (“Aliens – Le Retour”, “Abyss”, “True Lies”, “Titanic”), je préférais faire Avatar avec eux.
Ils n’ont pas un peu peur de vous, quand même ?
Au final, je crois qu’ils n’ont vraiment aucune raison de me craindre ! Avatar a été un film extrêmement dur à réaliser, nous avons eu notre dose d’obstacles et de déconvenues, mais c’est le lot de tous les projets de cette ampleur, surtout quand ils sont aussi expérimentaux que celui-ci. À l’arrivée, je crois que tout le monde est confiant et satisfait du résultat, le studio comme moi. Le secret est de se traiter mutuellement avec respect. C’est le seul moyen de traverser tous les problèmes que l’on peut rencontrer au cours de la fabrication d’un film. Quand vous débutez comme metteur en scène, vous vous retrouvez toujours dans un rapport d’opposition avec les studios, mais ça s’estompe au fil des années.
Vous m’avez l’air plutôt détendu, en effet.
Un vrai bouddha... La plupart du temps...
Après toutes ces années passées sur le film, ça ne vous fait pas bizarre qu’il sorte finalement dans les salles ?
C’est effectivement étrange. Quand nous avons fermé les plateaux de tournage début août et rangé les ordinateurs dédiés à la motion capture, ça m’a fait bizarre. Quatre ans jour pour jour après le début des prises de vues... Quand je pense que Titanic n’a monopolisé que deux ans de ma vie, je n’en reviens toujours pas d’en avoir passé quatre à réaliser Avatar.
Vous décrivez Avatar comme votre hommage aux livres de science-fiction que vous dévoriez dans votre adolescence...
Quand j’avais 14 ans, je passais mon temps à dessiner des extraterrestres, des robots et des vaisseaux spatiaux.
Si je mettais la main sur votre cahier e texte de 3e , j’y trouverais le premier croquis d’un Na’vi ? Quelque chose d’approchant, peut-être. Il doit bien y avoir quelques dessins de filles canon avec une queue ! Je l’ai dit et je le répète : j’ai fait Avatar pour le gamin de 14 ans qui sommeille en moi.
Peu de gens arrivent à conserver cette âme d’enfant après avoir traîné trop longtemps à Hollywood.
C’est pour ça que je ne traîne pas à Hollywood. Je ne vais pas aux fêtes, je ne fréquente pas les agents, je ne fais pas de déjeuners. Je n’ai jamais joué le jeu de ce milieu. Si je mets les pieds à Hollywood, c’est pour parler boulot. Point. Je suis bien chez moi, à Malibu. Même si ma femme adorerait vivre à Paris. Si je devais déménager, je crois que j’irais en Nouvelle-Zélande.
Il ne vous reste plus qu’à acheter une maison dans la rue de Peter Jackson. Guillermo Del Toro vient d’y emménager...
Je sais. Guillermo est un très bon ami. Il envisage d’ailleurs de rester là-bas après avoir fini Bilbo le Hobbit . (avant que Peter Jackson ne réalise cette nouvelle trilogie préquelle à l'univers du Seigneur des Anneaux, c'est Guillermo del Toro qui devait s'en charger, ndlr) Ma femme Suzy et moi avons sérieusement évoqué l’éventualité d’y habiter.
Vous n’avez pas peur d’être loin de tout ?
C’est ce qui me plaît. Quand la civilisation occidentale s’effondrera, je serai le plus loin possible de tout ça. (Rire.) Il y a peu de chance que l’Amérique survive au XXIe siècle. Je suis sûr que d’autres peuples nous regardent de l’espace et se disent : « Mon Dieu, vous n’êtes vraiment qu’une bande d’idiots. »
C’est le sujet d’Avatar...
Oui. D’ailleurs, ce qui m’intéresserait le plus quand j’aurai fini le film, ce serait de m’investir personnellement dans la recherche d’énergies alternatives. De financer leur développement.
Vous êtes en train de nous dire qu’il va encore falloir attendre douze ans avant votre prochain film ?
Non, ne vous inquiétez pas. Mais je ne vais pas non plus en faire un chaque année... Tous les deux ans, ça va ?
Que se passera-t-il si Avatar est un échec au box-office ?
C’est très simple : je me tire une balle !
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