Film français le plus vu de 2019, ce drame porté par Guillaume Canet revient en clair ce dimanche sur France 2.
Première : Après avoir travaillé comme journaliste pour France 3 et France 2 puis signé un documentaire, qu’est ce qui vous a donné envie de vous aventurer sur le terrain de la fiction ?
Edouard Bergeon : J’avais cette envie de fiction depuis longtemps. Et puis un jour, le producteur Christophe Rossignon, un fils d’agriculteurs lui aussi, m’a appelé. Il avait vu mon documentaire Les Fils de la terre. On a déjeuné ensemble et très vite l’idée d’une fiction est venue sur le tapis. Mais il m’a laissé le temps pour que ce projet voit le jour. Le temps de se connaître et surtout le temps d’écrire. Un temps indispensable quand on écrit un film sur sa vie.
Comment s’est déroulée l’écriture d’Au nom de la terre ?
J’ai d’abord collaboré avec un réalisateur de documentaires, Bruno Ulmer qui a su mettre Au nom de la terre sur de bons rails en donnant du souffle à l’intrigue que j’avais en tête. Au bout de 2 ans, on est arrivé à une version de 200 pages. Et Emmanuel Courcol, le scénariste de Welcome, a pris le relais pour resserrer l’intrigue et surtout créer le fil de fiction qui nous manquait.
Est- ce compliqué de parler de soi et des siens sans rester dans l’entre- soi ?
J’avais déjà fait un gros travail de résilience autour de la mort de mon père avec Les Fils de la terre. Ce documentaire a été un vrai raz- de- marée dans ma vie. Après l’avoir terminé, j’ai tout plaqué, ma compagne comprise. C’est dans cette envie de repartir de zéro que j’ai abordé Au nom de la terre, avec un sentiment de liberté encore accrue par la dimension fictionnelle. J’avais réglé beaucoup de choses par rapport à ce passé douloureux. Et j’ai fini par prendre un pied énorme
Est-ce qu’une fois sur le plateau, les souvenirs de votre propre jeunesse ont cependant ressurgi ?
Vous savez, ce qu’on a vécu dans la « vraie » vie est bien plus tragique et violent que ce décrit le film. Mon grand- père s’est comporté de manière bien pire avec mon père, notre ferme a brûlé deux fois, la descente aux enfers de mon père a duré deux ans et demi… Alors, évidemment, des images douloureuses remontent à la surface. Mais j’ai eu la grande chance de tourner le film sur deux saisons. Sur la première partie, j’ai appris sur le tas, en me trompant souvent. Mais j’ai essayé de me faire confiance notamment sur ce tout nouvel exercice pour moi que représentait la direction d’acteurs. J’avais passé 15 ans à filmer des « vrais gens », cela m’a donc appris à lire la vérité des sentiments. Et je me suis appuyé sur cette expérience avec une histoire dont je savais que personne n’allait la connaître mieux que moi. Donc j’ai juste été moi- même et je leur ai fait part de mes sentiments. Puis j’ai monté cette première partie et réécrit en partie la deuxième, la plus dense, la plus intense qu’on a tourné en hiver. Là, j’ai pu gérer mon plateau en toute tranquillité et j’y ai pris mon pied, en me libérant d’une certaine manière des fantômes du passé.
En parlent de comédiens, qu’est ce qui vous a incité à faire appel à Guillaume Canet pour jouer votre père ?
Guillaume avait vu Les Fils de la terre. Et sur le tournage de Mon Garçon de Christian Carion, il en a parlé à Christophe qui le produisait. Il lui a expliqué qu’il avait envie de raconter cette histoire en fiction, d’en faire son prochain film. Christophe lui a alors appris que j’étais déjà en train de plancher dessus et immédiatement Guillaume a dit son envie de jouer le rôle de mon père. On était alors très en amont du tournage. Et pendant ces deux ans, je l’ai vu se glisser peu à peu dans la peau de mon père en se nourrissant de photos, de vidéos… Sa présence nous a évidemment permis de financer le film. Mais ses racines terriennes et son implication ont surtout emmené le film plus loin par son énergie. Avec le recul, je ne vois pas qui d’autre aurait pu incarner mon père.
Qu’est ce qui vous a le plus frappé dans la manière dont le public s’est emparé du film pour en faire un des plus gros succès français de l’année 2019 ?
J’étais d’abord inquiet de savoir si les agriculteurs allaient y retrouver leur monde. Et leurs premières réactions m’ont rassuré. Ensuite, j’ai la sensation qu’Au nom de la terre se situe à la croisée de nombreux débats de société, que ce soit sur la transition écologique, le réchauffement climatique ou la malbouffe. Et puis il y a ce chiffre terrifiant qui s’accélère : un agriculteur se suicide chaque jour en France ! Or ce sont les agriculteurs qui remplissent notre assiette. Et notre assiette, c’est notre santé. On commence enfin à y faire attention et ce film a réveillé de nombreuses prises de conscience qui finissent par le dépasser. Notre petite histoire de famille a fini par raconter la grande histoire agricole et j’en suis forcément très fier.
Au nom de la terre : Canet, grand petit paysan [Critique]
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