Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
DOCTOR SLEEP ★★★★☆
De Mike Flanagan
L’essentiel
Près de 40 ans après Stanley Kubrick, Mike Flanagan s’attaque à l’oeuvre de Stephen King. Avec un remake ? Non, l’adaptation de la suite de Shining.
Donner suite à une oeuvre aussi culte que Shining relève de la gageure. Un pari a priori impossible. Surtout à une époque où n’importe quel classique des années 80 se voit remaker ou filer au train par un numéro 2 aseptisé, provoquant l’ire des fans de la première heure. L'annonce d’un deuxième Shining a donc forcément suscité un tollé, surtout à une époque où les réseaux sociaux défont (devrait-on dire “défonce” ?) une oeuvre avant même qu’elle n’existe. Que les fans se rassurent, ceux de Stanley Kubrick comme ceux de Stephen King, les mordus de péloches comme les rats de bibliothèque, Shining 2 n’a pas eu lieu. Ou plutôt si, enfin non... L'histoire est plus complexe.
François Rieux
PREMIÈRE A ADORÉ
LA CORDILLÈRE DES SONGES ★★★★☆
De Patricio Guzmán
Il ne sait plus par quel bout prendre son pays. En exil depuis les années 70, le Chili est loin, comme un souvenir qui s’efface mais vous hante quand même, paradoxe douloureux qui a des allures de double peine. Alors il y retourne, comme à une tâche difficile ou à un devoir. De film en film, qu’on les appelle documentaires, essais ou poèmes, Patricio Guzmán interroge son rapport à ce pays fantôme qui lui file entre les doigts. Son angle d’attaque est cette fois la cordillère des Andes, barrière de montagnes qui « protège et isole » le Chili du reste du monde. Les plans de drones au-dessus du massif baigné de nuages sont vertigineux, instantanément métaphysiques, une « mountain of life » qu’aurait pu filmer Terrence Malick. On a l’impression d’y toucher l’éternité, la puissance de la Terre elle-même, comme si elle pouvait parler, raconter quelque chose de beau et terrible à la fois. À cette vision inouïe, Guzmán accole sa voix off, lente, articulée, consciente de chaque effet de sens, et des interviews d’artistes locaux, qui évoquent à la fois la montagne, sa présence, et la persistance de la blessure des années Pinochet. Le rapport ? Il tient à l’exil de Guzmán, cet homme qui regarde le Chili de l’extérieur –là où le temps file– tandis que les autres, ses alter ego restés sur place, le vivent de l’intérieur – là où il semble s’être arrêté. D’un côté et de l’autre de ce double mur infranchissable (la montagne et le coup d’État de 1973), tous sont prisonniers.
Guillaume Bonnet
LE TRAÎTRE ★★★★☆
De Marco Bellocchio
À première vue, pas grand-chose à attendre d’un genre – le thriller mafieux – qui aura donné au cinéma, surtout américain, des chefs d’oeuvre à la pelle à partir des années 30. Les cinéastes italiens, un peu à la traîne sur ce terrain-là, ont raconté leur propre histoire criminelle avec moins d’emphase et de génie (cf. les films de Francesco Rosi). Bellocchio (Les Poings dans les poches, Buongiorno notte...) répare la chose. Le Traître déploie et superpose tension, force, violence, emphase, mélancolie. Bellocchio raconte la sombre et véritable histoire de Tommaso Buscetta (impérial Pierfrancesco Favino), repenti de la mafia, avec limpidité. Et révèle sa part bouffonne et tragique. Passé les figures imposées, place au retentissant procès très commedia dell’arte. L’homme assume, ne baisse jamais la tête face à ses juges et s’il tourne le dos à ses anciens partenaires parqués dans des cages au fond de la salle, il envisage chaque confrontation avec délectation. Derrière ses épaisses lunettes noires de rock star, Buscetta parle, se confesse et assume tout. On sent une jubilation. La mise en scène d’une fluidité déconcertante sait restituer la valeur de ces procès et dynamiser l’action par la seule force de la parole et de la gestuelle. Bellocchio manie aussi l’ellipse à la perfection et face à ce déchaînement d’action parvient à rester au plus près de l’intimité de son personnage, dont on pressent le lent délitement intérieur. Intense.
Thomas Baurez
PREMIÈRE EST PARTAGÉ
MON CHIEN STUPIDE ★★★★☆ / ☆☆☆☆☆
D’Yvan Attal
POUR
« Tout était de la faute de mes quatre enfants qui ont ce don quasi magique de faire foirer toutes mes tentatives d’accès au bonheur. » Dès le monologue d’ouverture, le ton est donné.
Sophie Benamon
CONTRE
Penser que sa vie de couple à la ville avec Charlotte Gainsbourg ait suffisamment d’intérêt pour mériter une trilogie à l’écran est déjà un mystère en soi, mais se servir si maladroitement de l’œuvre de John Fante pour arriver à ses fins met soudain toute la lumière sur la grossièreté de l’entreprise.
Thomas Baurez
PREMIÈRE A AIMÉ
RETOUR À ZOMBIELAND ★★★☆☆
De Ruben Fleischer
En 2009, Bienvenue à Zombieland s’affirmait comme un Shaun of the Dead sauce barbecue, soit une excellente comédie qui s’intéressait autant à ses personnages qu’à l’apocalypse zombie. Dans le monde réel comme à Zombieland, dix ans se sont écoulés depuis la rencontre entre Tallahassee, Columbus, Little Rock et Wichita. Une décennie durant laquelle la petite famille dysfonctionnelle a continué d’arpenter les États-Unis, à la recherche d’un lieu où s’installer pour du long terme.
François Léger
DEBOUT SUR LA MONTAGNE ★★★☆☆
De Sébastien Betbeder
Dans le petit monde de la comédie française qui aime exposer ses muscles à grands coups de stars à l’affiche et de scores maousses au box-office, certaines exceptions moins tape-à-l’oeil parviennent heureusement à faire entendre leur voix, comme Sébastien Betbeder, l’homme de 2 automnes 3 hivers et Marie et les naufragés. Avec une constante : son cinéma est mû par ses personnages qui donnent le ton et le rythme du récit. Avec les maladresses et les coups de mou inhérents à ce style de films, mais aussi avec ce lien fort qu’il tisse tout naturellement avec le spectateur. Son Debout sur la montagne met en scène les retrouvailles de trois amis d’enfance qui ont grandi ensemble dans la montagne avant que la vie ne les éloigne. Un enterrement dans leur village natal fait se reformer ce trio autrefois joyeux car gorgé d’innocence. Est-il possible de retrouver ce bonheur et cette candeur-là à l’âge adulte quand les aléas de la vie vous ont cabossé, quand certains de vos rêves se sont définitivement envolés ? Betbeder tente d’en apporter la réponse avec un mélange délicat entre rires et larmes, épicé par un soupçon de fantastique. Avec un trio d’acteurs – William Lebghil, Izïa Higelin et Bastien Bouillon – aussi attachants que leurs personnages. Le fil du récit est ténu, un sentiment d’ennui guette ici ou là. Mais le charme fou et le geste maîtrisé d’un cinéaste dans le contrôle de ce chaos émotionnel font la différence.
Thierry Cheze
UN MONDE PLUS GRAND ★★★☆☆
De Fabienne Berthaud
Après trois collaborations fructueuses avec Diane Kruger (Frankie, Pieds nus sur les limaces, Sky), Fabienne Berthaud ouvre un chapitre inédit de ses aventures au cinéma. Nouvelle actrice en tête d’affiche (Cécile de France, remarquable) et première adaptation du livre d’une autre : celui de Corine Sombrun qui y racontait la découverte inattendue en Mongolie de son don rare pour le chamanisme et sa formation sur place pour l’exploiter pleinement. Fabienne Berthaud trouve tout à la fois le ton juste et le positionnement exact pour ce récit ; ni prosélyte, ni agnostique sur le fond. Elle est capable de transmettre la puissance cinématographique des paysages qu’elle filme sans donner la sensation d’assister à un épisode inédit de “Rendez-vous en terre inconnue”. Un projet casse-gueule mais porté par une réalisatrice qui a su prendre la mesure de son sujet et des raccourcis qu’il peut susciter.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
OLEG ★★☆☆☆
De Juris Kursietis
L’homme est plus que jamais un loup pour l’homme, nous raconte ce film découvert à la Quinzaine des réalisateurs. La descente aux enfers d’Oleg, jeune Letton considéré comme « non citoyen » dans son pays, parti à Bruxelles gagner sa vie et qui, trahi par un collègue, va perdre son boulot et se retrouver sous la coupe d’un mafieux polonais. Le sujet n’est guère original, la mise en scène n’est pas très « dardenienne » non plus. Pourtant, Oleg tient la route grâce à ce parti pris de plans qui enferment les personnages dans le cadre pour traduire la sensation d’étouffement du protagoniste. Dommage alors qu’il se perde dans de pataudes séquences oniriques péniblement redondantes avec le sujet, montrant Oleg prisonnier d’une eau glaciale et incapable de remonter à la surface. Cette façon de bégayer à intervalles réguliers dessert la puissance de cette réflexion sur l’esclavage des temps modernes en Europe.
Thierry Cheze
HAPPY, LA MÉDITATION À L’ÉCOLE ★★☆☆☆
De Hélène Walter & Éric Georgeault
Connaissez-vous la méditation de pleine conscience ? En anglais : mindfulness. Cette pratique prenant son essor dans les années 70 prône, comme l’expliquent les auteurs de ce documentaire, « le fait d’être conscient, présent à ce qu’on fait au moment où on le fait et non pas perdu dans nos pensées ». Hélène Walter et Éric Georgeault sont partis aux États-Unis à la rencontre d’adeptes de cet « entraînement du mental » de plus en plus en vogue, dans les écoles, les entreprises, les prisons... Le panorama est intéressant – surtout quand il révèle les bienfaits de la méditation dans des communautés marquées par la violence et la criminalité – mais on regrette que les auteurs zappent aussi vite d’un intervenant à l’autre, plutôt que de s’attarder et de peaufiner leurs portraits. Reste une brochure séduisante pour une pratique qui plaît toujours davantage en France.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
XY CHELSEA ★☆☆☆☆
De Tim Travers Hawkins
Chelsea Manning a défrayé la chronique en 2013 quand cette analyste militaire transgenre a été condamnée pour trahison après avoir transmis des documents secret-défense à Wikileaks. Héroïsme pour les uns, acte de traîtrise pour les autres, son geste de lanceuse d’alerte a provoqué aux USA un débat biaisé par ceux qui la stigmatisaient parce que transgenre. Mais Tim Travers Hawkins se noie dans ce sujet aussi riche que passionnant, incapable de trouver le bon équilibre entre portrait intime et réflexion politique autour de son action. Il reste toujours à la surface des choses au gré d’une réalisation péniblement chichiteuse (flous supposément artistiques, utilisation abusive des ralentis...). Les meilleures questions posées à Manning proviennent d’ailleurs de captations d’interviews où, poussée dans ses retranchements, sa parole prend toute sa puissance. Tout un symbole.
Thierry Cheze
Et aussi
Chichinette, ma vie d’espionne de Nicola Alice-Hens
Je prends ta peine d’Anne Consigny
Thanatos, l’ultime passage de Pierre Barnérias
Reprises
Je suis un aventurier d’Anthony Mann
Winchester 73 d’Anthony Mann
Le dernier round de Buster Keaton
Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatozov
Rétrospective G.W. Pabst
Commentaires