Avant Mektoub my love, Abdellatif Kechiche a révélé bon nombre d'actrices qui ont plus ou moins réussi à confirmer.
Depuis L’esquive, son deuxième long métrage sorti en 2004, Abdellatif Kechiche a favorisé l’éclosion d’actrices prometteuses, sorties de nulle part, pour lesquelles le plus difficile a été de s’affranchir de l’ombre de leur pygmalion. Kechiche impose en effet à ses comédiens une discipline de fer pour en tirer une sève conforme à sa vision d’un cinéma ultrarnaturaliste où la mise à nu est impérative. Pas facile, après ça, de se coltiner des comédies populaires faisandées ou des drames intimistes calibrés… Ceci pourrait expliquer pourquoi les actrices de Kechiche, programmées pour le cinéma d’auteur avec un grand “C”, ne connaissent pas toutes un parcours à la hauteur du potentiel initialement entrevu malgré une certaine exigence affichée. Revue d’effectifs.
SARA FORESTIER LA BATTANTE
La première des Kechiche girls à avoir crevé le plafond, c’est elle, la gouailleuse de L’Esquive qui a tout de même un peu ramé après la sortie du film. Hell (2006), navrant drama de Bruno Chiche censé la mettre définitivement sur orbite, aurait même pu tuer sa carrière naissante. Heureusement dotée d’une sacrée niaque, Sara a rebondi avec Le nom des gens de Michel Leclerc qui lui a valu le César de la meilleure actrice en 2011. Depuis, l’actrice a tourné avec Katell Quillévéré, Jacques Doillon, les frères Larrieu et Emmanuelle Bercot, étoffant un CV désormais reluisant. M, son premier film en tant que réalisatrice, lui ressemble : bordélique, poétique et tragique, il raconte l’histoire d’amour entre un analphabète et une bègue. Un sujet hautement casse-gueule, a priori loin des canons kechichiens, que l’apprentie réalisatrice parvient à rendre à peu près tangible grâce à son interprétation vibrante, héritage de L’Esquive.
SABRINA OUAZANI LA DISCRÈTE
Autre révélation de L’Esquive, Sabrina Ouazani tourne avec une régularité de métronome depuis son avénement dans le Kechiche –qui lui a redonné un rôle, fait rare, dans La graine et le mulet. Alternant cinéma d’auteur pointu (Des hommes et des Dieux, Le Passé) et grosses comédies populaires (De l’autre côté du périph’, Pattaya), elle s’illustre souvent par des rôles de complément marquants qui en font une actrice particulièrement recherchée et appréciée. De son apprentissage auprès de Kechiche, elle a conservé, comme Sara Forestier (sa “rivale” pour les rôles de natures bruyantes et généreuses), une spontanéité rafraîchissante.
HAFSIA HERZI LA CULOTTÉE
Sa première expérience au cinéma avec Kechiche a marqué les esprits et défini le style Herzi, qui n’a pas hésité à grossir pour jouer la fille plantureuse d’un vieux Sétois d’origine maghrébine dans La Graine et le Mulet. Ce rôle magnifique lui vaudra d’ailleurs un César du meilleur espoir féminin en 2008 et une reconnaissance de la profession qui lui a offert par la suite des personnages forts et variés : l’adolescente décomplexée du Roi de l’évasion d’Alain Guiraudie, les prostituées nonchalantes de L’Apollonide (Bertrand Bonello) et de Sexy Doll (Sylvie Verheyde), une photographe tunisienne shootant des mecs dans L’amour des hommes (Mehdi Ben Attia, sortie prévue en février)… La plus fidèle à l’esprit clivant et exigeant de Kechiche, c’est peut-être elle. Est-ce pour cette raison que le cinéaste lui a offert un magnifique second rôle dans Mektoub my love ? En aînée (surnommée “tata” !) d'une bande de jeunes, elle irradie de sensualité et de générosité.
YAHIMA TORRES L’ÉTOILE FILANTE
Son incroyable performance dans Vénus noire, terrible et puissant portrait d’une authentique créature de foire exhibée pour son physique callipyge et exploitée sexuellement par les hommes, aurait dû en faire une actrice incontournable. Repérée dans la rue par Kechiche en 2005, cette Cubaine installée en France avait d’ailleurs fait part, lors de la promotion du film, de son intention de poursuivre une carrière au cinéma. Sept ans plus tard, on est sans nouvelles de Yahima Torres et on le regrette encore.
ADELE EXARCHOPOULOS LA STAR
Ayant débuté gamine (Les enfants de Timpelbach, Tête de Turc), Adèle Exarchopoulos connaît, à 19 ans, une consécration mondiale avec La vie d’Adèle qui lui vaut une Palme d’Or inédite (Le jury présidé par Spielberg la décerne au film, aux actrices et à Kechiche). Du jour au lendemain, elle devient une star que tout le monde s’approprie. Simplement “Adèle”… Les films qu’elle fait ensuite ne sont pas toujours bien sentis : aux excellents Orpheline et Les Anarchistes, dans lesquels elle impose une belle présence kechichienne (sensuelle et écorchée), répondent les ratés Éperdument, The Last Face et Le Fidèle qui témoignent de la difficulté pour elle de faire les bons choix et de sortir des rôles écrits sur mesure, en souvenir d’Adèle…
Commentaires