A l’occasion de la sortie d’Hostiles, on dresse le best-of d’un genre qui refuse de mordre la poussière.
On dit le western moribond, en état de mort clinique, mais il nous donne quand même suffisamment régulièrement de ses nouvelles pour qu’on finisse par penser qu’il est éternel. La télé (Deadwood en tête) a beaucoup fait pour sa survie, et l’accueil critique dithyrambique réservé en France à Hostiles, le beau western, grave et solennel, de Scott Cooper, montre que l’appétit des amateurs est encore féroce. On a tenté de dresser la liste des meilleurs spécimens du genre sortis depuis 2000. Et on n’a pas eu à beaucoup se forcer pour en trouver dix hautement recommandables.
10 / The Proposition (John Hillcoat, 2005)
Commençons par un constat paradoxal. Le western, genre américain par excellence, n’aurait pas été tout à fait le même en ce début de millénaire sans une poignée de dandys allumés venus des Antipodes… Le néo-zélandais Andrew Dominik a cogité au mythe de Jesse James (voir plus bas), David Michôd a nourri sa fable post-apo The Rover de ses fantasmes Far West… Et puis il y a le trio de The Proposition : Nick Cave, la rock star improvisée scénariste, racontant ici une histoire biblique (un homme doit aller tuer son frère planqué aux confins du désert) innervée de rage anticoloniale ; Guy Pearce, à son zénith de beauté marmoréenne ; et John Hillcoat, derrière la caméra, qui convoque la sauvagerie élégiaque de Peckinpah et la fureur politique du Aldrich 70’s. Depuis, Hillcoat a tourné des westerns au temps de la Prohibition (Des Hommes sans loi), des westerns post-apo (La Route), des westerns urbains (Triple 9)… Plus qu’une fixette : un sacerdoce. On lui tire notre chapeau.
9 / La Dernière Piste (Kelly Reichardt, 2010)
Kelly Reichardt fixe son regard sur les marges du genre et raconte la conquête de l’Ouest depuis le point des vue des oubliés de l’histoire officielle : les femmes et les Indiens. Au-delà du geste politique, le film frappe par sa volonté de raconter dans les détails les plus triviaux et réalistes à quoi devait ressembler la vie des pionniers. La fatigue, la faim, la soif, le sentiment de désorientation, le soleil qui cogne et brûle les visages, le temps qu’il faut pour établir un campement… Austère, aride, hardcore, totalement inédit dans son approche. Et ultra-théorique, bien sûr. Mais réaliser un western au 21ème siècle est en soi un geste théorique, non ?
8 / Appaloosa (Ed Harris, 2008)
Réaliser un western au 21ème siècle est forcément un geste théorique ? S’il y a bien quelqu’un qui se contrefout de la théorie, c’est Ed Harris. Le plus beau chauve d’Hollywood (qui a de nouveau prouvé qu’il avait une tête à chapeau dans la série Westworld) signait en 2008 cet Appaloosa d’un classicisme rutilant, comme surgi des limbes du temps. L’acteur-réalisateur et son copain Viggo Mortensen rivalisent de coolitude dans un bled du Nouveau-Mexique et affronte un potentat local pourri jusqu’à la moelle (Jeremy Irons). D’une classe intemporelle, jamais lesté de complexes postmodernes, le film entend seulement donner du plaisir, et y parvient magnifiquement. Du velours.
7 / Lone Ranger, naissance d’un héros (Gore Verbinski, 2013)
Jerry Bruckheimer et Gore Verbinski transforment le vieux serial mythique des années 30 en un méga-flop à 250 millions de dollars, qui a désormais remplacé Ishtar dans le vocabulaire courant pour désigner un accident industriel de très grande ampleur. Une injustice totale, tant cette extravaganza est un modèle de blockbuster généreux, pétaradant, punk et irrévérencieux. Armie Hammer est parfait en proto super-héros du Texas, mais on sent surtout à chaque instant l’investissement de Johnny “Tonto” Depp, qui transforme le roller-coaster en une déclaration d’amour bouleversante à la nation indienne – sa lente disparition dans le paysage pendant le générique de fin est l’un des sommets de la filmo de l’acteur. Notons au passage que, même si The Lone Ranger n’est pas tout à fait du Cimino, on tient là le western le plus détesté depuis La Porte du Paradis.
6 / Les Huit Salopards (Quentin Tarantino, 2015)
Quentin Tarantino a un jour proposé l’étonnante théorie selon laquelle il fallait avoir signé au moins trois westerns dans sa vie pour être qualifié sur sa pierre tombale de “réalisateur de westerns”. Il lui en reste encore un à tourner, donc. Bonne nouvelle : il progresse à chaque nouvelle tentative… Si Django Unchained avait ses moments, on lui préfère clairement Les Huit Salopards, l’opus le plus convaincant de la veine historico-littéraire légèrement étouffe-chrétien que le réalisateur a mise en place depuis Inglourious Basterds. « Un épisode duVirginien shooté comme Ben-Hur », comme le résume à la perfection l’ami Sylvestre Picard, qui étripe et désosse la mythologie US dans un geste barbare et jusqu’au-boutiste, et retrouve un peu de la dinguerie du Tarantino première manière.
5 / Bone Tomahawk (S. Craig Zahler, 2015)
Tiens, si vous aimez le Tarantino des débuts, la mythologie US éventrée et la moustache de Kurt Russell, vous aimerez Bone Tomahawk, impressionnante carte de visite de l’alors inconnu S. Craig Zahler (un réal’ fou furieux, également romancier et metalleux, dont les films sont tristement privés de sorties dans les salles françaises), qui fait ici le grand écart entre ambitions arty et grosses giclées gore, en racontant l’odyssée d’une poignée de cow-boys partis se jeter dans la gueule d’Indiens cannibales. Un truc inoubliable.
4 / Trois enterrements (Tommy Lee Jones, 2005)
C’est quoi, au fait, un western ? On s’est retenu d’inclure dans cette liste tout un tas d’excellents westerns mais qui sont aussi, et avant tout, des films d’aventures historiques (The Revenant), des films de super-héros (Logan), des films de narcos (Sicario), des films de science-fiction (Avatar), des drames ruraux dans l’Arkansas (Shotgun Stories)… Un western, pour correspondre aux canons du genre, doit par exemple se dérouler au XIXème siècle. Mais quand Tommy Lee Jones décide de raconter le périple du cadavre de Melquiades Estrada vers sa dernière demeure, en convoquant le spectre de Sam Peckinpah, on se contrefout de savoir si l’intrigue se passe de nos jours ou il y a 150 ans, si les personnages utilisent des téléphones portables ou le télégramme. Trois enterrements est un western. Et un grand.
3 / No Country for old men (Joel et Ethan Coen, 2007)
Bon, si on fait une exception pour Tommy Lee Jones, on peut aussi en faire une pour celui-ci. En 2010, les Coen Brothers ont tourné un western “classique”, canonique, bien dans les clous : mais malgré le plaisir que procurait leur True Grit, et tout le respect qu’on doit à Jeff Bridges, disons que ce remake n’ajoutait pas grand-chose à l’original (Cent dollars pour un shérif, Hathaway, 1969). Non, le “vrai” western des Coen est “néo”, c’est cette adaptation du roman de Cormac McCarthy dans laquelle un shérif mélancolique (Tommy Lee, encore lui) s’inquiète du fait que les temps changent, pendant que des types à chapeaux s’entretuent dans le désert pour une poignée de dollars. Pas « canon », non, mais direct au Panthéon.
2 / Open Range (Kevin Costner, 2002)
S’il faut, comme l’estime Quentin Tarantino, avoir réalisé trois westerns pour qu’on puisse avoir pour épitaphe les mots “réalisateur de westerns”, alors Kevin Costner peut dormir tranquille. En fait, il était tranquille dès son tout premier, le monumental Danse avec les loups, mais il a préféré en réaliser deux autres pour être sûr, le futuriste et très moqué The Postman, et le classique et totalement inattaquable Open Range, qui rejoue le thème du combat entre éleveurs de bétail et propriétaires terriens avec une hauteur de vue et une humanité qui prouvent que Costner a hérité des secrets des géants de l’Age d’or. Le deuxième meilleur western du 21ème siècle ? Plutôt le dernier grand western du 20ème siècle.
1 / L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007)
Il est question de Jesse James dans le titre de ce film, mais ça pourrait tout aussi bien être James Dean, Marilyn ou John Lennon. Andrew Dominik s’empare du premier mythe pop de l’histoire US et réfléchit à la légende et à l’Histoire, à la mort et à l’éternité, dans une forme sublime et déchirante, à mi-chemin du Gaucher (Billy le Kid joué par Paul Newman façon ado torturé) et des Moissons du Ciel (les paysages américains plombés par la mélancolie). Un four en salles, dont on rêve de voir un jour la version longue, et que Brad Pitt ne manque jamais de désigner, dès qu’il en a l’occasion, comme son film préféré. Oui, l’un des 3 ou 4 plus grands films américains des vingt dernières années est un western.
Commentaires