Après La Fureur de vaincre, C8 poursuit son cycle consacré à Bruce Lee.
Soyons objectifs. Bien que Bruce Lee ait marqué le cinéma asiatique à tout jamais, aucun de ses films ne peut être considéré comme vraiment bon, ou même un classique.
Big Boss ? Qui se souvient de l'histoire ? Personne. Tout ce qu'on se rappelle, c'est que Bruce Lee fait acte de non-violence avant de finir par craquer devant des méchants de dessin animé et tout casser.
La Fureur de Vaincre ? Une basique histoire de compétition entre deux écoles d'arts martiaux, qui n'est qu'un prétexte à Bruce Lee pour faire démonstration de son torse et ses prouesses au nunchaku, qu'il popularisera ensemble du même coup.
Opération Dragon ? Un film pataud de série B de luxe, à la réalisation ampoulée, qui ne vaut que dans sa version Hong-Kongaise (Bruce Lee y a rajouté une scène pour étoffer l'intrigue) et bien entendu pour le petit Dragon.
Le Jeu de la Mort ? Le film inachevé de Bruce Lee aurait pu être son meilleur. Mais le métrage qu'il a tourné fut massacré après sa mort dans un film-escroquerie de la Golden Harvest ou Lee est joué par des doublures sur la majorité du métrage (et ça se voit comme le nez au milieu de la figure).
Reste La Fureur du Dragon. Sans doute son film le plus emblématique. Parce que Rome. Le combat contre Chuck Norris dans le Colisée reconstitué en studio à Hong Kong, et les deux combats dans l'allée derrière le restaurant. Et puis les dragueurs italiens qui foutent leur mains au fesses de toutes les filles en se pavanant avec leurs looks de paons seventies (chemises ouvertes sur torses poilus et chaines en or qui brillent), qui se font défoncer la gueule à coup de tatanes, de bâton et de nunchaku comme on a tous toujours rêvé de le faire.
On ne va pas parler, une nouvelle fois, de l'intrigue, uniquement prétexte à mettre en place les combats, ni du politiquement incorrect (l'un des méchants est une folle qui porte des cravates roses, dans le langage seventies, "un sale pédé"). La Fureur du Dragon fascine, parce que c'est surtout le film narcissique ultime de Bruce Lee, celui dans lequel il ne cesse jamais de se regarder, et n'en a absolument rien à foutre si ça nous emmerde. Même si le film est réalisé dans des conditions de court-métrage (de nombreuses scènes en Italie sont tournées sans autorisation, avec le matériel caméra introduit dans le pays par l'équipe en visa touriste, dissimulé dans les bagages), et qu'il n'en est qu'à ses débuts de metteur en scène, il sait qu'il est le corps ultime du cinéma asiatique, et qu'il est déjà en train de marquer l'histoire du cinéma mondial.
Pas encore préoccupé par l'intrigue ou la philosophie (ce sera pour Le Jeu de la Mort, son chef-d’œuvre, dans sa version inachevée), il se met donc en scène avant de mettre en scène son film. Bruce Lee à l'aéroport, Bruce Lee au restaurant, Bruce Lee séduit par une prostituée, Bruce Lee pas pris au sérieux par Nora Miao, Bruce Lee qui contient sa rage, puis Bruce Lee qui leur défonce la gueule à tous, dans un cinémascope hallucinant de maitrise du cadre vu les conditions de tournage. Ah oui, une fois qu'il les a tous foutus au tapis, Nora Miao le trouve tout à coup hyper sexy aussi ! On nage dans la caricature la plus totale. Quasiment du cinéma porno, sauf que les combats remplacent les scènes de baise. Le tout est au service d'une unique personnalité : Bruce Lee.
Bruce Lee qui montre son humour, sa nonchalance, ses pectoraux, son corps, sa vélocité, Bruce Lee magnifié et starifié.
Et puis il y a LE combat.
Celui qui vend tout le film. Dans les arènes romaines, carrément. Bruce Lee contre Chuck Norris. A l'époque, personne en dehors des adeptes des arts martiaux ne savait qui était Chuck, mais dès qu'il apparait, on sait que si l'apocalypse arrive, il ne survivra que les cafards, et lui. La scène de combat entre les deux titans est un monument, un morceau d'anthologie de quasiment dix minutes, ponctué des plans du chat affamé qui regarde sans comprendre, un peu les spectateurs occidentaux des seventies, en somme, qui n'avaient jamais vu un truc pareil.
Quand au milieu arrive le mythique plan séquence au ralenti, le film confine littéralement au nirvana. Tout, est absolument mythologique dedans. Les cris du petit dragon, le bruit de coups, la musique, les corps des deux gladiateurs en mouvement. Bruce Lee n'aurait pas pu exister à une autre époque que les sixties et seventies. Dans l'ère post-hippie, où contrastent la violence du monde et les aspirations de paix d'une large partie de la population, ses films capturent totalement l'ère du temps. Et les jeunes du monde entier, galvanisés par ces images, vont se précipiter dans les dojos locaux après avoir acheté kimonos, nunchakus et kroumirs.
La version de La Fureur du Dragon que vous allez voir ce soir n'est pas exactement celle exploitée en France en 1974. A l'origine, le distributeur René Chateau avait raccourci le film d'une dizaine de minutes. En 2002, l'éditeur Metropolitan/Seven 7 restaura la version intégrale, et produisit à l’occasion un nouveau doublage, plus proche des intentions d'origine. Même Chuck Norris y récupéra sa propre voix française, devenu une star depuis. C'est celle-ci qui désormais remplace la précédente, en DVD ou lors des diffusions télévisées, comme ce soir.
Bon film.
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