Première
par Gérard Delorme
Evidemment, avec son titre risqué (Sommeil d’hiver) et sa durée hors norme (3H16), le dernier film de Nuri Bilge Ceylan ne risque pas de faire de l’ombre aux blockbusters qui sortiront en même temps au mois d’août. A Cannes, l’organisation n’a rien fait pour encourager la vaillance des chroniqueurs. Sur place, dans les espaces pourtant réservés, les portiers avaient reçu des consignes confuses et contradictoires dont ils n’avaient retenu qu’une chose: pas d’entrée pour les badges presse. Si bien que la formation rapide d’un important bouchon de journalistes énervés a fini par décider une responsable à aller consulter sa hiérarchie avant de diriger la presse sur les bords extérieurs de la mezzanine, c’est-à-dire aux plus mauvaises places. Une fois de plus, merci. Le film alors? Il y a beaucoup de dialogues et relativement peu d’action dans Sommeil d’hiver, mais l’essentiel est dans le non-dit. Pourtant, c’est l’un des films les plus ambitieux de la compétition, et il pourrait remporter un Grand Prix ou un Prix de la mise en scène. L’histoire tourne autour d’Aydin, propriétaire d’un hôtel bien situé dans une région touristique reculée, mais fournie en formations rocheuses bizarres comme il y en a en Cappadoce. Acteur à la retraite et propriétaire terrien, c’est un érudit qui écrit des livres et des articles, tout en entretenant sa soeur, récemment divorcée, et sa très belle femme qui s’ennuie ferme et essaie de s’occuper maladroitement en donnant la charité. Comme le médecin d’Il était une fois en Anatolie, notre acteur-hôtelier est un homme qui ne comprend pas le monde autour de lui, et à qui il faut expliquer les choses de différentes façons. C’est pourquoi les mots et le langage sont importants chez Ceylan, même s’ils représentent une forme de communication imparfaite et le plus souvent inadéquate. La durée du film se justifie pour décrire le tissu complexe de relations qui s’établissent autour d’Aydin, provoquant les tensions et les conflits. A un moment, il est tenté de fuir, un peu comme on imagine qu’il l’a fait jusqu’à présent en esquivant la réalité. Elle finit par se révéler à lui, et à nous en même temps, libérant un flot d’émotions puissantes. C’est un grand et beau film, à tous les points de vue.
Première
par Christophe Narbonne
Aydin tient un hôtel en Anatolie avec sa jeune épouse Nihal et sa sœur Necla. Il gère également quelques bâtisses léguées par son père, dont l’une est au centre d’une bataille procédurière avec un locataire récalcitrant. Le jet d’une pierre par le fils de ce dernier sur la voiture d’Aydin va être à l’origine d’une lente remise en cause.
Qualifié de « cinéaste de festival » (comprenez : chiant et élitiste), le Turc Nuri Bilge Ceylan ne va sans doute pas beaucoup changer de statut malgré la Palme d’or attribuée à son dernier film, dont la sortie en pleine torpeur
estivale est, au choix, un suicide ou une contre-programmation exemplaire. L’avenir nous le dira. En attendant, il faut se préparer à vivre une expérience peu commune, de l’ordre de celle qu’ont vécu les spectateurs courageux d’Il était une fois en Anatolie, le précédent et lancinant voyage au cœur de l’intime proposé par cet auteur singulier. Ce coup-ci, pas de plan-séquence interminable d’automobile fendant la route dans la nuit mais un enchaînement d’affrontements feutrés dans les différentes pièces d’un hôtel transformé en prétoire où sont rendus toutes sortes de jugements concernant : le mariage déliquescent d’Aydin et de Nihal, la présence encombrante de Necla, le mépris rampant et la suffisance affichés par Aydin, sa gestion dénuée d’empathie de « l’affaire de la pierre »... Tel un vieux maître (on pense bien sûr au Bergman de Scènes de la vie conjugale), Ceylan, 55 ans, se laisse aller à de grandes considérations sur la condition humaine tout en se livrant au petit jeu de l’autoportrait grinçant. Film à la lenteur justifiée (on ne regarde pas un homme, un monde, tomber en 1 h 30), Winter Sleep est de ces œuvres qui vous font penser la vie autrement. Rien que ça.