Première
par Frédéric Foubert
Après deux coups d’essai maladroits (J’ai tué ma mère et Les Amours imaginaires) qui l’avaient institué nouvelle coqueluche tête à claques du cinéma mondial, Xavier Dolan, 23 ans, dégaine de petit Fassbinder pop venu de Montréal, a ouvertement conçu son troisième fi lm comme un chef-d’oeuvre annoncé, un magnum opus très précoce qui synthétiserait ses obsessions de jeune homme moderne passionné par l’amour fou, le romantisme teenage et les outrances baroques. La durée du fi lm est hors norme (2 h 39 !) et le sujet franchement casse-gueule (dix ans de la vie d’un homme qui souhaite devenir une femme). Péché d’orgueil ? Sans doute, mais c’est précisément de cette morgue, de son aspect bordélique et délibérément too much que Laurence Anyways tire sa force. Le film est une hypothèse délirante de cinéma total, dans laquelle Dolan jette sur l’écran tout ce qu’il aime, absolument tout (ses hits new wave préférés, une tonne de citations littéraires et cinéphiles, le meilleur et le pire de la mode 90’s...), au fil d’un récit à la vitesse d’exécution renversante. La très bonne idée, surtout, est de ne pas tant s’intéresser à la dissertation attendue (et redoutée) sur la norme et la marge qu’à l’histoire d’amour impossible entre ce héros transsexuel (Poupaud, génial) et la fi lle qui ne peut pas s’empêcher de l’aimer. Dolan filme cette love story comme une odyssée, une aventure épique, presque un Titanic transgenre. Alors, bien sûr, les scories abondent (naïveté ado, prétentions auteurisantes, dialogues sitcomesques), mais l’énergie sidérante emporte tout sur son passage. Filmer à toute allure, au risque de se planter... Franchement, on préfère ça à n’importe quel « grand film de la maturité » autoproclamé.