Après A Star Is Born et House of Gucci, Gaga tient l’affiche de Joker : Folie à deux. Reste à savoir si le cinéma est pour elle un vrai job ou une simple distraction.
Les stars de la musique passées au cinéma ont toujours été rangées en deux catégories. Il y a celles qui réussissent leur transition professionnelle et entament une véritable deuxième carrière, menant de front les deux activités – les Barbra Streisand, Mark Wahlberg, Frank Sinatra ou Kris Kristofferson. Puis celles donnant l’impression de faire ça sans y prêter trop d’attention, pour se dégourdir les jambes entre deux albums – comme Mick Jagger ou Rihanna.
Où classer Lady Gaga ? On se pose la question depuis A Star Is Born, irrésistible mélo pop qui avait marqué la naissance d’une super actrice. Avant ça, Gaga au cinéma (et à la télé), ce fut d’abord de petits rôles chez Robert Rodriguez (Machete Kills et Sin City : j’ai tué pour elle) et dans la série de Ryan Murphy American Horror Story (les saisons Hotel et Roanoke), où la "Mother Monster" avait principalement été conviée pour apporter dans ses bagages son esthétique mutante et tapageuse, qui se fondait à la perfection dans les mondes glam-horrifique de Murphy ou comic book de Rodriguez.
A Star Is Born, tomber le masque
Tout a vraiment changé en 2018, donc, avec A Star Is Born, film-pivot où Lady Gaga tombait le masque – et le maquillage, dans une scène emblématique, où son partenaire et réalisateur Bradley Cooper la regardait (la filmait) en train de se démaquiller, sortant de scène, dans les loges d’un cabaret transformiste. C’était Gaga mise à nue, soudain au naturel, alors qu’elle ne s’était longtemps définie que par son goût du déguisement et du simulacre. Le film, en plus d’être pour elle une sorte d’autoportrait (l’histoire d’une Italo-Américaine gouailleuse transformée en produit de consommation courante pour les besoins de l’industrie musicale), fonctionnait ainsi comme un véritable baptême d’actrice, le début d’une deuxième carrière, jusque dans son titre programmatique, "une étoile est née".
House of Gucci, un pur Gaga-movie
Bien sûr, si Gaga n’était plus maquillée dans A Star Is Born, elle était néanmoins venue avec des chansons (dont la fabuleuse "Shallow"), comme pour justifier qu’un film entier soit bâti autour d’elle. L’enjeu du film suivant, House of Gucci (Ridley Scott, 2021) était de filmer la diva bariolée sans musique pour la soutenir. Incarnant Patrizia Reggiani, la femme qui a commandité le meurtre de son mari Maurizio Gucci dans les années 90 (et que la presse surnommait Lady Gucci), Lady Gaga retrouvait là un petit fumet Ryan Murphy (plus American Crime Story que Horror Story pour le coup) et compensait l’absence de musique par sa garde-robe, qui prolongeait à l’écran son propre univers fashion survolté, tout en fringues excentriques, poses crâneuses et mauvais goût assumé.
Etait-ce pour Gaga une manière d’affirmer que les rôles qu’elles tiendraient au cinéma ne seraient que des prolongements de son "personnage" musical ? L’accent italien avec lequel elle parlait dans le film, ainsi que sa méthode Actors Studio délirante (elle est paraît-il restée dans la peau du personnage pendant des mois), était une manière paradoxale de disparaître dans le rôle tout en affirmant qu’on était dans un pur Gaga-movie.
Les acteurs de House of Gucci ont beaucoup été moqués pour leurs performances histrioniques (surtout Jared Leto, enseveli sous des tonnes de prothèses) mais, d’un strict point de vue théorique, ce film sur le faux et la contrefaçon (l’empire Gucci y vacille quand des imitations made in China viennent concurrencer les luxueux sacs en cuir de la marque italienne) s’inscrivait parfaitement dans la démarche artistique de Lady Gaga, qui a toujours été basée, comme l’explique de très sérieux analystes, sur une "esthétique de la copie".
Joker 2, sans folie
Après ces deux fabuleuses mises en bouche, on attendait beaucoup de Joker : Folie à deux, troisième long starring Gaga en tête d’affiche, pour savoir où l’actrice en était du cinéma. Cette fois-ci, il y a tout ce qui définit Gaga : le maquillage (celui de l’amoureuse et "partner in crime" du Joker, Harley Quinn) et les chansons, Joker 2 étant une comédie musicale. Elle ne démérite pas dans le film (elle a même "désappris" à chanter pour l’occasion, encore un exploit Actors Studio), mais elle y reste néanmoins étrangement périphérique, le réalisateur Todd Phillips se concentrant surtout sur la performance de Joaquin Phoenix, donnant l’impression que la chanteuse est principalement là à cause du résultat d’une équation marketing : "BD + folie + musique = appelons Gaga !"
Sentiment renforcé par le fait qu’elle a profité de la promo de Joker 2 pour sortir un album surprise, Harlequin, inspiré de l’univers du film, consistant principalement en reprises de standards de la musique américaine, dans la lignée de ses albums rétro avec Tony Bennett. Si Joker : folie à deux semble être une affaire sérieuse pour Phillips et Phoenix (un film assez radical, où ils atomisent leur propre création), il ressemble presque, dans la cosmogonie Gaga, à une simple extension de son univers multimédia, un "film-compagnon" du clip du morceau "The Joker", où elle repeint le portrait de Mona Lisa. L’actrice peut-elle échapper à la chanteuse ? La prochaine fois, on aimerait la voir dans un film sans musique ni make-up. Histoire d’élargir la définition du cinéma de Gaga.
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