Ce qu’il faut voir ou pas cette semaine.
L’ÉVENEMENT
DUNKERQUE ★★★★☆
De Christopher Nolan
L’essentielMai 1940, plage de Dunkerque : près de 400 000 soldats, anglais pour la plupart, se retrouvent acculés sur l’immense plage de Dunkerque. Face à eux, le détroit du Pas-de-Calais et la mer ; derrière eux l’armée du Reich surpuissante. Une seule idée : fuir. Voilà pour le postulat de départ du nouveau Christopher Nolan. Simple, presque simpliste mais c’est justement ce qui en fait sa force. Pour filmer la guerre à hauteur d’hommes, le réalisateur de The Dark Knight – Le Chevalier noir a choisi l’épure. L’ennemi est omniprésent mais on ne le verra (quasi) jamais. Les dialogues sont réduits au strict minimum - les regards des soldats apeurés suffisent- le sang ne jaillira presque pas. Tout le long du film la mort rôdera, mais paradoxalement, on la verra peu. Qu’on ne s’y trompe pas, Dunkerque n’est pas un film de guerre au sens strict ou une énième évocation des actions héroïques de la Seconde guerre mondiale magnifiée par des ralentis sur des corps déchiquetés. Non, Dunkerque est un survival qui nous prend aux tripes pendant une heure quarante-sept, sans nous lâcher.
Nicolas Bellet
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PREMIÈRE A ADORÉ
BABY DRIVER ★★★★★
de Edgar Wright
« Probablement le film le plus cool jamais tourné. » La citation qui trône sur fond jaune fluo en haut de l’affiche française de Baby Driver n’y va pas de main morte. Ah, tiens, elle est signée Première… Il faut croire que ce film nous excitait particulièrement. Ou qu’il tient extraordinairement bien ses promesses. Mais c’est un fait : depuis que Quentin Tarantino s’est enfermé dans une chambre d’hôtel d’Amsterdam pour écrire Pulp Fiction entre deux visites au coffee-shop du coin, aucun film n’avait été aussi méticuleusement et obsessionnellement guidé par l’idée du cool que cette petite histoire de getaway driver obsédé par son iPod. Les flingues, la musique, la vitesse, les pneus qui crissent, les balles qui tracent et les punchlines qui claquent : vous lirez ailleurs dans ce magazine la genèse de ce rutilant Baby, médité pendant plus de deux décennies et malaxant un savoir encyclopédique sur ce que le septième art peut proposer de plus aérien, fun, léger, volatil, divertissant, pop, glorieusement inconséquent. En un mot : cool. Quant à la concordance parfaite entre les ambitions démesurées d’Edgar Wright (tourner un film d’action entièrement pensé en fonction de sa bande-originale) et le résultat à l’écran (c’est aussi bien que ça en a l’air), elle place immédiatement Baby Driver dans une catégorie à part. Au nirvana d’une certaine idée du cinéma.
Frédéric Foubert
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PREMIÈRE A AIMÉ
NUAGES ÉPARS ★★★★☆
De Mikio Naruse
On ne remerciera jamais assez le distributeur Les Acacias de nous faire découvrir des Naruse inédits. Quelques mois après l’admirable Quand une femme monte l’escalier, voici Nuages épars, son dernier film (tourné en 1967), où le maître japonais raconte l’histoire d’amour interdite entre une veuve et le chauffard responsable –mais pas coupable- de la mort de son mari. Comme à son habitude, Naruse traite de la place de la femme dans la société japonaise, régie par des codes patriarcaux stricts que ses films dénoncent à plans feutrés et à mots couverts. Dans une dernière séquence de toute beauté, Naruse montre que ses personnages sont finalement moins prisonniers des interdits moraux que de leurs propres névroses. On pense beaucoup à Douglas Sirk, le maniérisme en moins.
Christophe Narbonne
ÉTÉ 93 ★★★★☆
De Carla Simon
1993 : Frida, une petite fille de 6 ans, vient de perdre ses parents. Elle est placée chez son oncle et sa tante, au cœur de la campagne catalane, pour y passer l'été. Malgré son sujet casse-gueule, le premier film de Carla Simón évite un double écueil : celui du mélo bien épais, et celui de la nostalgie 90s (pas de placement de tubes vintage, c'était pourtant l'été de "Runaway Train" de Soul Asylum). La grâce équilibriste d'Eté 93 tient au regard naturaliste de la caméra de Simón, qui reste constamment à hauteur d'enfant avec le recul nécessaire, sans polluer le jeu de ses deux jeunes actrices en y plaquant ses visions d'adulte. Se détachant d'une structure dramatique trop rigide, en fonctionnant comme l'observation à très bonne distance, ni trop proche ni trop lointaine, des relations entre les deux gamines -Laia Artigas et Paula Robles, 6 et 3 ans, étonnantes petites trouvailles qui ne semblent pas être perturbées par la présence de la caméra- le film s'envisage plus comme une épure documentaire que comme un sirupeux Grand chemin catalan. La cinéaste refuse l’extase esthétique : pas de soleil qui bave dans la caméra, pas de balades bucoliques dans la nature. Pas non plus d'esquive de la cruauté plus ou moins inconsciente des enfants comme des adultes. De la justesse avant toute chose. C'est ainsi que le film parvient subtilement à débusquer une émotion pure : comment le deuil le plus brutal qui soit ne finira plus qu'à être un mauvais souvenir d'enfance, comme les autres, perdu dans la chaleur d'un été brûlant, comme les autres.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A PLUTÔT AIMÉ
LA RÉGION SAUVAGE ★★★☆☆
De Amat Escalante
Lion d'Argent au dernier festival de Venise, La région sauvage décrit en surface une réalité très mexicaine: soit le quotidien d'une mère (Ruth Ramos) qui prend son destin en main après s'être débarrassée de son mari, lequel cache son homosexualité refoulée derrière un machisme brutal. Traité avec un réalisme quasi documentaire dans le contexte d'une ville de province conservatrice et coincée, cet épisode sociologique trouve en parallèle son expression poétique dans la représentation d'un monstre à la fois séduisant et dangereux: une créature tentaculaire d'origine extraterrestre, secrètement contenue dans une cabane à la campagne, et qui semble dispenser auprès de ses visiteurs des sensations sexuelles d'une intensité inédite, avec des conséquences variables selon les individus. Certain(e)s, comme la jeune Veronica (interprétée par une sosie de Charlotte Gainsbourg) trouvent tellement de satisfaction de leur rencontre avec la bête qu'ils/elles y deviennent accro; d'autres paient un prix élevé, parfois de leur vie. A la fois métaphore de la violence contemporaine, étude de la sexualité féminine et commentaire sur le rôle de la famille, ce mélange acrobatique emprunte son style au gratin mondial du cinéma de festival, présent et passé, ses influences les plus évidentes étant Lars Von trier (a qui Escalante emprunte son directeur de la photo), Zulawski, et dans une moindre mesure Tarkovski. Voila qui devrait aider à faire le tri entre adeptes enthousiastes et allergiques définitifs.
Gérard Delorme
TOM OF FINLAND ★★★☆☆
De Dome Karukoski
Célébré dans son pays mais mal connu chez nous (ne nous est parvenu que son Heart of a Lionen 2014), le réalisateur finlandais Dome Karukoski pourrait changer la donne en un film (son 7ème) et quelques coups de crayons. Ceux, joyeusement lubriques, tracés par son héros, Touko Laaksonen, alias Tom of Finland, qui, dans les années 60-70, tira le fil manquant entre de très secrets fantasmes porno gay et la pop culture. S’il est aujourd’hui reconnu comme un dessinateur-phare de l’homo-érotisme contemporain, inventeur d’une imagerie débridée peuplée de garçons aux courbes exagérément culturistes, émanations de professions viriles (marins, flics, militaires) ultra sexualisées, fesses sanglées de cuir, jambes plantées dans des bottes de motard, son parcours fût semé d’embûches. Le film le retrace, de sa jeunesse de soldat à ses années sombres de planqué dans une Finlande où l’homosexualité est alors illégale, à –enfin - la lumière du soleil californien où ses dessins très cul, qu’il fît voyager en douce à L.A., vont éblouir une communauté homo en pleine ébullition pré-Village People. Malgré son ADN « hot », le film reste un biopic plutôt lambda qui peine à l’allumage, alourdi par des métaphores (bombes qui explosent/éjaculation) et un démarrage qui multiplie allers-retours, ellipses et « visions » de l’artiste. Mais ce bémol narratif est vite compensé par l’intérêt du sujet et la satisfaction de mettre un nom, un sens et une origine sur une iconographie qui influença des générations de créateurs, de Helmut Lang à Pierre&Gilles en passant par Robert Mapplethorpe.
Anouk Brissac
BARRAGE ★★★☆☆
De Laura Schroeder
Une femme épie une fillette. On comprend qu’Alba a été confiée à sa grand-mère par cette jeune femme au passé douloureux. La tentative de retrouvailles sera-t-elle avortée ? C’est la question posée par ce film sensible qui évoque une rédemption possible mais rendue délicate par l’instabilité chronique de Catherine, trentenaire d’une maladresse aussi énervante que touchante. “Je ne m’en fais pas pour elle, je m’en fais pour moi”, dit Catherine à une inconnue qui s’étonne de la relation conflictuelle qu’elle entretient avec sa fille. Lolita Chammah, toute en brutalité rentrée, incarne superbement cette mère en reconquête qui se heurte à l’inflexibilité d’Isabelle Huppert, la grand-mère protectrice –et vraie mère dans la vie de Chammah.
Christophe Narbonne
UN VENT DE LIBERTÉ ★★★☆☆
De Benham Behzadi
Asghar Farhadi fait des émules en Iran. Exemple avec le quatrième long métrage (les trois autres sont inédits en France) de Benham Behzadi, portrait d’une trentenaire iranienne qui vit seule avec sa mère. Le jour où cette dernière doit déménager à la campagne pour fuir l’air pollué de Téhéran, Niloofar est contrainte par sa sœur et par son frère à accompagner la vieille femme. Doit-elle accepter de laisser sa petite entreprise de couture (et ses employées) et cet homme qui lui fait une cour pressante parce qu’elle est la cadette et sans enfants ? Comme dans un drame de Farhadi, donc, chacun a ses raisons et elles sont toutes valables aux yeux de la morale -à géométrie variable. La caméra de Behzadi est cependant plus insistante que celle de son illustre compatriote. Joli film néanmoins.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
LA COLLE ★★☆☆☆
De Alexandre Castagnetti
Réalisateur de comédies reposant sur des concepts plus ou moins foireux comme « reconquérir une ex le temps d’un voyage en avion » (Amour & turbulences) ou « comment séduire le gossebo du lycée quand on est grosse » (Tamara), Alexandre Castagnetti s’est encore une fois surpassé. Dans La Colle, il plonge le héros, un jeune type collé au lycée un samedi, dans une boucle temporelle interminable au cours de laquelle il revit les mêmes moments auprès de la jolie Leila et de quelques cancres. Tout ça parce que le génie d’une application a exaucé son vœu… Cet Un jour sans fin en milieu scolaire fonctionne selon le même principe que son illustre aîné : Benjamin verra la malédiction s’arrêter et l’amour triompher lorsqu’il aura compris le sens de la vie. Bébête et potache comme il faut, La Colle vise un public bien précis qui en aura pour son argent. Si, au moins, ça lui donnait envie de revoir Un jour sans fin…
Christophe Narbonne
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