De son père, Giuseppe Visconti, duc de Modrone, il hérite un titre, et l'amour du théâtre. Si, dans sa jeunesse, il se passionne pour les courses de chevaux, c'est dans la décoration et le cinéma que le jeune aristocrate, aux idées par ailleurs progressistes et mal- venues dans l'Italie mussolinienne, décide de faire carrière. Il travaille en France avec Jean Renoir, dont il est l'assistant, sur les Bas-Fonds (1937), et le créateur de costumes d'Une partie de campagne (1936). La guerre interrompt cette collaboration, et c'est avec Karl Koch que Visconti termine une Tosca (1940), premier maillon d'une chaîne d'inspiration qui court, de la scène à l'écran, comme un lien somptueux, tout au long de la vie d'un homme épris à la fois de Verdi et de tout art lyrique, de Shakespeare et de mélodrame, d'histoire, et de cette beauté dont Rilke, imaginant celle des anges, écrit qu'elle est « terrible ». Toutes les forces inspiratrices de Visconti se trouvent ainsi liées, fussent-elles divergentes, et confrontées à des mondes peut-être moins séparés que complémentaires, traversés de failles, d'erreurs, et de désastres.Théâtre ou, mieux, opéra de nos réalités, l'uvre cinématographique de Luchino Visconti s'inspire d'éléments, ou d'événements, tous situés dans un temps historique compris entre 1850 et 1950 (même si Violence et Passion déborde cette dernière limite). Opéra, parce que son intuition, son sens de « la réalité lyrique » et son sens de l'histoire ont su fonder très tôt, dès son troisième film, un art dont l'ampleur et la perfection plastique atteignent souvent à une magnifique plénitude. Son projet d'adaptation d'un roman de Verga refusé par la censure, Visconti transpose alors Le facteur sonne toujours deux fois, roman de James Cain : Ossessione donne le coup d'envoi de ce qui va être le néoréalisme. L'expression, qui va faire abusivement « école », est du chef monteur Mario Serandrei, qui visionnait les rushes du film. Mais, si Visconti a travaillé avec Zavattini, à qui il doit le scénario de Bellissima, si Ossessione est pour le moins aussi sombre, négatif et pessimiste que le seront plusieurs uvres de De Sica, Blasetti, Olmi, et a sans doute marqué une date, c'est sans théorisation aucune de la part d'un cinéaste dont la conception du film noir ou la méditation sur l'histoire se refuseront toujours au didactisme et à tout sentimentalisme démagogique. Ossessione (1943) fit scandale, et son exploitation fut interdite presque partout par les autorités locales, tandis que, au lendemain de la guerre (Visconti manqua de peu être fusillé par les Allemands en retraite), La Terre tremble exaspère un régime repris en main par l'Église et les milieux d'affaires. Cet Épisode de la mer gardera le titre général, inapproprié et célèbre, d'une trilogie dont il demeure l'unique volet, les deux autres ne parvenant pas à être financés. En fait, une trilogie imprévue rassemble après coup Ossessione, La Terre tremble et Rocco et ses frères trois films qui sont, au bord du constat, le portrait sociologique de l'Italie des pauvres, de ses violences ambiguës, de ses migrations vers l'illusion. D'un fait divers, Visconti sait retenir ce qui est significatif et l'intégrer à la trame filmique, épurée de toute complaisance ; seul lui importe ce qui est représentatif, ce qui, grâce aux pouvoirs fantastiques et immédiats de l'image, suggère ou dénonce. La fable merveilleusement mélodramatique de Bellissima (1951), où se démène la Magnani, ironise sur l'envers de l'illusion sacro-sainte, sur le temple du rêve : Cinecittà mais sans s'attendrir pour autant sur la crédulité populaire. Pour avoir fait ses premières armes sous l'égide du réalisme poétique fran¿cais, le réalisme de Visconti, lyrique dans l'expression plastique de l'histoire et de l'espace, dans la composition et le mouvement de chaque séquence et de chaque plan, s'appuie sur des constats et des données autrement âpres. La reconstitution d'un milieu n'est pas seulement un problème de décors où, cependant, l'ancien assistant de Renoir est passé maître. Car, si les intérieurs de Rocco et ses frères, les somptueuses « nature mortes » de Senso ou du Guépard dénotent une scrupuleuse attention (historique et sociale, mais aussi psychologique) aux objets, aux toilettes, aux gestes, qu'il s'agisse des pêcheurs non comédiens d'Aci Trezza parlant leur dialecte (La Terre tremble) ou de la cour de Bavière, Visconti sait que le vrai ne se charge de sens qu'en fonction des pouvoirs de l'écriture, de l'unité interne de l'uvre.Dans Note sur un fait divers, il ne reconstitue pas l'assassinat d'une enfant : il suffit qu'il nous montre l'Italie atroce dans laquelle elle vivait. C'est peut-être l'absence de racines, de motivation, de situation de Meursault, dont Marcello Mastroianni rejoue le drame, qui casse ou annule le tragique, et fait de l'Étranger un des échecs du cinéaste. La recréation d'un milieu social ou d'un moment de l'histoire favorisent un exceptionnel génie plastique, évoluant des gris de Ossessione, des noirs et blancs de La Terre tremble à l'impressionnisme raffiné de Mort à Venise, ou au romantisme très Caspar-David Friedrich de Ludwig. Mais la vérité de ces recréations fait la vérité de l'uvre : le regard posé par Visconti sur la civilisation et sur les hommes est essentiellement un regard poétique au sens fort et créateur du terme. Or, une poésie créatrice est aussi une poésie critique d'où l'ambiguïté de la beauté, et cette amertume que le concept de nostalgie ne recouvre pas absolument lorsqu'on analyse le Guépard, Sandra, Mort à Venise, ou les deux fresques du Crépuscule des dieux. Le passage, l'évolution de l'uvre de la stylisation de la réalité (ou du réalisme...), dont Ossessione porte la marque, à la mise en opéra de l'histoire s'accompagne d'un retour au portrait psychologique. Portrait qui, sous les traits de Burt Lancaster (le Guépard), peut révéler, avec une lucidité imparable, que la fréquentation de l'histoire n'incline pas à l'optimisme, pas plus que celle des hommes ne justifie d'être dupe, sauf à naître et rester imbécile. Il y a, chez Visconti, un moralisme stendhalien, un goût identique pour les passions sans retenue (Senso), une passion aussi forte de la musique et de la beauté. La conjonction de ces intérêts ne va pas toujours dans le sens de l'unité du film, qui peut se dissocier entre les portraits de protagonistes névropathes, la parodie et la reconstitution (les Damnés), avant l'enlisement luxueux et un peu ridicule des deux derniers titres. Burt Lancaster, dans Violence et Passion, n'est plus qu'un guépard de cabinet d'antiquaire.Il est non moins vrai que l'uvre de Visconti a donné au cinéma, en plus d'une magistrale le¿con d'esthétique, une galerie de figures exemplaires. Les vrais vainqueurs y sont rares, les vaincus omniprésents. Rocco (un des plus beaux rôles du nouveau cinéma italien, le plus pur d'Alain Delon) opposera en vain au destin cette espèce de sainteté dostoïevskienne qui habite également Louis II, et qui tous deux les condamne. Le tabou de l'inceste a raison de Gianni (Jean Sorel) et de son amour pour Sandra (Claudia Cardinale). Les amants de Senso, Alida Valli et Farley Granger, s'autodétruisent. Helmut Berger provoque une véritable assomption du mal dans les Damnés. Burt Lancaster quitte en souriant un monde qui l'a déjà quitté, un bonheur insolent, superbe et unique demeurant son legs à Claudia Cardinale et Delon, seul couple heureux, au moment qu'on le quitte, de l'univers viscontien (le Guépard). L'histoire, au vrai, en est cocufiée ; pour un temps, la jeunesse, l'insolence et la beauté ont pris le pouvoir. Le réalisme lyrique n'est pas sans impliquer une esthétique de la vérité.On comprend que les sympathies affichées du duc de Modrone pour la gauche italienne, et le PCI, en particulier, ne l'ont pas gardé longtemps de critiques acerbes, que la nature de plus en plus « passéiste », d'annunzienne des dernières uvres n'a pu qu'exacerber. D'où le reniement, par exemple, d'un Marco Bellocchio. S'infléchissant vers une contemplation amère et pessimiste de l'art, de l'histoire, et ne sublimant l'amour (interdit, impossible, inavouable) que par défaut, l'ombre de l'échec et celle de la mort s'étendent peu à peu sur la vie. Visconti a pourtant mis l'histoire à la place de Dieu, et l'homme en face de lui-même pour que l'uvre livre son ultime et long combat contre le temps.
Nom de naissance | Luchino Visconti |
---|---|
Naissance |
Milan, Lombardy, Italy |
Décès | |
Genre | Homme |
Profession(s) | Réalisateur/Metteur en Scène, Scénariste, Dialogue |
Avis |
Biographie
Filmographie Cinéma
Année | Titre | Métier | Rôle | Avis Spectateurs |
---|---|---|---|---|
1983 | Notes sur un fait divers | Réalisateur | - | |
1976 | L'innocent | Réalisateur, Scénariste | - | |
1974 | Violence et passion | Réalisateur, Scénariste | - | |
1974 | Violence et passion | Réalisateur, Scénariste | - | |
1973 | Ludwig ou le Crépuscule des dieux, 2e partie | Réalisateur, Scénariste | - |
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