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Les acteurs sont parfois des leaders, sans même le savoir. Ils nous conduisent à un metteur en scène dont nous ne connaissions pas le travail du fait de leur simple présence dans la distribution. Leur seul nom sur une affiche est une invitation à la découverte, éveille notre curiosité au projet global. Car le milieu du théâtre, comme tous, fonctionne en communautés perméables, familles artistiques modulables, constellations d’univers esthétiques et d’énergies créatives. Nicolas Maury est de ces acteurs-là, de ceux qu’on suit à l’aveugle, certain qu’il va nous emmener quelque part, en une contrée scénique digne d’intérêt.

Il est de ces interprètes qui ne se contentent pas de se couler dans les rôles qu’on leur propose, mais impriment à chacun d’entre eux une part de leur personnalité propre, une originalité, une "bizarrerie" bienvenue. Physique et voix androgyne, démarche lunaire, Nicolas Maury est doté d’un potentiel burlesque irrésistible autant que de ce mystère indispensable à l’aura d’un acteur. Il se dégage de sa présence singulière en équilibre entre les genres une grâce de funambule, étrange et éthérée, une douceur féline. Sur les planches ou sur grand écran, Nicolas Maury jette le trouble et le cultive dans un jeu loin de tous stéréotypes de déclamation, de diction, de gestuelle. L’emphase scénique n’est pas sa tasse de thé bien qu’il ait suivi une formation "académique" en passant par la case royale du CNSAD (Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique).

C’est à sa manière, délicate et désinvolte, discrètement excentrique, qu’il s’approprie les grands textes du répertoire classique (Molière, Feydeau, Musset, Marivaux, Ibsen…) et contemporain (Jean-Luc Lagarce, Philippe Minyana, Noëlle Renaude, Martin Crimp…). Il a à peine plus de 30 ans et la liste des metteurs en scène et cinéastes avec lesquels il a travaillé est déjà longue, éclectique et prestigieuse. Qu’il soit dirigé par Robert Cantarella dans l’Hippolyte de Robert Garnier, par Frédéric Fisbach dans les Feuillets d’Hypnos de René Char dans la Cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon, par Florence Giorgetti dans Voilà de Minyana, par Guillaume Vincent dans La Nuit tombe, ou encore par Claude Baqué dans La Dame de la mer d’Ibsen, qu’il promène sa frêle silhouette dans l’univers d’Yves-Noël Genod (dans Je peux), qu’il soit de passage au cinéma chez Patrice Chéreau (Ceux qui m’aiment prendront le train), Philippe Garrel (Les Amants réguliers), Emmanuelle Bercot (Backstage), Noémie Lvovsky (Faut que ça danse), Nicolas Klotz (La Question Humaine), Rebecca Zlotowski (Belle Epine)… ou porte un film sur ses épaules en tant que premier rôle dans Let my people go de Mikael Buch, Nicolas Maury détonne, suscite adhésion inconditionnelle ou rejet épidermique.

Grand lecteur de Duras et grand lecteur tout court, admirateur de Bulle Ogier et de Michael Lonsdale, amoureux d’Antoine Vitez et de ses actrices (Dominique Valadié, Valérie Dréville, Dominique Reymond, Anne Benoit, Jany Gastaldi, Nada Strancar…), ce jeune acteur promène de plateaux en plateaux son air rêveur et sa mélancolie discrète. Le comique lui sied en ce qu’il aime à créer du "jeu", un décollement, une certaine forme de distanciation avec ses personnages, nous rappelant sans cesse qu’il ne faut pas se prendre trop au sérieux. Ce qui ne l’empêche pas de pratiquer ce métier dans un corps à corps intense et entier, avec une passion réelle, perceptible, communicative.

Nicolas Maury est actuellement à l’affiche du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis dans une pièce de Marivaux, Le Triomphe de l’amour, mise en scène par Galin Stoev. Il y endosse le rôle principal, celui, déluré, de la princesse Léonide qui se travestit en homme afin de pouvoir approcher et séduire le jeune homme qu’elle convoite. Ainsi, il incarne, dans un jeu de transformation inversé, une femme qui se déguise en homme et agit en homme pour parvenir à ses fins. Il y est en tout point irrésistible.

Entre deux représentations, à la faveur d'une relâche, il vient de faire une escale "enchantée" au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre du Festival musical "Les Rendez-vous de la lune" (du 4 au 11 octobre), aux côté de Julien Ribot. Le temps d’une soirée, Nicolas Maury y a présenté ce nouveau projet et révèlé une nouvelle facette artistique. Il y chante sa vie à sa façon dans Son Son, sorte d’autoportrait chanté imprégné de littérature, une autofiction en chansons pour dandy du XXIème siècle.

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On pourra également le voir à nouveau sur les écrans cet automne (à partir du 13 novembre) dans un film de Yann Gonzalez, Les Rencontres d’après Minuit, sélectionné à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes. Il y incarne une servante travestie au sein d’un scénario sulfureux baigné de fantasmes orgiaques aux côtés de Niels Schneider (jeune éphèbe viscontien vu dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan), Kate Moran (ex-égérie de Pascal Rambert), Béatrice Dalle, Fabienne Babe, Eric Cantonna

Dans une interview pour le Figaro Madame au moment de sa nomination au César du Meilleur Espoir Masculin en 2012 (pour son rôle dans le film Let my people go), à la question « Pourquoi avoir choisi la profession d’acteur ? »,  il répond : « Pour dire et faire l’indicible, par amour des auteurs, pour tutoyer des zones inconscientes... Pour m’amuser et donner de la vie »

Il le dit et il le fait. En cela, Nicolas Maury est un acteur délicieux.

Par Marie Plantin

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